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lundi, 14 septembre 2020 12:22

Absolument modernes!

Écrit par

MeizozJérôme Meizoz
Absolument modernes!
Genève, Zoé 2019, 160 p.

Entre rires et larmes, Jérôme Meizoz évoque son passé en jetant un regard sceptique sur les Trente Glorieuses. Treize chroniques pour épingler les attentes optimistes de la croissance illimitée, de la technique toute-puissante et du marché promu au rang d’une divinité.

Le père, ouvrier mécanicien, dynamique et entreprenant, accueille avec enthousiasme tout ce qui fait moderne comme autant de promesses de l’avenir radieux. Les progrès de la médecine, l’arrivée de la télévision, l’expo nationale de 1964, les supermarchés, la construction de l’autoroute et les demi-vérités de l’État, les voitures et le baladeur, la construction des barrages, les JO, les promoteurs ces nouveaux empereurs, tout annonce que le passé est dépassé : le vieux monde part à la renverse. L’usine du village, le grand-père socialiste, la grand-mère qui n’y comprend plus rien, toute cette fermentation annonce la fin d’un passé de pénuries, la naissance du Valais des entrepreneurs, des touristes et de l’argent, au rythme obsédant du refrain: Croissance! croit sens! croâ cens !

Promesses tenues? Par petites touches impressionnistes, l’observateur sceptique et railleur saisit au vol les signes qui annoncent que la fête touche à sa fin: la mort rode encore jusque dans la famille; le smartphone favorise l’isolement des personnes; l’exploitation des travailleurs est le sacrifice exigé par un culte d’un nouveau genre, l’économie de marché; les coûts de la santé sont désespérément malades. Quelque chose s’est brisé. Mais tout cela génère de jolis bénéfices, constate le chroniqueur avec des accents dignes de Qohéleth. Pendant ce temps, que fait Dieu? Il part en vacances, laisse aller les choses ou s’en lave les mains. Pas le vrai Dieu -du moins je l’espère - mais celui qui est censé tirer les ficelles des pantins que ne sont pas les humains.

Entre ses chroniques, l’auteur a intercalé de charmants petits portraits, un genre où il excelle: la guérisseuse, les anges, une bonne, le cultivateur, la maîtresse d’école, la pianiste, l’ingénieur, l’abbé rabelaisien et charitable, l’ami d’enfance, le voisin d’immeuble, et le dernier si émouvant, telle une parabole: le dynamique partisan du progrès, le père à bout de course qui s’éteint dans son lit d’hôpital. Comme chaque fois, le coup d’œil critique et lucide de Meizoz est servi par une écriture légère et dense, riche de sens et d’émotions.

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