La circoncision est donc selon vous un acte corporel important?
Absolument! Beaucoup de jeunes aujourd’hui se font tatouer (voir Le tatouage change de peau, entretien avec David Le Breton, in choisir n° 688). Ce sont des formes de revendications inscrites sur leur peau. Dans le judaïsme, la circoncision symbolise l’alliance avec Dieu. L’identité juive est gravée dans le corps. Pour nous, chrétiens, cela renvoie à notre compréhension de Noël, que Dieu s’est fait homme de manière très concrète.
Et Noël comme une fête de l’amour, cela ne vous paraît pas suffisant?
Noël est bien plus qu’une gentille fête de famille. Il est trop confortable de ne voir que le mignon petit Jésus dans la crèche. La circoncision montre une autre réalité: au huitième jour, le sang coule. Elle préfigure la mort de Jésus, où le sang coule à nouveau, lors de la crucifixion. Être seulement ému par l’enfant, ça ne suffit pas. Même quand les enfants atteignent des choses que les adultes ne sont pas en mesure de faire. C’est ce que nous montre Greta Thunberg.
Vous comparez Greta Thunberg à Jésus?
Je vois certains parallèles. Greta Thunberg fonctionne comme un phénomène car, par son statut de jeune fille, elle produit un effet complètement différent de celui que produirait un expert en climatologie à l’université. Sa faiblesse et sa vulnérabilité sont renforcées par son autisme. Cela crédibilise fortement son message. De la faiblesse naît la force.
Pour en revenir à la circoncision, en quoi quelques millimètres de prépuce pourraient-ils être si importants?
Ce n’est pas le prépuce qui est important, mais l’acte de circoncision. Donc le verbe, pas l’objet. Le rituel de la circoncision a une importance pour l’image que nous avons de Dieu, un Dieu qui descend jusque dans le corps humain. Avec la circoncision, Jésus entre dans l’alliance avec le peuple d’Israël, dans cette alliance qui n’a jamais été annulée, comme nous, catholiques, le confessons. Le souvenir de la circoncision de Jésus est d’une importance capitale pour la relation judéo-chrétienne.
Mais suite au concile Vatican II, l’Église a argumenté dans le sens inverse, voyant dans le souvenir de la circoncision de Jésus une source d’antijudaïsme.
Dans ce cas, l’Église a jeté le bébé avec l’eau du bain. Aujourd’hui, la circoncision est souvent perçue comme quelque chose d’archaïque, de retardé, d’étrange (cf. La circoncision sans tabou, in choisir n° 688). Pour lutter contre l’antisémitisme, il ne s’agit pas de supprimer les éléments juifs dans le christianisme, mais plutôt de les accueillir positivement.
Que dites-vous aux théologiennes féministes qui ont de la peine avec la circoncision, cette "fête des hommes"?
Le fait est que Jésus a été circoncis. Et il l’a été parce qu’il était un individu de sexe masculin. Ce sont les conditions de l’incarnation. Cela ne justifie cependant pas les structures patriarcales ni l’exclusion des femmes.
Dans un livre à paraître en mars 2020 (La circoncision de Jésus: sa signification pour les juifs et les chrétiens aujourd’hui / Beschneidung Jesu: Was sie Juden und Christen heute bedeutet, aux éditions Jan-Heiner Tück) vous écrivez: "Pour Zwingli, le baptême chrétien était le substitut de la circoncision juive. Les homélies de baptême, le jour de l’an, sont ainsi une grande tradition à Zurich". Les réformés ont-ils mieux compris que les catholiques le sens de la circoncision?
La tradition zwinglienne a en effet repris quelque chose de beau. La circoncision va de pair avec l’acte de donner un nom à l’enfant –ce qui, pour nous chrétiens a lieu au moment du baptême. Zwingli a reconnu le parallèle entre la circoncision juive et le baptême chrétien. D’un point de vue chrétien, les juifs entrent, par la circoncision, dans l’alliance «ancienne» mais toujours valide. Et par le baptême, les chrétiens entrent dans la nouvelle alliance.
Vous aviez déjà lancé en 2009 lancé une pétition pour la réintroduction de la Fête de la circoncision le 1er janvier. Les choses ont-elles évolué depuis?
Le sujet commence à revenir dans les débats dans l’Église. Le cardinal Walter Kasper a écrit la préface du livre mentionné. Le cardinal Reinhard Marx plaide également pour une réévaluation positive de cette fête.
Vous avez 54 ans. À Rome, les horloges tournent lentement. Pensez-vous que vous verrez de votre vivant ce changement dans le calendrier liturgique?
Non, je ne pense pas. Il ne serait pas non plus logique de faire adopter rapidement un tel changement par le haut. Cela doit être réalisé dans un processus. Mais il important que le sujet soit discuté, afin qu’une nouvelle prise de conscience et un approfondissement de la foi puissent avoir lieu à un large niveau.
Qu’est-ce qui vous empêche de célébrer, de façon personnelle, la circoncision du Seigneur le 1er janvier?
Le 1er janvier, c’est la fête de sainte Marie Mère de Dieu. Les textes correspondants doivent être lus. Mais l’Évangile traite aussi de la circoncision. Il est donc toujours possible de prêcher sur la circoncision le 1er janvier également. Cela a généralement un effet positif: les visages fatigués par les festivités du Nouvel An se réveillent alors rapidement!
Ne serait-il pas également cohérent de célébrer le jour de l’an avec des colombes? Ces oiseaux sont mentionnés dans la partie de l’Évangile consacrée à la circoncision de Jésus.
(Rires) Nous ne rejouons pas la circoncision, mais nous célébrons l’incarnation de Dieu dans un homme juif concret. Nous n’avons pas besoin de colombes, mais d’une reconnaissance claire de nos racines juives dans la liturgie.