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jeudi, 08 mai 2014 10:13

Deux luttes tragiques

Alabama Monroe, de Félix Van Groeningen

Michael Kohlhaas, d'Arnaud des Pallières

Alabama Monroe, le quatrième film du cinéaste flamand Félix Van Groeningen, a eu un grand succès en Belgique. Didier, qui vit seul dans une caravane devant une ferme délabrée, joue du banjo et chante dans un groupe de bluegrass (une branche de la musique country fondée par un certain Bill Monroe). Il rencontre Elise, sémillante tatoueuse dont le corps enluminé est la meilleure carte de visite. Bientôt le beau couple forme un duo harmonieux sur scène. Elise tombe enceinte, Didier retape sa ferme avec ses potes musicos, et s'ensuivent six années de bonheur... jusqu'à ce qu'ils apprennent que leur fille Maybelle est atteinte d'un cancer. Le ver introduit dans la sphère intime va entraîner sa dépression, comme l'évoque le titre original, The Broken Circle Breakdown.


Le film est l'histoire du combat, de l'impuissance, puis de la désintégration du couple, selon un récit également dé composé, adoptant une chronologie éclatée, non linéaire. L'alternance de moments d'allégresse et de tristesse intensifie le tragique du mélodrame et l'empêche de sombrer dans le tire-larme.
A cet égard, les scènes de concerts sont de vrais moments de grâce : « La musique agit comme un contrepoids face à la misère et la douleur que charrie l'histoire » (Van Groeningen). Le bluegrass est une musique très rythmée, aux harmonies vocales à trois ou quatre voix. Et c'est réjouissant d'entendre les deux comédiens chanter si bien. A l'heure où l'on fait fantasmer les ados sur l'obscénité du showbiz, il faut les emmener voir cette bande sans prétention jouer avec un plaisir simple et communicatif.
Johan Heldenbergh (une vraie gueule), qui incarne Didier et joue très bien du banjo, est aussi le co-auteur de la pièce de théâtre à succès dont est tiré le film. Veerle Baetens (Elise) est charmante et juste. Tous contribuent à rendre ce film sympathique et authentique ; en un mot, belge. Les critiques qui le trouvent bêtifiant et misérabiliste sont ceux qui encensaient il y a deux ans le film parisien (poseur et flasque) La guerre est déclarée, où Valérie Donzelli et son ancien compagnon « revivaient » la maladie de leur fils sur fond d'électro/pop.
Alabama Monroe est un hymne à l'amour, musical, passionnel et filial. Comme dans cette scène où Didier, athée raisonneur, doit apprendre à composer avec la sensibilité de Maybelle lorsqu'elle trouve un oiseau mort sur leur terrasse. Pour la petite, déjà dégarnie, l'oiseau est devenu une étoile et, comme le lui a expliqué son père lui-même, la lumière des étoiles survit à leur disparition.

Contre l'ordre établi
Présenté en compétition officielle à Cannes, Michael Kohlhaas est l'histoire d'un prospère marchand de chevaux du XVIe siècle, protestant pieux, qui vit heureux avec sa femme et sa fille dans sa propriété isolée des Cévennes. Alors qu'il se rend en ville pour vendre ses bêtes, il se heurte à un baronnet local qui lui extorque un droit de passage sur ses terres. Ses magnifiques chevaux laissés en gage sont retrouvés plus tard en piteux état, et les sbires du baron lâchent leurs molosses sur son fidèle valet.
Kohlhaas tente alors d'obtenir justice, mais le tribunal, corrompu, déboute plu - sieurs fois sa plainte. Lorsque sa femme est assassinée, il lève une armée de paysans et de gueux et poursuit le baron en défiant le pouvoir.
Pour le convaincre de déposer les armes, la princesse mande un théologien protestant, dont Kohlhaas a lu la traduction de la Bible : « Dieu a été très largement oublié dans toute cette histoire. Si tous faisaient comme toi, il n'y aurait plus ni ordre ni justice. Toi-même, qu'est-ce que tu ferais si, dans ta propre troupe, chacun voulait être indépendant ? Tu dis que tu pleures la perte de ta femme, que tu es inconsolable... Tu ne sais pas qu'il y a des moyens de vaincre la mort ? » La réussite de cette scène doit beaucoup à Denis Lavant, qui habite son personnage de théologien (Luther, dans le roman allemand du début du XIXe siècle de Heinrich von Kleist).[1]
Dans cette adaptation, Arnaud des Pallières a déplacé l'intrigue dans les Cévennes, bastion historique du protestantisme français. Il témoigne d'un goût sûr dans le choix de ses ingrédients : le sujet (la réparation d'une in - justice, dans ses dimensions morales et spirituelles) ; l'acteur principal Madds Mikkelsen[2] ; la rareté des dialogues ; les images superbement composées de cavaliers, sous des ciels mouvants, dans des steppes vertes tavelées de roches calcaires ; les combats rapprochés aux arbalètes...
Cependant la sauce ne prend pas. C'est justement dans le parti-pris de l'épure que le bât blesse, car le dépouillement n'est pas radical : mise en scène entachée de coquetteries (mèches de cheveux sur le visage du beau Mikkelsen) ; dialogues qui font retomber du hiératisme empesé au banal ; excès de musique (« d'époque ») et de personnages. Et en faisant l'économie d'éléments dramaturgiques (comment Kohlhaas a-t-il soulevé les paysans ?), le film perd en souffle et ses personnages en épaisseur.

[1] • Michael Kohlhaas est produit par Les films du losange, la société de production créée par Eric Rohmer, qui avait adapté en 1976 La Marquise d'O, un autre roman d'Heinrich von Kleist.
[2] • Révélé par Winding Refn. Extraordinaire « guerrier silencieux » dans Valhalla Rising.

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