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jeudi, 19 mars 2020 18:44

Éco & Co

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Le marché des fruits de mer de Wuhan a fermé ses portes après que le nouveau coronavirus y a été détecté pour la première fois. 21 janvier 2020 © Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 InternationalÉco, c’est bien sûr l’abréviation d’économie; Co, celle de Coronavirus. Quelle est l’incidence de la pandémie de coronavirus sur l’économie? Certaines conséquences se sont déjà fait sentir, d’autres sont à venir. Restent les plus profondes, me semble-t-il, mais peut-être pas les plus durables: celles d’ordre culturel, voire spirituel. Elles peuvent avoir une incidence favorable, non plus sur l’économie, mais sur notre société dans son rapport au monde.

À la différence de la crise de 2008 où les errements de la finance mondialisée se sont répercutés, d’abord sur le commerce, puis sur la production, mettant finalement au chômage des millions d’employés de par le monde, la crise du coronavirus, elle, a frappé en premier lieu les servants de la machine économique.

Arrêt brutal de la machine économique

D’abord les ouvriers de Wuhan, cette grosse cité industrielle chinoise, forte de onze millions d’habitants, sous-traitante de milliers d’entreprises industrielles. Ces entreprises, suives par les plus proches par l’économie et la géographie, soit la Corée du Sud, le Japon, l’Australie et Taïwan, puis, de fil en aiguille, celles d’Europe et des États-Unis ont dû restreindre ou arrêter leur production. Pensons à Renault en Corée, Michelin en Allemagne, en France et en Espagne, et ce avant même qu’elles ne soient contraintes au chômage technique pour cause d’absence ou, dans les situations les plus radicales, de confinement de leurs employés.

Le transport étant touché par les restrictions, toute la filière touristique mondiale s’est aussi effondrée. Il est vrai que, avant même les restrictions de déplacement et le confinement de pays entiers (la Chine d’abord, puis, l’Italie, la France et finalement l’Europe), s’est tari l’afflux des touristes chinois, qui représentaient 18% du total en 2019. Les compagnies aériennes furent les premières à crier «à l’aide!» À quoi se sont ajoutés les effets indirects de l’effondrement des marchés financiers paniqués par l’incertitude de l’économie réelle.

Les entreprises les plus fragiles, parmi lesquelles les plus petites, menacées de faillite, sont secourues tant bien que mal par les autorités publiques. Indirectement par une politique monétaire accommodante pour faire baisser les taux d’intérêt et faciliter les emprunts -ce qui n’a pas empêché les banques, alourdies par une augmentation sensible de créances douteuses, de restreindre les crédits qu’elles accordent aux entreprises et aux ménages. L’aide directe de l’État transite alors par des délais de paiements concernant les taxes et cotisations versées par les entreprises, par des crédits d’impôt et des subventions ciblées.

Le virus a donc précipité la tendance au ralentissement de l’économie mondiale, tendance déjà perceptible depuis deux ans, marquée par une stagnation de la production industrielle mondiale et un fort ralentissement du taux de croissance des investissements.

Remise en cause de la division internationale du travail

Contrairement à l’espoir caressé en février 2020, lorsque la crise du coronavirus semblait n’être qu’un épisode économico-biologique localisé en Chine, il est peu probable que l’économie mondiale reparte après la crise sur le même pied. La raison en est que la division internationale du travail a montré ici l’une de ses failles industrielles, douze ans après que la mondialisation financière eut montré ses propres effets dangereux (Lire Étienne Perrot, Tragédies financières, in choisir n°581, mai 2008). Certes, personne ne met en doute l’intérêt économique de produire des biens ou des services dans les pays qui, de par leurs ressources naturelles, leurs réglementations sanitaires ou sociales ou leur environnement culturel, sont les mieux disposés. Mais la logique économique du «zéro stock» et du flux tendu -rendement financier oblige- devient dramatique en cas de rupture de la chaine internationale de production.

Foin des diatribes stériles sur la responsabilité des autorités sanitaires chinoises, on peut, et avec justes raisons, accuser le capitalisme, la finance internationale ou encore la politique des États qui aident, par tous les moyens possibles, monétaires, budgétaires et réglementaires, leurs champions nationaux face à la concurrence étrangère. En réalité, se manifeste ici un effet pervers d’un système économique devenu complexe.

Un système trop complexe

Dans ce système se croisent, pour le même individu comme pour le même pays ou pour un ensemble de pays, des logiques divergentes: logiques de court terme et de long terme, d’intérêt local et d’intérêt national, de souci familial et de souci professionnel, d’économique et de social, de social et d’écologique, de consommateur et de salarié, de travail et de loisir, de proximité et d’horizons lointains… Cet imbroglio de contradictions conduit les systèmes complexes vers une sorte d’autonomie qui échappe à la volonté d’un seul. D’où l’impression d’un navire fou sans commandant, errant au gré des courants et des vents.

Image de ClaudiaWollesen/Pixabay

Les théories du complot naissent facilement dans un tel contexte, mais aussi les idéologues à la recherche de gouvernements autocratiques. La Chine en est la caricature quand elle veut apparaître comme le modèle qui, par des décisions rigoureuses brutalement appliquées, a réussi, mieux que les pays occidentaux, à gérer la crise. Comme le rapporte mon correspondant de Pékin: «Prise de température par thermomètre laser à l’entrée de l’aéroport, à l’entrée de l’avion, à la sortie de l’avion, à l’entrée des hôtels, dans tous les lieux publics, y compris les entrées d’immeubles, avec transfert immédiat à l’hôpital pour tous ceux qui ont le malheur d’avoir une température supérieure à 37,5°. Le tout en utilisant l’appareil sécuritaire ultra-perfectionné du gouvernement pour veiller au bon respect des règles imposées par les autorités, y compris l’usage de drones pour surveiller les faits et gestes de chacun, pour rappeler à l’ordre par haut-parleurs ceux qui contreviennent aux règles et vérifier à distance la température de chacun; développement de nouvelles applications via le smartphone permettant de géo-localiser les personnes contaminées ou d’évaluer les risques portés par son propriétaire éventuellement contaminé, selon les lieux où il s’est rendu durant les dernières semaines.»

Effets du repliement sur soi

La crise du coronavirus ne peut que renforcer la tendance au repli nationaliste déjà perceptible auparavant dans maints pays d’Europe et d’Amérique. Les politiques des États-Unis, du Brésil, de la Grande-Bretagne en sont les aspects les plus spectaculaires. En fait, depuis longtemps, chaque pays tente d’imiter les États-Unis, en délaissant, au grand dam de l’Union européenne, les accords multilatéraux, pour se focaliser sur des accords bilatéraux où le plus fort impose son diktat.

La théorie économique nous enseigne que ce repliement sur les espaces nationaux aura un effet négatif -plus ou moins sensible selon la taille des pays- sur la productivité économique globale de la planète. Une diminution de la division internationale du travail ne peut donc que ralentir la croissance économique globale, à la grande joie des écologistes. Le coût de la vie renchérira dans tous les pays, mais un peu moins que la moyenne dans les grands pays qui, comme les États-Unis, ont les ressources naturelles les plus diversifiées. Ce qui appellera une coopération régionale entre pays modestes qui ne peuvent pas se permettre, comme les plus gros, une autarcie quasi complète.

Un nouveau rapport au monde

Est-ce une mauvaise chose? Je ne le crois pas! Parmi toutes les conséquences possibles, la lutte écologique en deviendra plus facile. Tous les problèmes sociaux ne seront pas résolus pour autant, mais un nouveau rapport au monde s’établira, qui ne considèrera plus la croissance économique comme le sésame de tous les bonheurs. La crise actuelle a également montré l’intérêt pratique des relations électroniques. Il en restera sans aucun doute quelques habitudes qui changeront le style de nos relations humaines. Plus fondamentalement, la guerre contre le coronavirus, comme toutes les guerres, mettra chacun devant des interrogations fondamentales inédites touchant le sens de sa vie.

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