banner religion 2016
mardi, 19 juin 2018 10:44

La circoncision sans tabou

Maître de Saint-Severin, « La circoncision de Jésus », détail (vers 1490), musée du Louvre, © Julian Kumar / GODONGLa circoncision est perpétuée par les juifs avec énormément de respect. Elle signe l’alliance entre Dieu et Abraham (Brit Mila en hébreu). Pourtant, dans un livre récent,[1] Ran Kasher, un juif athée, examine sans tabou les effets de cette tradition qu’il réfute, créant la polémique. L’auteur a consacré presque vingt ans de sa vie à étudier la question. Il en a fait une mission personnelle.

Liz Hiller, Genève, journaliste

Ran Kasher, père de six enfants (une fille aînée et cinq garçons), se définit comme un homme juif, laïc et athée. C’est un activiste, conférencier et fondateur de la communauté Beofen.tv, une communauté qui vit de façon «naturelle», sans nécessaires adaptations aux changements culturels de la société. Elle favorise: l’éducation privée et non scolaire, la parentalité sans vaccins ni antibiotiques, l’accouchement chez soi, la grossesse sans intervention médicale, l’allaitement prolongé, une vie écologique, etc. La réflexion, profonde, de Ran Kasher sur l’acte de la circoncision s’inscrit dans cette voie naturelle. Elle est née alors qu’il avait déjà fait circoncire ses deux premiers fils, décision qu’il regrette aujourd’hui…

Tout a commencé il y a une vingtaine d’années, à la suite de la lecture d’un article scientifique américain abordant les effets médicaux de la circoncision. Alors que son épouse est enceinte de leur troisième garçon, Ran Kasher se met à étudier la question sous ses différents aspects: culturel et religieux, politique, médical, social, psychologique et même sexuel (sous l’angle du plaisir, sujet dont on n’ose pas souvent parler). Il est aujourd’hui très sollicité par les médias israéliens pour son point de vue non-conformiste qui pose une question concrète: quelles sont les conséquences de la circoncision?

Un respect interrogé

La circoncision est une tradition juive, respectée depuis 3000 ans partout dans le monde, à la fois chez les religieux et les laïcs. Cette mitzvah (une obligation selon la Torah) est pratiquée le huitième jour de la naissance d’un bébé masculin et signifie l’alliance spirituelle et physique entre Dieu et ce bébé qui vient de naître. «La circoncision est la première mitzvah qui est attribuée aux juifs dans la Torah. Cependant une personne est considérée comme juive si elle est née de mère juive, peu importe si la circoncision est pratiquée ou non», souligne Ran Kasher.

Pour ce père de famille, cette pratique est « une coutume qui engage beaucoup d’émotions. Il s’agit d’une croyance, d’une religion, et c’est la raison pour laquelle il est difficile d’en discuter de manière rationnelle. » Il pose cette simple question : « Pourquoi l’alliance créée par la circoncision n’existe qu’entre Dieu et les bébés de sexe masculin? Autrement dit, est-ce juste que le sexe féminin, soit 52 % de la population, soit exclu?»

Le chercheur explique que beaucoup de laïcs juifs perpétuent cette tradition par respect de la religion, mais aussi pour des raisons autres. «Sur le plan social, ils veulent faire comme tout le monde. Pour ce qui est des raisons médicales, beaucoup croient au mythe qui dit que la circoncision est avantageuse pour la santé de l’enfant, alors qu’il n’y a aucune organisation médicale au monde qui justifie cet acte sur un nouveau-né en bonne santé.» [2] Au contraire, Ran Kasher évoque des effets défavorables: «La vie sans le prépuce, la douleur du bébé en réaction à l’acte et les effets psychologiques en réaction au traumatisme, des complications qui peuvent surgir pendant et après l’acte également à l’âge adulte, des conséquences sur la futur vie sexuelle de la personne… Dans mon livre, j’ai voulu transmettre aux parents et aux futurs parents en particulier, des informations réelles sur tous ces sujets méconnus.»

Sur le plan médical

La circoncision se définit comme l’ablation totale ou partielle du prépuce, supprimant ainsi sa fonction et laissant en permanence le gland du pénis découvert. Pour Ran Kasher, il est primordial de connaître les effets d’ordre sexuel qu’elle induit. «Selon certaines études, un homme circoncis a plus de difficultés que les hommes ‹complets› à atteindre l’orgasme. Des effets négatifs sont également observables chez le partenaire sexuel féminin. L’homme circoncis développe une fine couche de peau dure sur la tête de son pénis, ce qui diminue la sensibilité de l’organe. Pour atteindre l’orgasme, il doit travailler davantage et cela peut mener à une expérience douloureuse pour la femme. En outre, lorsqu’un homme circoncis pénètre une femme sans ‹le mouvement de glissement› causé par le prépuce, il peut y avoir un effet douloureux sur la muqueuse de sa partenaire. Cela pourrait expliquer la douleur et la tendance à la sécheresse que connaissent certaines femmes avec des hommes circoncis. De plus en plus de sondages et d’études prouvent cette évidence : après l’ablation du prépuce, le coït est moins naturel car l’homme circoncis vit avec un handicap.»

Cet acte chirurgical irréversible n’est du reste pas dénué de risques. Il existe un danger de saignement, d’infection, de troubles psychologiques en réaction au traumatisme, etc. Le prépuce est un organe génital composé de peau à l’extérieur et de muqueuse à l’intérieur. Il possède une zone très érogène, la bande striée, qui contient plusieurs dizaines de milliers de terminaisons nerveuses. Et d’expliquer: «Le saignement est la complication la plus fréquente du fait que le prépuce est une zone dense en nerfs et en vaisseaux sanguins: une main peu professionnelle suffit à provoquer un saignement dangereux. Une autre complication assez fréquente est une infection, qui survient habituellement quatre à cinq jours après la circoncision, dès lors qu’il s’agit d’une zone particulièrement sensible, exposée notamment aux bactéries fécales.» L’auteur souligne: «C’est une intervention douloureuse, malgré l’anesthésie qui peut être pratiquée si les parents le désirent. Contrairement à ce que l’on a longtemps cru, les bébés souffrent psychologiquement autant que les adultes, voire plus, et mémorisent la douleur.»

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande la circoncision aux adultes dans les pays sub-sahariens, où l’épidémie du sida est très développée, «pourtant, cette recommandation a provoqué de nombreuses critiques de la part des organisations médicales européennes, à la fois à cause des études sur lesquelles elles reposent et de l’utilité marginale et potentielle de ces actions. En dehors de ces pays, l’OMS ne recommande pas la circoncision», indique encore Ran Kasher.

Enfin, existe-t-il un rapport entre circoncision et hygiène intime de l’homme? «La présence du prépuce n’a aucune incidence sur la propreté du pénis. Autrement dit, il n’y a pas de différence entre un homme circoncis et un homme intact si celui-ci lave chaque jour sa verge.»

Sur le plan religieux

Reste à examiner les côtés religieux et culturels. Selon Ran Kasher, il y a des arguments historiques qui vont à l’encontre du «mythe» religieux de la circoncision des nouveau-nés dans les temps bibliques: «La circoncision faite le huitième jour après la naissance d’un garçon a été mentionnée pour la première fois à la période perse (-538 -330), selon des sources historiques;[3] elle n’est citée dans la Genèse que lorsqu’il s’agit de l’alliance créée entre Dieu et Abraham. En dehors de ce cas, dans les récits de la Torah, seuls des hommes adultes subissent la circoncision.» Ran Kasher indique encore qu’à l’origine, « la réduction du prépuce était seulement symbolique et partielle, et non totale comme aujourd’hui: il s’agissait de couper la pointe du prépuce, de sorte qu’il ne couvre pas complètement la tête de l’organe…»

Cette tradition religieuse commence aussi à soulever des réticences politiques. Des pays se font moins tolérants. En juin 2012, par exemple, la justice allemande a estimé que la circoncision d’un enfant pour des motifs religieux était une blessure corporelle passible d’une condamnation. Un projet de loi islandais veut même interdire la circoncision des mineurs pour motifs non-médicaux.[4]

Pour Ran Kasher, une telle interdiction est une atteinte à la liberté religieuse qui ne va qu’aggraver la situation: «Je ne suis pas en faveur de lois que le public ne peut pas respecter; elles sont nuisibles et des freins aux vraies solutions. Chaque religion doit être respectée et la circoncision concerne d’ailleurs aussi les musulmans. De telles lois favorisent les conflits entre les religions et peuvent même être considérées comme des démarches antisémites ou islamophobes. Même si en Islande, où il y a très peu de juifs et de musulmans (4 %), il pourrait finalement s’agir d’une loi déclarative, sans implication pratique.

»Il est clair que couper le prépuce d’un bébé de huit jours ne répond à aucun critère de justice, mais en l’état actuel des choses, les règles contraignantes, les projets de lois contre la circoncision ne feront pas progresser la question dans la bonne direction. Pour moi, le vrai changement doit venir du bas, via la conscience personnelle de chaque personne, de chaque parent qui accepte de réfléchir avant de prendre cette décision pour son enfant, et non pas des autorités. Ce changement vers l’ouverture, cette réflexion est déjà en train de se produire et de se répandre rapidement grâce aux réseaux sociaux et aux médias, qui acceptent de discuter du sujet. Je le constate depuis deux ans, en Israël et ailleurs.»

Appel au discernement

Certains croient que l’être humain est venu sur Terre pour apporter son appui à l’humanité et prendre part à un plan plus grand que lui. Ran Kasher vit ce sentiment depuis vingt ans, mais de manière plus prononcée ces dernières années. Sa mission de vie va au-delà du prestige ou de toute raison économique ou matérielle. «Ma mission est d’aider les autres parents, par les informations et les faits que je peux leur fournir, à prendre cette décision essentielle. Je ne suis pas là pour convaincre les gens de me suivre. Ainsi mon livre n’est pas un ouvrage contre la circoncision mais au sujet de la circoncision et de ses effets.»

La vie nous confronte à des choix permanents. Ceux-ci nous permettent de mieux comprendre la loi universelle des causes et des conséquences, la loi des responsabilités. Décider et faire des choix est un passage obligé de l’être humain. «Pour mes deux garçons aînés, mon épouse et moi avons agi en mode automatique, avec cette idée: un enfant juif ‹doit être circoncis›. Heureusement nos trois autres garçons sont restés ‹complets›, par choix cette fois. Lorsque vous prenez cette décision pour votre enfant, il est nécessaire de distinguer les aspects rationnels et les aspects émotionnels, d’autant plus que votre enfant, lui, est totalement impuissant face à cet acte. Circoncire ou ne pas circoncire est donc un choix à faire suite à une vraie et profonde réflexion, menée en connaissance de cause et non pas à la légère.»

Une obligation centrale

La circoncision est une marque physique de la foi juive qui symbolise le lien spirituel avec Dieu: «J’établirai mon alliance entre moi et toi, et tes descendants après toi, selon leurs générations: ce sera une alliance perpétuelle, en vertu de laquelle je serai ton Dieu et celui de ta postérité après toi. (…) C’est ici mon alliance, que vous garderez entre moi et vous, et ta postérité après toi : tout mâle parmi vous sera circoncis. Vous vous circoncirez ; et ce sera un signe d’alliance entre moi et vous» (Gn 17,7 et 17,10-11: Bible Segond).

Cette mitzvah de la Brit Mila (alliance par la circoncision) est considérée comme la plus centrale et la plus importante des pratiques accomplies par le peuple juif, avant même celle du shabbat. Elle est intimement liée au concept d’identité juive. C’est un rappel constant de ce que la mission juive implique et c’est peut-être pour cette raison que, tout au long de l’histoire, les juifs ont été prêts à faire d’incroyables sacrifices pour la maintenir, jusqu’à risquer leur vie (comme à l’époque d’Antioche). Selon le midrash (un commentaire rabbinique de la Bible), la Brit Mila protège la personne circoncise de la descente aux enfers. Il s’agit donc d’une célébration joyeuse, qui symbolise une base fondamentale du judaïsme.

[1] Ran Kasher, Mila. Une seconde réflexion sur la Brit-Mila, kibboutz Kfar Giladi (Israël), beofen-tv 2017, 580 p.
[2] Des avantages médicaux liés à la circoncision sont toutefois identifiés par une étude de la Société canadienne de pédiatrie publiée en 2015. (n.d.l.r.)
[3] Cf. en français, Simon Claude Mimouni, La circoncision dans le monde judéen aux époques grecques et romaine. Histoire d’un conflit interne au judaisme, Paris-Louvain, Peeters 2007, 388 p.
[4] Le projet a été momentanément retiré. L'Église catholique du pays s'est positionnée contre. (n.d.l.r.)

Lu 2086 fois