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vendredi, 06 mars 2009 11:00

Le mystère de la conscience

Pillon 41927Jean Pillon, Neurosciences cognitives et conscience. Comprendre les propositions des neuroscientifiques et des philosophes, Chronique Sociale, Lyon 2008, 240 p.

Qu'est-ce que la conscience ? La question nous confronte aux difficultés de la définition : le mot a plusieurs sens, éveil par rapport au sommeil, conscient par rapport à inconscient ou subconscient, conscience morale, etc. La seconde question, sujet de ce livre, est encore plus embarrassante : comment le cerveau « fabrique-t-il » la conscience ? De l'avis de tous les spécialistes, le mystère reste opaque, mais, en simplifiant, deux théories philosophiques s'opposent.

D'un côté, les naturalistes matérialistes (souvent des neuroscientifiques qui s'appuient sur les progrès impressionnants des techniques permettant de « voir » travailler le cerveau) affirment qu'il n'y a rien d'autre que le cerveau avec ses milliards de neurones et leurs connexions innombrables, ses neurotransmetteurs et sa plasticité extraordinaire. Certains, comme Jean-Pierre Changeux,[1] vont jusqu'à prédire que la science expliquera un jour pourquoi nous sommes conscients, libres, désirant le bonheur, capables de deviner les pensées des autres, etc.

De l'autre côté, les spiritualistes dénoncent la prétention « réductionniste » des naturalistes et, comme Paul Ricoeur, mettent le doigt, sur des défauts de raisonnement. Le plus célèbre d'entre eux, Descartes, qui séparait catégoriquement le corps et l'esprit (« dualisme »), n'est plus suivi de nos jours, mais plusieurs philosophes modernes, croyants ou incroyants, continuent de penser qu'il y a des réalités - l'esprit, la conscience, l'introspection, l'espoir, la liberté - qui ne sont absolument pas expliquées ni réductibles à la neurophysiologie.

La tradition chrétienne se range de ce côté. Jean Pillon (le dernier paragraphe de sa conclusion nous l'apprend) part de sa foi chrétienne et veut nous convaincre que les neuroscientifiques ont tort. Sur le fond, on ne peut qu'être d'accord avec lui, et aussi admirer l'ampleur de son travail qui compile honnêtement d'innombrables travaux neuroscientifiques. Pourtant le lecteur reste sur sa faim car l'analyse des arguments philosophiques paraît plus faible. Il faut dire que le dialogue entre scientifiques et philosophes est très difficile.[2] En plus, il ne me paraît pas correct de confondre le débat matérialisme/spiritualisme au sujet du cerveau, avec celui plus vaste et différent entre foi et science.

Sur la forme, le principal reproche que je ferais à cet ouvrage est qu'il n'est pas satisfaisant pour ceux qui connaissent un peu le sujet et qu'il n'est pas assez simple et clair pour une bonne vulgarisation de ce domaine éminemment ardu. Il sera cependant très utile, ne serait-ce que par sa très riche bibliographie, à tous ceux qui veulent essayer de pénétrer dans les arcanes du cerveau, ce grand inconnu.

 

1- L'Homme neuronal, Fayard, Paris 1983, 334 p.

2 - Jean-Pierre Changeux, Paul Ricoeur, La Nature et la Règle, Odile Jacob, Paris 1998, 350 p.

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