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lundi, 27 août 2018 12:05

Saint Rodger, gagnez pour nous

Roger FedererRoger Federer en 2008 © FlickrLes livres sur Rodger Federer ne manquent pas. En marge de notre dossier sport de cet été, nous vous en proposons deux en lecture, qui éclairent le parcours de cette idole des courts, devenu symbole national Suisse, et même, pour certains, une sorte de saint.

Il y a tout d’abord Une aventure nommée Federer, du journaliste de radio et de télévision français Thomas Sotto, un fan de celui que tout Suisse appelle Rodgeur. Il a mené une enquête minutieuse pour reproduire le parcours du tennisman suisse, mais aussi pour découvrir sa personnalité. Et puis il y a Rodger, l’enfance de l’art, une bande-dessinée plus caustique, scénarisée par Gérald Herrmann, dessinateur à la Tribune de Genève, et dessinée par Vincent di Silvestro.

Sotto

Thomas Sotto
Une aventure nommée Federer
Monaco, Du Rocher 2018, 212 p.

Lire ce livre, c’est non seulement l’occasion d’en apprendre plus sur «l’énigme» Rodger, mais aussi de rencontrer, à l’ombre de ses raquette, sa famille, ses entraîneurs, ses agents, ses adversaires, et de les entendre parler de Rodger… Comme Peter Carter, une des personnes les plus importantes de sa carrière, son coach et ami, mort accidentellement en Afrique du Sud à l’age de 37 ans.

Ce livre constitué de petits chapitres, comme autant de petites pierres colorées de moult anecdotes, construit petit à petit sous nous yeux la mosaïque de la vie de Federer. De son enfance à Bâle, à ses dernières victoires de 1917. On découvre un Roger qui a dû apprendre à contrôler ses emportements, qui fait de la victoire son Graal personnel, mais qui est aussi tourné vers la famille, les amis et les autres.

Les passionnés de tennis et les admiratifs du tennisman suisse apprécieront sans nul doute ce portrait impressionniste de Rodger Federer.


herrmannAutre livre, autre genre, celui de la BD, avec cette question, Federer est-il le Jésus des Suisses? Une bédé humoristique l’affirme et loue sa capacité inégalée à faire rêver nos compatriotes. Visite de ces pages par Stéphane Herzog, pour ProtestInfo et La Revue Suisse.

Gérald Herrmann, scénario
Vincent di Silvestro, dessins
Rodger, l’enfance de l’art
Herrmine 2018, 80 p.

Meilleur tennisman de tous les temps, joueur au style et à la grâce incomparables, sportif résilient, athlète fair-play, champion serein, mais capable de pleurer de joie, père et mari exemplaire. Les qualités prêtées à Roger Federer sont innombrables et on se demande à chaque nouvelle victoire comment la presse pourra encore développer de nouveaux superlatifs à son sujet. «On n’ose plus rêver en Suisse, nous sommes trop bridés, mais avec Federer on peut se laisser aller, c’est Dieu!» déclare sans ambages Gérald Herrmann. Dessinateur de presse à La Tribune de Genève, il a rédigé le scénario d’une bédé satirique et délirante: Rodger, l’enfance de l’art».

On y suit le jeune Federer de sa naissance jusqu’à son sacre mondial chez les juniors, à Wimbledon «en juillet de l’an 16», soit en 1998. «Comme Borg, Roger était colérique, il pleurait de rage après les matches perdus, mais on ne sait pas grand-chose de son enfance», rapporte Herrmann. Le Genevois fait dépuceler son héros par Martina Hingis, star mondiale du tennis à 16 ans. «Il accède à tout ce qu’il y a de plus haut», commente ce fanatique de Rodger, qui se dit obligé d’aller se réfugier aux toilettes quand son héros joue contre Nadal. «Nous sommes 8 millions en Suisse et 8 milliards sur terre, or voilà que notre pays s’offre un champion de cette classe, qui bat tous les autres et qui reste au plus haut niveau très longtemps», détaille le dessinateur de presse. Un autre héros helvétique serait-il comparable à «RF»? Quid de Bernard Russi, par exemple? «On en est fier, mais il n’a pas et de loin la même dimension internationale», tranche Herrmann.

Des inventions comme des balles

Pour qui connaît imparfaitement la vie de Roger Federer, la bédé des deux Romands fonctionne comme un long quizz. «Rodger», a-t-il perdu un frère jumeau en naissant, qui serait devenu le double de lui-même quand il joue? Son père, Robert, fut-il réellement champion suisse de Hornuss? La réponse est non, mais le récit reste plausible. Celui-ci est truffé d’inventions mythologiques, comme celle qui veut que la future mère du champion - qui est bien sud-africaine d’origine - ait rendu visite à Nelson Mandela en tant que déléguée du CICR. Et le héros de lui conseiller de quitter ce pays raciste. «Tout est faux naturellement, sauf les épisodes avec Jésus», indique la quatrième de couverture de l’ouvrage.

D’où sont issus les super pouvoirs de «Rodger»? Telle est la question centrale de cette bédé. Certes, une partie de la force du champion viendrait de ce que son père, employé dans l’industrie pharmaceutique, soit tombé un jour à Bâle dans une cuve remplie d’un cocktail destiné à l’armée suisse. Mais l’explication centrale est autre: Dieu lui-même aurait enjoint Jésus de lui trouver un successeur (voir ci-dessous). C’est ce message qui s’est révélé à Robert dans les toilettes du club suisse de tennis de Johannesburg, club qu’il a effectivement fréquenté avec sa future femme, Lynette Durand.

Rodger, l’enfance de l’art a-t-il été lu par le principal intéressé? Herrmann avoue que ses contacts dans le métier ne lui ont pas été d’un grand secours pour atteindre Roger. La bédé a été envoyée auprès du management de la star, en Ohio. «I’ll be so happy!», a commenté au téléphone une personne du secrétariat, indiquant que l’ouvrage avait bel et bien été transmis au champion. «Je suis sûr qu’il aura lu la bédé et qu’il ne l’aura pas aimée», angoisse Herrmann, qui a d’ailleurs supprimé certaines scènes de son scénario sur les conseils d’une autre star, issue cette fois du barreau genevois…

Une sorte de saint

Le sportif le plus aimé des Suisses est-il divin? C’est la question que la Revue Suisse a posée à deux théologiens fans de sports.

Le Genevois Denis Müller a rédigé Le football, ses dieux et ses démons. Le Vaudois Olivier Bauer est l’auteur d’un ouvrage sur la religion vouée aux hockeyeurs des Canadiens de Montréal par ses supporters. Que pensent-ils de cette bédé, où Roger Federer est prédestiné à une carrière surnaturelle? «Tout cela est amusant, commente Denis Müller, mais guère crédible. Federer est un champion exceptionnel, mais qui s’est construit patiemment lui-même, avec des hauts et des bas. Il est le résultat d’un apprentissage, d’un don et de circonstances.» Le professeur honoraire de l’Université de Genève place l’amour fou porté par le public au tennisman au registre de la «quasi-religion, qui est une imitation de la religion, et qui reste à distance de la vraie religion (…)».

«Il n’existe pas d’Église Federer, mais de Maradona, si, s’amuse pour sa part le professeur Olivier Bauer, qui rappelle que le but du tennis est la victoire, donc l’écrasement de l’autre, et que Roger Federer est un produit destiné à remporter de l’argent, ce qui ne sont pas les buts d’une religion.» Le théologien relève en outre le caractère démesuré des gains réalisés par les stars du tennis. «Qu’une seule personne accumule autant d’argent constitue une injustice fondamentale.»

Les aspirations religieuses des Helvètes seraient-elles sublimées dans l’amour de ce sportif, présenté humoristiquement comme le successeur de Jésus. «Jésus est mort sur une croix à 33 ans, répond Denis Müller, et ses exploits étaient d’ordre linguistique ou thérapeutique. À 36 ans, Federer se prépare une deuxième carrière plutôt qu’une résurrection». L’éthicien rappelle que le tennisman est déjà tombé plusieurs fois. «Il a eu une mononucléose et il échoue parfois devant un joueur mal classé! En fait, Federer nous encourage à être meilleurs, à mieux défendre notre pays, mais tout le monde sait bien qu’il n’a rien d’un Dieu. En théologie, on ne confond pas Jésus de Nazareth avec Dieu lui-même, même en théologie trinitaire, le Christ est le fils de Dieu, le crucifié.»

Olivier Bauer dit qu’on peut interpréter la figure du tennisman suisse avec des instruments théologiques, mais sans appeler au divin. Il rangerait plutôt Federer du côté des saints. «C’est un homme idéal, un modèle à suivre, dans un moment historique où les gens communient dans le sport, alors que par le passé on le faisait plutôt lors de rassemblements patriotiques, comme les fêtes de lutte, ou à l’Église.» Le sportif bâlois serait en plus un modèle parfait d’helvétisme. «Il est très consensuel, un peu à l’image de Bernard Russi. Certains aimeraient d’ailleurs que la Suisse reste comme Federer, qu’elle ne fasse pas trop de bruit.»

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