L’île du Dr Moreau est une adaptation du roman éponyme, publié en 1896, de l’écrivain britannique H.G. Wells, considéré comme le père de la science-fiction contemporaine, auteur de nombreux romans adaptés au cinéma, comme La Machine à explorer le temps, L’Homme invisible ou encore La Guerre des mondes…
Réalisé par Erle C. Kenton, c'est un film court (70’) et marquant. Dès le début, dans la séquence sur le bateau, lorsqu’en relevant M'ling, qui a été frappé par le capitaine, le héros (Edward) aperçoit ses oreilles pointues et velues, on est dans la brèche du réel caractéristique du fantastique, une brèche vers un monde étrange…
Si l’étrangeté est déjà dans le roman de Wells, sa matérialisation doit beaucoup au directeur de la photo Karl Strauss, qui avait travaillé sur le chef d’œuvre de Murnau L’Aurore (1927) et qui sera le directeur photo du Dictateur de Chaplin quelques années plus tard (1940). Il y a dans L’île du Dr Moreau des passages extraordinaires où Strauss joue sur les lignes mouvantes de lumière dans un décor mêlant minéral, végétal et humain.
L’étrangeté vient aussi du côté sadique du savant Moreau, auquel Charles Laughton donne un caractère raffiné, policé, presque cauteleux qui contraste avec le côté rugueux du reste des interprétations ou de la mise en scène. Je pense par exemple à la bande-son, où les hurlements des «monstres sous les scalpels du Dr sont très réalistes; ou encore au maquillage qui rendent les créatures velues effrayantes.
Le titre original Island of Lost Souls s’écarte de la référence au roman et donne une intonation plus «spirituelle» au film. Il y a quelque chose de diabolique dans le personnage du Dr Moreau, qui dit à Edward: «Savez-vous ce que ça fait de se sentir l'égal de Dieu?» Il crée même une sorte de Loi divine dégénérée, un pentalogue (1), dont le grand prêtre est joué par Bela Lugosi, l’inoubliable interprète de Dracula, ici méconnaissable avec son visage velu.
L’île du Dr Moreau fut interdit dans plusieurs États américains et, lors de sa ressortie en 1941, il fut contraint par le Code Hays (le code d’autorégulation des studios) à subir de nombreuses coupes. En Angleterre, il resta interdit jusqu'en 1958!
Ces années trente regorgent décidément de films audacieux. Rien que dans ce genre fantastique, la même année que L’île du Dr Moreau, sortaient:
- Freaks (La Monstrueuse parade) de Tod Browning, tourné avec des personnes ayant des malformations physiques;
- Dr X de Michael Curtiz, avec des chercheurs fous et difformes;
- The Most Dangerous Game (La Chasse du Comte Zaroff) de Schoedsack, où un comte russe s’adonne sur son île à la chasse à l’homme;
- The Old Dark House (Une soirée étrange) de James Whale, avec Boris Karloff, qui jouait Frankenstein un an avant;
- La Momie de Karl Freund, où l’on retrouve Boris Karloff en momie d’un prêtre égyptien ramenée à la vie.
Et alors que dans L’île du Dr Moreau, un expérimentateur démiurgique mixe l’homme et la bête, un an après, sortiront en salles:
- Tarzan, l’Homme Singe, où un être humain est élevé par ses aïeux les singes;
- King Kong, le singe monstrueux, plus humain que les humains qui l’exploitent et le tuent;
- Zoo in Budapest, où les animaux d’un zoo se révoltent.
Il y a eu deux autres adaptations cinéma de L’île du Dr Moreau: en 1977 avec Burt Lancaster, et en 1996 avec Marlon Brando (un ratage total). Une série télé est annoncée depuis deux ans (Moreau), écrite par le scénariste d’XMen (2). En attendant, régalez-vous avec cette version culte!
1. Ne pas marcher à quatre pattes. C’est la Loi. Ne sommes-nous pas des Hommes? Ne pas laper pour boire. C’est la Loi. Ne sommes-nous pas des Hommes? Ne pas manger de chair ni de poisson. C’est la Loi. Ne sommes-nous pas des Hommes? Ne pas griffer l’écorce des arbres. C’est la Loi. Ne sommes-nous pas des Hommes? Ne pas chasser les autres Hommes. C’est la Loi. Ne sommes-nous pas des Hommes?
2. Zack Stentz, qui dit: «La double hélice n’était même pas un scintillement dans l’œil de Watson & Crick lorsque H.G. Wells a écrit pour la première fois L’île du Dr Moreau, mais son roman de 1896 s’est avéré étonnamment prémonitoire sur la façon dont la révélation des secrets de l’ADN ouvrirait la porte à l’humanité jouant à Dieu avec le monde naturel de manière étrange et effrayante».
Il est une foi 2022 - du 4 au 8 mai - aux Cinémas du Grütli, Genève
La 7e édition des Rendez-vous cinéma de l’ECR - Il est une foi traitera à la fois de la nature et de l’homme augmenté, de la transition écologique et de l’intelligence artificielle,[1] en jonglant autour du thème Création, re-création. Dix films sur la nature et treize sur le transhumanisme seront projetés. Les Rendez-vous cinéma de l’ECR 2022 réfléchissent aux ponts qui unissent, autant qu’ils séparent, ces deux sujets.