Pierre Glardon et Eric Fuchs, l'un et l'autre théologiens protestants, universitaires, inquiets de la situation de leur Eglise et des conséquences de l'évolution des facultés de théologie commuées en facultés de sciences des religions, placent leurs amples et profondes réflexions sous une parole claire : « Tout peut s'envisager et se penser ; mais tout ne peut pas se vivre et se faire, si l'on souhaite marcher, certes à son pas, mais en relation avec une Communauté soucieuse de se référer à un Maître et à un enseignement précis. D'où la nécessité de règles minimales, définissant les conditions d'appartenance à cette Communauté, de processus de régulation et de sanctions (d'exclusion si nécessaire), la possibilité d'un pardon et d'une réintégration. Sur ce plan, les Eglises réformées sont visiblement démunies, la question de la discipline ecclésiastique n'y étant quasiment jamais abordée. » (p. 54)
Ce qui peut apparaître comme la revendication d'un ordre juridique et moral imposé du dehors est en fait le rappel insistant de ce que la foi chrétienne implique des exigences, ou des ascèses, de deux sortes : personnelles et communautaires. Personnelles au sens d'une discipline de vie (spiritualité de prière et de silence, éthique de conviction et de responsabilité) ; communautaires, ecclésiales, au sens de pratiques liturgiques sacramentelles et de l'exercice d'une autorité inclusive de pouvoirs déterminés.
Toute éthique, à quel domaine qu'elle se rapporte (politique, social, professionnel, conjugal), présente un aspect argumentatif (le juste et l'injuste, le constructif et le mortifère) et un aspect psychologique, l'éthique étant pratiquée par un sujet concret circonstancié.
Dans l'ouvrage en question, le premier aspect est plus l'affaire d'Eric Fuchs, ancien professeur d'éthique à la Faculté de théologie de Genève, et l'autre, celle de Pierre Glardon, théologien et thérapeute actif dans le canton de Vaud. C'est donc bien d'un appel à deux voix qu'il s'agit, d'un appel à prendre conscience d'une situation à laquelle les auteurs ne donnent pas plus de quinze ans pour se redresser.
Cette situation est celle d'une perte d'influence politique et sociale, d'un Evangile vidé de sa substance, d'une autorité sans véritable efficacité, d'une peur viscérale de dire non à certaines évolutions de la société moderne. Au fait, il s'agit de repenser une Eglise confessante, non plus face au danger du nazisme païen mais face à l'affaiblissement moral général de l'Occident, rongé par le laxisme, l'hédonisme et l'angoisse ; face à une manière de cécité et de naïveté devant le mal ; face à une résignation à l'impuissance. A travers ces pages, que je ne puis détailler plus avant, j'entends retentir l'appel de Jean-Paul II : « N'ayez pas peur ! »