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jeudi, 16 mars 2017 12:12

«Plus de bombes, mais plus d’eau non plus, ni de mazout»

JRS Alep janvier2017 Hallak 5 a4a8aEn janvier, le froid est mordant en Syrie. Les bombardements ont cessé, ce qui permet à la population de dormir plus sereinement, mais il manque encore tant de biens de première nécessité: mazout, électricité...

Dans son journal, le Père Sami Hallak sj, du JRS d'Alep, parle de son nouveau programme d'aide aux chrétiens résidents dans leur recherche d'un emploi en ville, un programme qui comprend également une aide psychologique et un accompagnement spirituel. Et de la distribution de sacs à 500 familles contenant notamment des sous-vêtements chauds.

Journal du Père Hallak sj du 10 févrierAU 16 mars 2017

10 février 2017

Voici un mois passé sans eau. Les gens sont devenus fous. Notre grand réservoir est vide. Nous le remplissons avec difficulté, car les camionnettes ne portent que 1500 ou 3000 litres à la fois et nous sommes 30 personnes Service jésuite des réfugiés (JRS) du matin au soir. Ajoutons à cela la difficulté d’avoir du mazout ou de l’essence pour faire fonctionner les générateurs, qui, à leur tour, font marcher les pompes. Le désespoir est tel que les gens souhaitent le retour du temps des obus. Au moins, disent-ils, nous avions de l’eau. Daech a coupé l’eau de l’Euphrate qui ravitaille la ville; on compte beaucoup sur les puits. Aucune négociation avec Daech n’est en cours.
Le JRS commence à étendre ses activités pour desservir ceux qui reviennent à Alep Est. Nous avons fait une distribution de vivres à Hanano, et nous inaugurerons la semaine prochaine un centre de distribution de repas chauds à Sakhour, dans des bâtiments annexes à une mosquée. J’ai rendu visite au directeur des Aoukaf Islamiya ("les dotations islamiques") et nous avons signé un contrat. Comme l’ancien emplacement de notre dispensaire, ce projet ne manque pas d'humour. Si quelqu’un demande: «Où est le centre jésuite?», on lui répond: «Dans la mosquée!»

14 février 2017

Le proverbe arabe dit Dieu éprouve et aide. Hier, la moitié de la ville était dans l’obscurité; il n’y a plus de mazout pour faire tourner les générateurs. Le moral chez moi a atteint un degré très bas: Sans eau, ni électricité, ni essence... seul le gaz est disponible. Je me suis réveillé avec cette mélancolie. À midi, l’eau est revenue après 45 jours de coupure. Soudain, le moral est remonté, non seulement chez moi, mais chez tout le monde. Lorsque quelqu’un reçoit un appel téléphonique de l’étranger, il répond à la salutation: «Dieu merci (Nouchkor Allah), je suis bien, on a de l’eau». Avec cette guerre, nous sommes arrivés à un tel point de simplicité qu’il ne nous faut pas grand-chose pour être heureux.

Aujourd’hui c’est la Saint-Valentin. Les Aleppins ne manquent pas d’humour. «Ne m’offre pas une fleur, je n’ai pas d’eau pour mettre dans mon vase. Offre-moi plutôt de l’eau»; «Ton amour est mazout pour mon cœur» (ton amour réchauffe mon cœur).

Notre centre à Sakhour a commencé hier ses activités: 400 repas ont été distribués. On prévoit d’atteindre aujourd’hui les 600 repas.

18 février 2017

L’eau est arrivée durant 2 jours seulement. Daech a recoupé l’eau. On dit qu’il la détourne vers les champs pour empêcher les chars d’avancer vers lui. Toujours est-il que nous sommes sans eau à nouveau, sans mazout, et le litre d’eau en bouteille atteint les 3 livres syriennes, autrement dit, il faut que chaque famille paye 10’000 livres de son salaire moyen de 35’000 livres pour l’eau seule.

Le Père Fouad sj est venu cette semaine avec deux membres de son équipe du JRS nationale. Sa visite a rompu ma solitude à laquelle je ne m’habituerai jamais. Une visite positive car il a eu le temps de sentir les choses dans la réalité. Dans ce domaine, j’ai une expérience négative avec des gens qui viennent quelques jours, se font inviter ici et là, voient à la hâte, et repartent avec la conviction qu’ils connaissent bien la situation à Alep... car ils y étaient. Pour Fouad, c'est différent. Il a bien vu et bien senti ce que les gens endurent.

25 février 2017

J’ai assisté aujourd’hui à la réunion des prêtres catholiques de la ville. Trente personnes étaient présentes. Les questions posées lors des discussions étaient ciblées, mais en vain. En Orient, nous avons l’art de contourner le problème et de noyer n’importe quelle cause. Bref, personne ne sent que la mentalité des gens a changé après 5 ans de guerre, et qu'un changement dans notre manière de faire s’avère nécessaire. L’aide que nous avons offert aux déplacés d’Alep Est est mis à l’index. «Pourquoi vous occupez- vous des non chrétiens?», disent certains évêques. Heureusement le vicaire de l’évêque latin a pris notre défense en signalant que ces interventions sont voulues par le Saint-Siège. En entendant le nom "Saint-Siège", tout le monde se tait mais sans conviction.

14 mars 2017

Hier, j’ai terminé une retraite que j’ai prêchée aux catéchistes de trois centres à Homs. La retraite a eu lieu à notre maison de Touffaha. Lorsque le scolastique Joseph el-Khoury m’a demandé la première fois de donner cette retraite, ma réponse a été négative. Mais le pauvre, ne trouvant pas quelqu’un pour le faire, m’a à nouveau sollicité et j’ai accepté. Je n’étais pas ravi. Plus la date s’approchait et plus le regret d’avoir accepté s'intensifiait. Faire cette longue et ennuyeuse route jusqu’à Touffaha et laisser mon travail alors que beaucoup de choses ne sont pas achevées... et puis, je dois affronter ma sècheresse spirituelle, une sécheresse que je ressens dans mes homélies et mes écrits. J’ai cherché la raison de cette sècheresse en vain. Je suis assidu à la prière, je me confesse régulièrement... Serait-ce la solitude? La nature de mon travail? Je ne sais pas.

Mais en arrivant sur place, mon sentiment a changé. Enfin des compagnons. Je dirai plus, des compagnons qui m’aiment, parlent avec simplicité et, surtout, me soutiennent. Ils étaient 4 scolastiques, et il y avait 50 retraitants. La sècheresse a disparu, ma langue a retrouvé son éloquence, et le moral est remonté. Jusqu’à ce jour, je ne peux pas expliquer les raisons de mon état d’avant et après. Mais être apprécié est une chose merveilleuse. Plus merveilleux encore les mots: «vas-y, fonce, je te soutiens.»

Bref, je suis rentré à Alpe avec de nouvelles forces pour continuer le travail.

16 mars 2017

Hier, l’armée a quitté Saint-Vartan. La maison est à nous actuellement. J’ai mis un gardien juste pour signifie que nous étions là, car il y a rien à garder, tout est en ruine. Les Sœurs du Rosaire cherchent une place pour leur école, car leur ancien bâtiment est encore entre les mains des rebelles. Elles ont utilisé des locaux chez Mgr. Audo, évêque des chaldéens. Mais ces locaux ne suffisent plus, et Mgr. Audo a besoin de ces pièces pour la vie de son évêché. J’ai contacté une congrégation de religieuses qui ont quitté la ville dès le début des événements. Je leur ai demandé si on pouvait, les Sœurs et nous les Jésuites, réparer et utiliser leur bâtiment qui a été entièrement pillé, mais elles ont refusé. Elles disent qu’elles ont l’intention de revenir et d’y faire des projets, sans préciser lesquels. Cela m’a donné du chagrin. Les Sœurs du Rosaire ont aussi perdu leur résidence au début de la guerre, mais elles sont restées à Alep, elles ont logé dans un appartement, et elles ont continué leur mission. Ensuite, les rumeurs qui circulent parmi le clergé et des laïcs laissent entendre que ces Sœurs ne vont pas revenir pour la mission mais pour l’argent. Elles compteraient sur les organisations internationales qui financent des projets pour réparer leur maison, faire quelques activités et toucher beaucoup d’argent.
Toujours est-il que, malgré ma déception, je prie et je demande à tous de prier, pour que l’école des Sœurs du Rosaire trouve un lieu pour poursuivre.

Quant à la vie quotidienne, elle est pénible. Nous sommes encore sans eau. C’est la coupure la plus longue: 40 jours. Et les puits commencent à s’assécher. Pour ajouter à notre malheur, j’ai accueilli plusieurs personnes pour passer des nuits à la résidence. J’étais content de ne pas être seul, mais inquiet car la consommation d'eau augmentait. Eh oui, le bonheur parfait n’est pas dans ce monde.

Sami Hallak sj

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