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mardi, 23 février 2016 09:01

Alep : le temps des miracles...

Alep populationA Alep, en Syrie, l’hiver se poursuit sous les obus. L’absence d’eau se fait cruelle. Les habitants ne manquent pas d’ingéniosité pour économiser ce « or sans odeur », comme le raconte dans son journal le Père jésuite Sami Hallak sj. Chaque goutte d’eau est utilisée deux à trois fois... Et malgré les drames quotidiens ceux qui n’ont pas les moyens de partir veulent continuer à croire aux miracles.

22 janvier 2016

Le moral de la population d’Alep est très bas. L’eau de la ville est coupée, et on parle d’une longue coupure. L’Etat islamique, qui contrôle le barrage alimentant Alep en eau, a coupé l’eau pour des raisons qu’on ignore encore. Un motif de plus pour quitter la ville et, tant qu’on y est, se rendre en Occident. On apprend que de plus en plus de familles émigrent au Canada. A la résidence du Service jésuite des réfugiés, nous avons un grand réservoir (22 000 litres), mais nous avons également une grande consommation. Plus de vingt personnes travaillent à la résidence. Le réservoir peut nous fournir de l’eau pour 12 jours maximum. Je m’inquiète moi aussi.

27 janvier 2016
Toujours des histoires d’obus. Cette fois il est tombé en face de l’église Saint-Michel à 11h du matin. Nous avons une vitre cassée, deux ou trois vitres ont eu des fissures. Le bruit était énorme.
L’eau est toujours coupée. Le désespoir des gens est tel que j’ai été obligé de dire dimanche, dans l’homélie, que l’eau va revenir d’ici une semaine : une affirmation de foi et d’espoir. Cela a fait un bon effet sur les gens, surtout que d’autres affirment, sans référence (tout comme moi), que l’eau sera coupée pour très longtemps. Depuis des mois, j’encourage les gens à la pensée positive. C’est notre seul moyen pour survivre. Toujours est-il que depuis hier, les rumeurs annoncent un retour de l’eau pour samedi (in challah).
A Study Zone, j’apporte tous les deux jours 50 litres d’eau potable pour offrir des boissons chaudes aux étudiants.

5 février 2016
Quinzième jour de coupure d’eau. Les gens sont fatigués psychologiquement et accablés financièrement car ils doivent acheter l’eau : deux livres syriennes pour un litre d’eau non potable (pour les WC et la lessive, voire aussi pour la vaisselle). Notre grand réservoir d’eau non potable est à moitié vide. Je m’inquiète sérieusement.
Depuis trois jours, le Grand combat d’Alep a commencé. L’armée attaque et le bruit des tirs s’entend toute la nuit jusqu’au matin. On n’a pas besoin de réveil matin. Nous sommeillons durant les entractes... En riposte, les obus tombent sur les quartiers du régime. Un obus est tombé proche de l’église franciscaine (église de Saint-Bonaventure, connue comme l’église de Ram). La grande statue de la Vierge s’est cassée. C’est un signe néfaste pour les gens.
Ma maison familiale est en face d’elle, mais je ne m’inquiète pas, elle a déjà été aux trois quarts démolie par les explosions il y a sept mois, et il n’en reste que deux pièces. La porte de l’une d’elle est cassée par l’explosion. J’ai demandé à notre voisin, déplacé lui aussi car sa maison est démolie, de prendre, distribuer ou vendre les quelques affaires utilisables qui restent. Lui est moi avons dit la même phrase : « Vanité des vanités, tout est vanité. ». Une expérience mystique de la guerre.

14 février 2016
On apprend à l’école en Syrie que le pétrole est l’or noir, et le coton l’or blanc. Maintenant, on découvre que l’eau est l’or sans couleur. Et qu’il faut la traiter comme le fait l’orfèvre, c’est-à-dire avec beaucoup d’attention. Voici un mois que la ville est privée d’eau. Les gens l’achètent à un prix élevé ; une dépense qui s’ajoute à celle de l’électricité et qui pousse beaucoup à rester toute la nuit dans le noir, car ils ne peuvent pas se payer les deux. Entre l’eau et l’électricité, ils choisissent le plus nécessaire.
A part l’eau potable qui s’utilise une seule fois, chaque goutte d’eau est utilisée deux à trois fois. Si l’Alépin prend son bain, il met l’eau chaude dans un seau et il se met dans un bassin. L’eau qui coule de son corps est recueillie dans le bassin et sera utilisée pour les WC. Quand il lave le linge, l’eau restante, qui contient des détergents, est ramassée et utilisée pour le ménage (essuyer le sol). Ensuite, l’eau très sale qui reste est utilisée pour les WC (3e usage). Avec cela, on économise l’eau et les détergents tout à la fois. Ces derniers coutent énormément cher.
Notre réservoir de 20 000 litres était presque vide... Depuis trois jours, nous cherchions à nous approvisionner en eau, mais il fallait attendre notre tour ; la liste d’attente est longue. Par ses relations avec d’autres associations, le Père Ghassan a pu obtenir une citerne hier. On a eu 15 000 litres d’eau, une quantité incroyable. On peut passer le mois avec... Des rumeurs disent que l’eau reviendra d’ici un mois.
Petite anecdote : aujourd’hui c’est la Saint-Valentin. Le slogan : « Je t’aime même si tu pues. » Le cadeau le plus apprécié : un bidon rouge... à condition qu’il soit rempli d’eau.

15 février 2016
Journée macabre. Les combats sont intenses et la riposte aussi. Les obus tombent partout, mais les chrétiens n’y sont pas très sensibles tant qu’ils ne tombent pas sur leurs quartiers. Les morts restent pour eux des chiffres. Mais lorsque les bombardements atteignent les quartiers chrétiens, les chiffres deviennent des personnes. Avant-hier, trois personnes ont été tuées, hier, six. La peur envahit tous les chrétiens. Ils sont restés dans la ville parce qu’ils n’ont pas les moyens pour partir.
Pour la première fois à la télévision privée pro-régime, les cris de femmes chrétiennes interpellant le président ont été diffusés : « On en a assez, trouve une solution ! » Habituellement, les chaînes pro-régime et la télévision officielle interviewent des Alépins affirmant qu’ils acceptent les difficultés et les humiliations au nom de la résistance aux groupes armés et aux terroristes, ennemis de la nation.

18 février 2016
L’eau est toujours coupée. Nous recevons un bain turc de paroles. Des rumeurs disent que nous aurons l’eau dans deux jours, d’autres affirment que l’eau des puits creusés dans la ville a baissé jusqu’à un niveau alarmant. La consommation est grande. Deux millions de personnes ont besoin d’eau. Partout dans les rues, jour et nuit, on voit les camionnettes qui transportent l’eau. La bouteille d’eau potable est à 125 livres.
Mais les chrétiens arrivent encore à trouver des signes d’espérance. Dimanche dernier, je parlais avec un plombier. Il me demande si j’ai vu le miracle de la statue de la Vierge que l’obus a fait sauter. « Le miracle ? ai-je demandé, mais la statue est cassée ! » « Oui, dit-il, mais le visage de la Vierge et presque tout l’avant de la statue sont restés intactes. Ses mains jointes en prière sont légèrement cassées, c’est tout. C’est un miracle Père ! » Je me dis : « Ta foi est le miracle. La statue est tombée, cassée, et tu vois dans les débris des signes que le Seigneur est avec nous. » Cet homme m’a fait penser au centurion qui, devant le Christ mort, dit : « Vraiment cet homme était le fils de Dieu. »
Le plombier n’est pas seul. Beaucoup ont oublié que la statue est tombée et ne se rappellent que des parties qui sont restées « miraculeusement » intactes, même si ces parties ne forment que le tiers du volume.

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