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jeudi, 01 octobre 2015 09:43

Massacre d’une légion

Baud 45252Philippe Baud
Saint-Maurice dans la légende des siècles
Bière, Cabédita 2015, 126 p.

A la fin du IIIe siècle, lors de la dernière grande persécution des chrétiens, les 6600 soldats composant la légion thébaine appelée dans le Bas Valais pour réprimer des chrétiens y furent massacrés en raison de leur foi. Etant eux-mêmes chrétiens - leurs chefs y compris : Maurice, Exupère, Candide et Victor - les soldats avaient refusé de s’en prendre à d’autres chrétiens. Le refus d’ordre étant puni par la décimation, ils avaient accepté le martyre sans opposer de résistance. Telle est la légende transcrite, un siècle et demi après les événements, par l’évêque de Lyon Eucher.
L’auteur fait remarquer diverses incongruités dans cette histoire. Si les effectifs donnés à une légion sont ceux de l’Empire, le massacre d’une légion entière semble toutefois énorme (quoique le site se soit révélé au fil des siècles grand pourvoyeur de reliques...). Plus intriguant, aucun inventaire connu des armées romaines ne cite de légion thébaine, encore moins au Bas Empire. Enfin, que venait faire là une légion venue d’un lieu si éloigné que Thèbes, l’actuelle Louxor ?
Les historiens s’accordent néanmoins pour dire que la dernière vague de persécutions avant la légalisation du culte chrétien par Constantin avait été particulièrement féroce. Notons que le nom Maurice renvoie à Maure, c’est-à-dire noir, et que durant tout le Moyen Age, le martyr était représenté sous les traits d’un Noir (ce qui ne correspond par ailleurs pas à un Egyptien, preuve d’une représentation plus symbolique que naturaliste).
Il y a certainement dans ce récit, comme dans toutes les légendes, un fond de vrai. Et peu importe finalement la vérité des faits, puisqu’au fil des siècles ce que les hommes en font se transforme peu à peu aussi en fait d’histoire. Génération après génération, les pèlerins, les croyants se sont retrouvés autour du souvenir et des traces des courageux martyrs, en ont fortifié leur foi, avant de monter à genoux vers la chapelle du Scex.
Et génération après génération, autour de la lumière du lieu de culte, depuis son introduction en grande première européenne, le 22 septembre 515, par le roi burgonde Sigismond (traîtreusement assassiné quelques années plus tard ; une partie de ses reliques se trouvent à Agaune), résonne le laus perennis, la louange perpétuelle.
Les martyrs ne sont pas morts pour rien, établissant, nourrissant une belle lignée spirituelle, et soulignant au passage l’unité du monde. Dès ses premiers temps, la foi était conçue comme universelle, s’adressant pareillement au Blanc ou au Noir, et l’Egypte se retrouvait ainsi mystérieusement unie au Valais... Un message qui garde toute sa pertinence !

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