De nombreux démons vont ressurgir dans la vie de Johannes lors de son parcours pour briguer le poste d’évêque de Copenhague. Du côté des deux fils, l’aîné ne parvient pas à trouver sa voie et recherche d’autres formes de spiritualité et d’engagement. Le cadet, quant à lui, paraît réussir brillamment alors qu’il ne semble jamais assez solide aux yeux de son père. Le réalisateur ne laisse pas au spectateur le temps de souffler. Dès les premiers épisodes, il est confronté de plein fouet aux turpitudes du clan Krogh, sur fond d’interrogations spirituelles et de quête de sens. Parler de religion à une société danoise largement sécularisée pourrait paraître austère. Pourtant la saga d’Adam Price a bénéficié d’un très bon accueil auprès des téléspectateurs. En filigrane, les épisodes décrivent l’Église luthérienne, une véritable institution étatique. Avec son administration locale et son approche quasi commerciale de la foi, cette entreprise doit être rentable sous peine de devoir mettre la clé sous la porte.
Des mythes et des hommes
La série s’appuie sur ce contexte politico-religieux pour bâtir la trame de l’histoire et plonger dans des réflexions plus intimes en revisitant deux mythes bibliques: Caïn et Abel, à l’image des deux fils du pasteurs, deux frères rivaux que tout semble opposer, mais surtout Abraham et Isaac.
En effet, la série s’attache à explorer les relations entre un père et ses fils. Ou plutôt comment un père fait l’erreur de n’aimer ses enfants qu’en proportion de leur réussite, tout en leur faisant porter le fardeau de son propre héritage. Johannes, le père, souhaitait consacrer sa vie à la peinture, mais son père l'a forcé à revêtir l’habit pastoral. À son tour, il pense pouvoir plier ses fils à sa volonté. Auguste et Christian regardent leur père comme une figure quasi divine, mais en arrivent à questionner son autorité, tout en remettant en cause leur rapport à la religion.
Le patriarcat en crise
Les figures principales de l’intrigue restent incontestablement les hommes de la famille Krogh, mais les femmes ne sont pas pour autant laissées-pour-compte. L’intrigue débute d’ailleurs par la défaite cinglante du père face à sa concurrente principale alors qu’il brigue le poste d’évêque de Copenhague. Cette dernière incarne la modernité dans une Église luthérienne sur le déclin, alors que Johannes, dépassé par la société actuelle, préfère camper sur ses positions conservatrices. «Le style féministe indigné, qui est à la mode en ce moment, me hérisse au plus haut point», dira-t-il même lorsque son fils Auguste loue la qualité du prêche d’une consœur. Les femmes semblent plus libres, plus fortes. Elles donnent le sentiment de conduire leur vie et même d’une certaine façon l’intrigue. Le patriarche, quant à lui, démontrerait presque une compréhension rétrograde de la femme au regard de ses nombreuses infidélités. Une manière d’asseoir sa domination sur sa femme, qui y concède à reculons avant de réévaluer la profondeur de la relation qui la lie à son mari.
Un rapport caricatural aux autres religions
Les repères de chacun des personnages volent en éclats et le questionnement central de cette série commence peu à peu à prendre corps. Lorsque la foi est remise en question, que les doutes l’emportent et que le terrain émotionnel n’est que sables mouvants, quel dieu entend nos plaintes? Est-ce un dieu, des dieux ou le même Dieu? Auguste cherche à déterminer quel est le point d’accroche entre l’Islam et le luthéranisme, puis il est envoyé en Afghanistan en tant qu’aumônier: qui sont les gentils? Christian se cherche et se retrouve chez des moines bouddhistes au Tibet pour déceler l’origine de sa colère. En prenant soin d’aborder toutes les formes de foi, la série peut sembler caricaturale et lisse dans son abord des autres religions, mais elle montre surtout des êtres humains qui doutent, cherchent et croient. Qui en arrivent finalement à se demander si notre humanité pourra ou peut réellement remplacer Dieu.
Un voyage en dix épisodes entre foi, quête de sens et politique, à découvrir en ligne et en streaming sur ARTE, jusqu’au 29 décembre.
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