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vendredi, 28 février 2014 09:49

Ida, de Pawel Pawlikowski

Chaque mois, la revue culturelle choisir offre à ses lecteurs les critiques de deux films projetés sur les écrans romands. Elles sont le fait de Patrick Bittar, auteur et réalisateur indépendant de documentaires et de courts-métrages de fiction, réalisateur multi-caméras pour KTO - la chaine de télévision catholique française. Cette fois, son choix s'est porté sur Ida, le très beau film en noir et blanc de Pawel Pawlikowski, et sur The Dallas Buyers Club, du Canadien Jean-Marc Vallée. Deux films évoquant des choix déterminés.

p33BittarAnna, orpheline élevée dans un couvent en Pologne, est sur le point de prononcer ses vœux définitifs quand la supérieure lui enjoint de rendre au préalable visite à sa tante. La jeune novice se rend donc en ville chez cette Wanda qu'elle ne connaît pas, la seule famille qui lui reste. Elle apprend que sa tante a été une procureure redoutée dans la Pologne communiste des années 50. Mais en cet hiver rude et gris de 1962, c'est une femme mûre, célibataire et dépressive, qui se réchauffe avec des rasades de vodka et dans les bras d'inconnus.
Auprès d'elle, Anna découvre une part de son identité (notamment son vrai prénom, Ida) et du destin tragique de sa famille, assassinée pendant l'occupation allemande. Les deux femmes partent sur les traces de ce passé douloureux, dans un village isolé, à la lisière d'une funeste forêt. Sur le chemin, Wanda tente de dissuader Ida de s'engager dans la vie consacrée. Elle prend en stop un beau saxophoniste. « Tu ne sais pas l'effet que tu produis », dira le jeune homme amoureux à la pieuse Ida (Agata Trzebuchowska), dont le beau minois irradie une pureté mystérieuse.
Pawel Pawlikowski, longtemps émigré à Oxford et Paris, n'avait jamais tourné dans son pays d'origine. Son film m'a fait penser à son compatriote et confrère Roman Polanski : le format 4/3 et l'incroyable qualité lumineuse du noir et blanc rappellent les premiers longs métrages (en 1962 d'ailleurs) de Polanski ; et ce dernier, pendant la guerre, s'était réfugié à la campagne, chez des fermiers, après s'être échappé du ghetto juif de Varsovie.
Ida traite d'un choix aujourd'hui peu compris, celui de la vie consacrée. Pawlikowski représente un quotidien conventuel très austère. Or, au cours de son parcours initiatique, Ida va goûter à la vie dans le monde. Mais elle en perçoit vite les limites, comparé à ce qui lui est promis et qu'elle a certainement entraperçu. Ainsi, lorsque le musicien lui propose de partir avec lui, Ida sourit : « Et après ? - Après, on achètera un chien et une maison ! Et on aura des enfants. - Et après ? - Après, on aura des problèmes, comme tout le monde ! »
Le choix radical de la vie consacrée et l'incompréhension qu'il suscite souvent m'évoquent une des cartes du Tarot de Marseille, elle aussi apparemment déconcertante : un homme pendu par un pied, les mains dans le dos. Cet arcane est une invitation à réorienter notre volonté, à en faire un organe du ciel. Comme les grands mystiques, le Pendu vit sous l'emprise de la gravitation spirituelle. C'est cette attraction qu'a voulu peut-être exprimer Pawlikowski, en positionnant souvent Ida en bas du cadre, avec beaucoup d'air au-dessus de sa tête.

Découvrez la bande-annonce et l'interview de Pawel Pawlikowski sur TV5 Monde sur cath.ch.

 

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