La primauté du paysage
Joseph Mallord William Turner (1775-1851) inaugure ce grand tour marqué par la prédominance du paysage, ce genre significatif de la diversité de la peinture anglaise. Il suffit pour cela de mettre en regard Vue du pont Southwark la nuit (1882) d’Atkinson Grimshaw (1836-1893), les paysages de Joseph Mallord William Turner ou Après le déluge de George Frederic Watts (1817-1904), même si en dépit de leurs différences un même lyrisme embrase leurs évocations de la nature. L’époque moderne retient surtout de ces paysagistes, le refus de recomposer le paysage en atelier. À la faveur de notations à l’aquarelle sur le motif, Turner représentait la nature avec naturel. On connaissait son influence sur les impressionnistes. De manière plus inédite, Lausanne nous fait découvrir son aura auprès des Britanniques eux-mêmes, tels James Baker Pyne (1800-1870) et cinquante ans plus tard William Shackleton (1872-1933).
L’écrivain Ruskin (1819-1900) avait été l’apôtre d’un retour à la nature dont à son instigation, beaucoup d’artistes deviendront les chantres. Turner, que Ruskin encensa et dont il possédait plusieurs œuvres, fut sans doute son plus fameux interprète. Waller Hugh Paton (1828-1895), qui assista à ses conférences comme son frère également peintre, représente avec James Campbell (1828-1893) et Daniel Alexander Williamson (1823-1903) un autre versant de la peinture de paysage. Plus sensible à la tendance préraphaélite, Williamson réinterprète avec un goût méticuleux du détail les vues de Lancashire village à Warton, auquel il donne une dimension singulière par des couleurs acides exaltées par d’éblouissants éclats de lumière.
La nostalgie du quattrocento italien
Dante Gabriel Rossetti (1828-1882) et John Everett Millais (1829-1896) allaient opposer à l’Angleterre matérialiste de la révolution industrielle, le rêve et la magie du Quattrocento italien. Fils d’un poète italien émigré à Londres, le premier produisit une peinture nostalgique et sentimentale. La Fondation de l’Hermitage expose l’une de ses œuvres les plus célèbres, Beata Beatrix, où le peintre évoque le dernier soupir de Beatrice Portinari, figure centrale du poème Vita Nuova du poète italien Dante Alighieri. Rossetti donne de surcroît à cette figure élégiaque les traits de sa muse, son épouse décédée dix ans plus tôt, afin d’en pérenniser le souvenir.
Edward Burne-Jones (1833-1898) allait prolonger la veine poétique de ces symbolistes d’outre-Manche. La musique (1877) exposée à Lausanne prend place dans le climat raffiné et intellectuel de la fin de l’ère victorienne. L’œuvre étant une réponse au récent séjour italien de Burne-Jones, nulle surprise à ce qu’elle soit italianisante et nourrie de son admiration pour Botticelli.
Des Américains anglicisés
L’exposition accorde une place à John Singer Sargent (1856-1925) et James Abbott McNeill Whistler (1834-1903), ces Américains qui concluent le dialogue artistique inauguré au XVIIIe siècle entre l’Europe et l’Amérique. Whistler -dont on peut voir Rouge et noir: l’éventail- illustrait brillamment l’art du portrait qui a été à toutes les époques l’autre gloire de la peinture anglaise. Lassé d’un genre auquel il devait son succès, Sargent le réinvente dans Un intérieur à Venise (1899) en transformant en scène de genre le portrait de la famille Curtis immortalisée à Venise dans leur magnifique Palais Barbaro. L’Angleterre victorienne n’eut pas plus de sympathie pour lui que pour Whistler. Figure d’une modernité plus radicale, l’Américain privilégiait l’atmosphère chromatique au détriment du sujet, alliant ainsi vision symboliste et analyse impressionniste de la lumière.
Pionniers de la photographie
Afin de reconstituer la scène artistique dans sa globalité, le commissaire de l’exposition William Hauptman a voulu révéler le rôle pionnier des photographes britanniques. En témoigne cinq ans après la découverte de la photographie, The open door (1844) de William Fox Talbot (1800-1877), inventeur du premier procédé (calotype) capable de produire des images positives. Bien que tourné vers le passé, le groupe des préraphaélites se passionne pour cette récente découverte. Julia Margaret Cameron (1815-1879) est le personnage-clef de ces échanges avec les peintres et tout particulièrement avec Brune-Jones et Gabriel Rossetti, photographe à ses heures. Ses photographies sont l’équivalent de leurs peintures par le goût des reconstitutions historiques puisées dans la légende du roi Arthur, la Bible ou chez Raphaël. Ses portraits sont en revanche une anticipation du portrait moderne. Le flou alors que la netteté était de rigueur, les contrastes puissants et expressifs pour lesquels elle fut critiquée en son temps en font rétrospectivement une des artistes les plus inventives de son temps.
Évoquée de ce côté de la Manche avec condescendance, la peinture anglaise trouve à la Fondation de l'Hermitage sa réhabilitation. Est restitué sa créativité et particulièrement son rôle dans l’histoire du paysage. Mais de manière plus exceptionnelle, la Fondation souligne l’apport du Royaume-Uni dans l’histoire de la photographie, autant de qualités qu’on lui a souvent déniés.
A VOIR
La peinture anglaise de Turner à Whistler
du 1er février au 2 juin 2019
Fondation de l’Hermitage, Lausanne
www.fondation-hermitage.ch