HISTOIRE
Marie-Françoise Baslez, Les premiers bâtisseurs de l’Église. Correspondances épiscopales (IIe-IIIe siècles)
Fayard, Paris 2016, 303 p.+ 2 cartes
Historienne de l’Antiquité gréco-romaine, Marie-Françoise Baslez s’est fait connaître par des ouvrages de référence. Son nouveau livre analyse les correspondances des évêques des IIe et IIIe siècles jusqu’au début du IVe siècle, avec l’avènement de Constantin et le concile de Nicée (325). Les sources étudiées vont des Lettres d’Ignace d’Antioche (vers 115) à la correspondance de Cyprien de Carthage à la fin de la période, en passant par celles de Polycarpe de Smyrne (vers 156). L’auteure y ajoute quelques inscriptions, dont celle de l’évêque Abercius qui, au IIe siècle, a beaucoup voyagé et visité nombre d’Églises, entre Rome et la frontière de l’Empire perse.
En plus des épîtres publiées, M.-F. Baslez s’attache à dégager les nombreuses lettres citées ou résumées dans l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée, le premier grand historien de l’Antiquité chrétienne (mort en 340). Sa méthode consiste à extraire du récit historique à caractère théologique d’Eusèbe tout ce qui concerne les événements, les conflits, les débats qui ont agité l’Église des premiers siècles.
Avec les autres sources textuelles, l’historienne retrace les axes, les évolutions, les dynamiques qui ont conduit à l’émergence de la « Grande Église », selon le mot du païen Celse, cité par Origène. Elle fait apparaître des hommes de terrain, enracinés dans un terreau local ou venant de l’extérieur, susceptibles d’apporter du renouvellement, comme Irénée de Lyon ou Paul de Samosate à Antioche ; des hommes de réseaux, comme l’évêque Denys de Corinthe (vers 170) ou Denys d’Alexandrie (au milieu du IIIe siècle), qui, par leurs lettres, tissent un maillage régional en Grèce ou plus tard en Égypte.
L’évêque alors est avant tout l’ordonnateur de la chrétienté locale. Ce que nous appelons hiérarchie consiste d’abord en un développement d’une organisation pratique, souvent issue des modèles des associations civiles grecques. Les justifications théologiques, telle celle de l’évêque image du Père chez Ignace d’Antioche ou celle de l’évêque successeur des apôtres chez Eusèbe, viennent en second, après les réponses pragmatiques aux besoins de la communauté. L’apparition d’un cursus ecclésiastique, d’un « ordre » au sens romain, n’apparaîtra que plus tard et en Occident. Le presbytre recevra alors à Carthage des honneurs, des privilèges et une gratification : « Une forme de sacerdotalisation était en cours (...) qui séparait et distinguait le clerc de l’homme ordinaire, impliqué dans les activités profanes », note l’auteure. La charge de lecteur revêt alors une importance particulière car l’annonce de la parole est essentielle dans l’évangélisation. « Le ministère de la parole est une particularité des Églises à l’intérieur du mouvement associatif antique », remarque l’his-torienne.
À côté de l’idée de réseaux, M.-F. Baslez développe la question de l’autorité, en se distançant des thèses qui opposent l’évêque et les charismatiques. Ceux-ci, dès l’époque du Nouveau Testament (Philippe et ses filles prophétesses dans les Actes des Apôtres), jouent un rôle important. Parfois, comme en Phrygie, la « Nouvelle prophétie » s’érige en com-munauté séparée, comme une alternative à une Église trop installée et trop institutionnalisée. Mais il y aussi des évêques charismatiques (Méliton en Asie mineure, Narcisse à Jérusalem).
Les problèmes d’autorité ont été particulièrement cruciaux au moment des persécutions. Comment gérer l’absence de l’évêque lorsque celui-ci a fui ? Des « confesseurs », c’est-à-dire ordinairement des membres du clergé porteurs de l’Esprit, qui n’ont pas failli pendant la persécution et ont enduré les tortures, assurent l’intérim pendant l’absence de l’évêque.
La consolidation de l’autorité épiscopale se fera aussi par l’activation des réseaux horizontaux, par les lettres et en s’appuyant sur l’autorité charismatique du confesseur. L’absence de l’évêque, certes, ne facilitera pas les choses, toutefois ce problème restera interne au clergé. Entre exclure ou persuader, la pastorale compréhensive (le fait de réintégrer au coup par coup ceux qui ont abandonné la foi à cause des persécutions) l’emportera et, en définitive, renforcera l’autorité de l’évêque.
Progressivement, à travers les correspondances épiscopales, on voit ainsi se bâtir la « Grande Église ». « Ces lettres déroulent le film d’une Église en construction, que les évêques travaillent à édifier selon deux dynamiques : l’une fédérative, par la réunion des Églises locales et de leurs représentants dans l’institution synodale, et l’autre inclusive, par une pastorale qui vise à la réintégration plutôt qu’à l’excommunication », conclut l’historienne.
Sans succomber aux anachronismes, cette enquête historienne ouvre le regard sur l’Église actuelle. Un bel ouvrage, qui fourmille d’anecdotes prises sur le vif, tirées de ses sources, qui en rendent la lecture captivante.
Joseph Hug sj
PHILOSOPHIE
Philippe Capelle-Dumont
Dieu, bien entendu. Le génie intellectuel du christianisme,
entretiens avec Jean-François Petit
Paris, Salvator 2016, 242 p.
Dieu, bien entendu, signifie deux choses. C’est évidemment de Dieu qu’il est question, et c’est de Dieu si possible bien compris qu’il s’agit. Si possible, dans la mesure de ce qui est possible à l’homme, sous les deux modalités de la philosophie et de la théologie, de l’intelligence rationnelle et de l’intelligence de la foi.
Il y a longtemps que je n’ai lu quelque chose d’aussi généreux, d’aussi lumineux, d’aussi attentif à la pensée d’autrui que ces entretiens entre Jean-François Petit et Philippe Capelle-Dumont, ancien doyen de la Faculté de philosophie de l’Institut catholique de Paris, président de l’Académie catholique de France. Tout ce qui concerne aujourd’hui le « génie » du christianisme se profile ici, dans ce tour d’horizon et ce diagnostic de l’état de l’Église et de la chrétienté en tant qu’institution, espace de culture intellectuelle et large vivier spirituel. Et dans tous ces domaines, Philippe Capelle-Dumont répond aux questions de son interlocuteur avec une pertinence et une justesse d’information qui ravissent et étonnent à la fois.
Le ton général, témoin d’une conviction de fond et d’une fidélité sans faille, est sans doute donné par cette remarque : « L’Église par sa structure institutionnelle raconte l’histoire sainte et n’exprime pas d’abord ni essentiellement un dispositif démocratique de prises de parole croyantes. C’est là même une ligne de partage entre la conception mystérieuse et incarnée de l’Église et une conception idéologique soumise aux aléas du temps. » C’est dire aussi que la philosophie n’y est jamais abordée dans ses risques idéologiques, mais toujours dans sa dimension noble, scientifique et métaphysique, de recherche de la vraie sagesse.
Philibert Secretan
BIBLE
Mgr Robert Le Gall
Devenir le disciple que Jésus aimait
Lecture de saint Jean
Paris, Parole et Silence 2016, 240 p.
Nous sommes fortement encouragés à faire une lecture suivie du quatrième Évangile qui, d’après Mgr Le Gall, est l’un des plus abordables par le langage, les images, les symboles profonds et saints à la fois. Il faut dire que le texte grec de Jean est le premier - tant il est clair et simple - que l’on donne à traduire aux étudiants en grec biblique. L’auteur nous propose une lectio divina partagée sur l’Évangile de Jean, ses lettres et des incursions dans son Apocalypse.
Qui était le « disciple bien-aimé » à qui Irénée attribue l’écriture de ce quatrième Évangile ? Le voile n’a pas tout à fait été levé, mais l’ouvrage de l’archevêque de Toulouse est fait pour que nous devenions toujours davantage, les uns et les autres, ce « disciple que Jésus aimait ». Pour que nous soyons de ceux qui répondent à Jésus, avec Simon Pierre : « Tu sais bien que je t’aime ! »
Le livre présente diverses interventions sur saint Jean, qu’elles soient dans le diocèse de Toulouse, à Toronto ou en Nouvelle Calédonie. Pour les prêtres, Mgr Le Gall montre la continuité entre le sacerdoce de Moïse et celui de Jésus, illustrant sa devise : « Donner Dieu aux hommes pour donner les hommes à Dieu. » Un ouvrage tonique, qui saura enrichir notre colloque intime avec le Seigneur.
Monique Desthieux
SPIRITUALITE
Gregorio Manzur
Le souffle du chi
Renouveler son énergie intérieure
Paris, Albin Michel 2016, 238 p.
Vous connaissez cet art martial, composé de cent huit mouvements continus et circulaires qui s’enchaînent avec lenteur et précision ? On en voit des adeptes dans les parcs. Tai-chi, chigong : ces pratiques découlent de siècles de recherches sur les fondements de notre nature humaine comme chemin spirituel et pour préserver une bonne santé.
Gregorio Manzur, écrivain, originaire d’Argentine et installé à Paris depuis 1965, a découvert une expérience qui a transformé sa vie. Les enseignements du maître Gu Meisheng en 1984, à la Sorbonne, l’ont ouvert aux grandes philosophies chinoises : taoïsme, confucianisme et bouddhisme chan. Puis il a lui-même enseigné cette pratique. Pour les Chinois, le chi est le souffle vital. C’est une énergie universelle qui est à l’origine de notre monde et de l’Univers. Nous ne possédons pas le chi, nous sommes le chi !
Ce livre, issu du dialogue entre l’auteur et ses élèves, peut aussi éclairer ceux qui découvrent cette sagesse.
Marie-Thérèse Bouchardy
Michel Barlow
L’Espérance. Un don gratuit de Dieu
Bière, Cabédita 2016, 92 p.
L’espérance a mauvaise presse de nos jours. Pour nos contemporains, le plus souvent, n’est-elle pas une négation du réel? L’auteur, avec humour et des ima-ges particulièrement pertinentes et parlantes, redonne toutes ses lettres de noblesse à la deuxième vertu théologale, si chère à Péguy. L’espérance en un avenir meilleur s’oppose à une attitude passive, résignée. Un bon exemple en serait l’attitude des « résistants » au nazisme lors de la dernière guerre. Ils espéraient de tout leur être le retour du drapeau tricolore sur le sol français.
Michel Barlow, prédicateur laïc au sein de l’Église protestante, rejoint l’intuition de la Réforme en affirmant que le croyant n’a pas à gagner sa vie en accumulant les mérites. La grâce est donnée gratuitement. C’est cette grâce donnée par un Père infiniment aimant qui nous donne « l’espérance » d’être accompagnés par son Fils Jésus-Christ, pour nous aider à grandir en humanité, à nous humaniser toujours davantage. Revêtus de la grâce divine nous serons à même d’être comme un enfant qui se projette avec « espérance » dans l’avenir, tant il se sent encouragé, dynamisé par l’amour et la confiance que ses parents mettent en lui.
Monique Desthieux
SOCIÉTÉ
Séverine Vitali
La cuisine des réfugiés
Photos Ursula Markus
Lausanne, Helvetiq 2016, 76 p.
« L’appétit vient en mangeant », dit le dicton. L’appétit pour le mon-de ne fait pas exception. Se joindre à la table d’autres cultures que la sienne permet d’attiser la curiosité et l’envie de rencontre. C’est le but visé par l’interprète zurichoise, mem-bre du réseau Solinetz, Séverine Vitali. Elle invite à découvrir les plats de seize pays desquels sont issus une grande majorité des réfugiés dans notre pays. Et pour attiser l’intérêt, elle accompagne les recettes de cuisine du portrait de son auteur et du récit de son parcours d’exilé. Ce livre ne force pas l’appétit, il dit : voilà qui je suis ; un être aux racines essentielles à son équilibre.
La cuisine des réfugiés est un livre de culture donc, mais aussi de papilles. Les recettes proposées ne sont pas de simples prétextes. Elles sont détaillées et accompagnées des photographies d’Ursula Markus. Un vrai travail d’exhausteur de goût. Ces images présentent les ingrédients, les plats et leurs auteurs. Elles dégagent une atmosphère familiale et dépeignent le cadre de vie des réfugiés. Et pour ne rien gâcher, l’objet est beau et agréable à tenir en main.
Céline Fossati
TEMOIGNAGE
Christian Vinel
La maladie peut faire grandir
Témoignage et réflexions
Namur, Fidélité 2016, 142 p.
À 49 ans, un prêtre plein d’énergie et d’enthousiasme se voit confronté à la maladie : cancer du colon avec métastases aux poumons et au foie. La prière et la communion avec ses amis vont l’aider. Il se sent entouré et de Dieu et de ses proches, et sa confiance se met à croître alors que ses forces diminuent.
Dans ses news, les messages qu’il envoie, on redécouvre avec lui des passages de l’Évangile qui, relus et médités, font grandir chacun. Cette maladie, confie-t-il, est comme un temps sabbatique pendant lequel il prend soin de lui et s’émerveille des rencontres que le Seigneur suscite. Il cite le pape Benoît XVI : « Les malades ne sont pas étrangers au destin du monde. Dieu, en grand artiste, forme jour après jour, y compris avec la contribution des malades, une grande mosaïque dont ils sont comme les pierres précieuses. »
Cette difficile traversée de cinq ans, avec chimiothérapies, opérations, rémissions et dernier pèlerinage à Lourdes avant son passage dans l’au-delà, est à la fois bouleversante et vivifiante, tant la patience et la confiance du malade grandissent. Il se répète encore et encore que Dieu a son temps à Lui, même si c’est dur. Il apprend à accepter que tout ne dépend pas de lui-même, qu’un Autre s’occupe de lui... À être cool sans pour autant démissionner ou être fainéant. Il appelle ça «conversion ». Qu’Il grandisse et que je diminue... Et de citer Paul Claudel : « Dieu n’est pas venu pour supprimer la souffrance. Il n’est même pas venu l’expliquer, il est venu la remplir de Sa présence. »
Merci aux amis de Christian Vinel qui ont décidé de partager cette expérience de confiance, d’apprivoisement de la souffrance. On ne ressort pas de ce témoignage comme on y est entré. Les photos sont des rayons de soleil.
Marie-Luce Dayer
Ysabel Saïah-Baudis
Oum Kalsoum
L’étoile de l’Orient
Paris, du Rocher 2016, 350 p.
Le Rossignol du Delta ! Oum Kalsoum (1904-1973), issue d’un petit village du delta du Nil, a accompagné de sa voix splendide, qui transcendait l’amour et magnifiait le pays, tout un siècle d’histoire de l’Égypte. Mais elle a aussi atteint le cœur de milliers d’Arabes. Elle a connu les plus grands de leurs poètes dont elle interprétait les textes. Aujourd’hui encore, elle « catalyse le mon-de arabe (...) elle exprime toute l’âme arabe » et touche les cœurs du peuple aussi bien que ceux des dirigeants.
« Je ne suis pas une personnalité politique, je suis une chanteuse qui aime son pays », disait-elle. Car elle savait se servir des mots aussi bien que de sa voix. Le mythe d’Oum Kalsoum n’a cessé de grandir. « C’est la personnalité la plus forte et la plus connue de l’art arabe... L’étoile de l’Orient. »
Ysabel Saïah-Baudis, journaliste et auteure, fait revivre cette « icône de l’art » à partir de témoignages de proches et d’admirateurs. Elle nous offre un éclairage lumineux sur cette star mythique orientale.
Marie-Thérèse Bouchardy
LITTERATURE
Jean-Marie Marconot
La Bible et les écrivains
Bière / Nîmes, Cabedita / Riresc 2016, 190 p.
Pendant une quinzaine d’années, l’auteur, formé à la sociolinguistique et intéressé par les récits de vie et de quartiers, a animé le groupe de Recherches bibliques interdisciplinaires à l’Université Paul Valéry de Montpellier. II nous offre, dans ce livre qui n’est pas ordinaire, un bref parcours de vingt-huit écrivains de langue française qui ont cité dans leurs œuvres certains passages de la Bible. Bien sûr, nous dit-il, il faudrait un livre pour chaque auteur !
Partant de la chanson de Roland, de Marie de France et de Villon, passant par Rousseau, Hugo, Lamartine, Ramuz, Sartre, Bernanos, Apollinaire et ... Geor-ges Brassens, pour n’en citer que quel-ques-uns, il nous entraîne dans des découvertes enthousiasmantes.
Je relèverai Agrippa d’Aubigné et sa tendresse pour les pauvres. Ramuz, montagnard tranquille que le roman Adam et Eve (1932) fit sortir de la pauvreté. Flaubert lu par Sartre ... surprenant ! Apollinaire, que sa mère n’habillait que de bleu et de blanc et qui la nuit, avec son camarade, quittait le dortoir pour aller prier dans la chapelle. Francis Jammes, qui pour comprendre son destin de poète se comparait à un animal domestique (un vieux cheval cassé ou une chienne à qui le maître prend les petits pour les jeter à l’eau). Enfin Brassens, que j’ai tant aimé et aime toujours, qui mettra en musique un poème de Jam-mes, chantera La mauvaise réputation, La ballade des cimetières, Le testament, la Chanson de l’Auvergnat et tant d’autres. Brassens cite Jésus (nom araméen), mais quand celui-ci est appelé Christ, nous dit-il, il devient un autre personnage ... celui des tableaux officiels dans les églises.
Je pourrais encore citer Joan Bodon qui écrit en langue d’oc, ou Renan ou Vigny, mais je vous laisse le soin de les découvrir avec le même bonheur qui fut le mien.
Étudier la Bible chez les écrivains est malaisé, confie l’auteur, car elle-même n’est pas simple. Mais il relève un trait essentiel : communautés religieuses et auteurs partagent le même destin et le même langage. Les symboles appartiennent à toute la vie sociale.
Marie-Luce Dayer
Sous la direction de
Joseph Famerée
Dieu, un personnage de roman ?
Namur, Lumen Vitae 2016, 86 p.
Cet ouvrage reprend les exposés d’un colloque tenu à Louvain. Patrick Kéchichian, l’un des auteurs, s’attaque à un vaste sujet : l’énigme de la littérature catholique en France, de la seconde moi-tié du XIXe siècle à la première moitié du XXe siècle. Littérature catholique ... c’est de fait plus un paradoxe qu’une énigme comme l’annonce le titre de sa conférence.
Pour le philosophe Jacques Maritain, il fallait avoir le cœur et l’art assez purs pour peindre le mal sans connivence. D’où une vive discussion avec François Mauriac, qui aimait à se définir comme un catholique qui fait des romans, et qui était tourmenté, comme ses écrits en témoignent. La connivence du romancier est indispensable, disait Mauriac, elle est la condition de son art, car le romancier est un créateur de vie fictive et s’identifie à la créature. Les passions du cœur sont donc le pain et le vin de l’écrivain. Les décrire sans connivence est à la portée du philosophe et du moraliste, non de celui dont l’art consiste à rendre sensible l’imaginaire, ce monde plein de délices criminels mais aussi de sainteté.
Georges Bernanos se situait, lui, au-delà du carcan de la psychologie sociale ou individuelle. La grâce est l’axe de l’action, elle dessine et détermine les personnages, pensait-il. Et c’est le néant existentiel, la vacuité et la mort de l’âme qui traduisent l’absence de Dieu. Mais si ce métier d’écrivain est une aventure spirituelle, c’est aussi un calvaire. « Mes livres et moi ne font qu’un », dira-t-il.
Autre participant au colloque, l’écrivain Gabriel Ringlet, qui montre comment le personnage de Dieu est abordé dans quelques fictions. Ainsi Jean Grosjean raconte la Bible en en faisant un récit. Il comble les ellipses du texte et rend l’énigme qui le traverse : Dieu nous échappe car il passe, il est furtif.
Ce livre retient l’attention parce qu’il pose la question : le roman, la poésie, la littérature en général nous parlent-ils mieux de Dieu que la théologie ?
Jean-Daniel Farine