La fondation As’trame, basée dans le canton de Vaud, à Genève et en Valais, accompagne les familles qui connaissent des bouleversements (décès, divorce, maladie grave ou autre). L’idée est de leur donner la possibilité de remobiliser et d’acquérir ressources et compétences pour retrouver leur pleine capacité à vivre. C’est dans ce cadre-là qu’As’trame aborde la thématique des jeunes aidants. «Notre association ne s’arrête pas au fait que le mineur, confronté à la maladie physique ou psychique d’un proche, soit ou pas aidant, explique Anne de Montmollin. L’implication du rôle d’aidant dépend beaucoup de la dynamique familiale, qui est une dynamique circulaire et non pas d’aidant-aidé. Ces enfants, par exemple, vont avoir un rôle plus important s’ils vivent seul avec un parent malade que dans le cas d’un entourage familial important. D’une manière plus générale, une intervention précoce auprès des familles permet d’éviter que ces situations ne prétéritent l’avenir de ces enfants.»
Pourquoi les jeunes aidants passent-ils pratiquement inaperçus dans les milieux de la formation, du travail social, de la santé ou encore auprès du public?
«On a tendance à peu voir les familles d’une personne malade. La médecine se focalise sur la maladie et moins sur la personne; l’aspect systémique, donc tout le contexte dans lequel vit cette personne, est souvent ignoré. De manière générale, il est difficile pour les professionnels en lien avec l’adulte malade d’avoir une vision globale de la cellule familiale, et donc des enfants qui gravitent autour. Si on prend la formation et le travail social, peu d’informations filtrent sur ce qui se passe dans la sphère privée. La plupart des jeunes ne vont pas en parler par crainte de stigmatisation, car cela signifie quelque part que le parent ne peut plus remplir ses compétences parentales. En plus, pour un enfant mineur, subsiste toujours la peur d’être enlevé à sa famille.»
Les pouvoirs publics ne sont-ils donc pas sensibilisés à cette problématique?
«Ils commencent à l’être, mais concrètement il est difficile de parvenir jusqu’aux jeunes quand on travaille sur des situations familiales complexes. Il y a chez eux une tendance très forte à tenir le cap pour éviter toute intervention extérieure. D’un autre côté, inversement, les professionnels se concentrent parfois trop sur le seul jeune, car ils sont peu équipés pour apporter un soutien aux familles. C’est là que le bât blesse. À mon sens, une piste de réponse découlerait d’une réflexion globale sur la famille. Aujourd’hui, très peu de moyens sont attribués aux proches aidants et aux familles des personnes malades. Le soutien est clairement déficitaire. Et si nous avons un problème de jeunes aidants, c’est aussi à cause de cela.»
De nombreuses études démontrent que ces jeunes risquent d’être confrontés à de graves symptômes psychiques. Avez-vous aussi constaté cela dans votre pratique?
«Effectivement, mais comme pour tout bouleversement familial qui n’est pas accompagné ou correctement géré. De notre côté, nous examinons ces bouleversements plutôt sur le plan relationnel et interpersonnel.»
À contrario, les capacités développées par ces jeunes, telles que la résistance au stress, la gestion du temps et l’empathie, sont bénéfiques dans la vie d’adulte.
«Il est vrai qu’ils développent ces capacités, mais il est important qu’elles soient reconnues en tant que telles, ce qui n’est pas toujours le cas. Ils ne se reconnaissent déjà pas dans le rôle de jeunes aidant! Cette charge est souvent perçue par eux comme une mission à accomplir, parfois au-dessus de leurs forces. Il leur est donc tout aussi compliqué de réaliser leurs capacités et compétences.»
Comment faire pour que ces jeunes aient la juste distance, entre la nécessité de vivre leur vie tout en pensant à l’autre dans la mesure de leurs moyens?
«Premièrement, qu’on reconnaisse ce qu’ils vivent et que tout ne soit pas concentré sur la maladie du parent. En nommant les difficultés, mais aussi ce que chacun met en place pour y faire face, on favorise une certaine prise de distance.»
Peut-on aider ces jeunes à ressentir une bonne empathie, non pas de celle qui étouffe, culpabilise, angoisse, mais de celle qui donne envie d’agir pour l’autre ?
«Je pense, encore une fois, que ce n’est pas en travaillant avec les jeunes seuls qu’on peut y arriver. L’accent doit être mis sur la famille et le réseau, et les rôles de chacun au sein de la famille doivent être nommés clairement. Travailler avec le réseau pour reconnaître les difficultés de ces jeunes, leurs compétences et leurs expertises, afin qu’ils soient vus et inclus dans la réflexion globale, aide grandement. Il faut que ces mineurs soient intégrés, mais à leur juste place, pas en prenant le relais de professionnels absents par manque de moyens ni en tant que victimes.»
Pour plus d'informations sur les Young Carers, lire Myriam Bettens, Ces mineurs, proches aidants, paru dans le dossier Voir et agir en «prochain», de choisir n°701, octobre 2021.