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jeudi, 04 octobre 2018 15:40

L’éternité reçue

Écrit par

SteffensMartin Steffens
L’éternité reçue
Paris, Desclée de Brouwer 2017, 252 p.

Sans esquives et en toute probité, l’auteur prend à bras le corps la question de la mort. Excluant d’emblée les paix morbides, «tout ce qui inocule à la vie les paroles doucereuses qui l’aident à mourir», «ces sagesses de camomille» comme il les nomme, il épingle dans un premier chapitre aussi bien l’indifférence stoïque, la tentation rampante de la mort contrôlée (suicide assisté, euthanasie), qu’une certaine conception occidentale de la posture bouddhiste qui voit notre désir comme une illusion et notre attachement à la vie terrestre comme une entrave.

Pour autant, il n’adopte pas la posture du tragique. De manière intelligente et fine, il met en évidence combien la mort est quotidiennement dans la vie à travers la confrontation à nos limites. Vivre ces dernières, c’est apprendre à mourir et découvrir que les blessures à notre toute-puissance sont autant de bénédictions par l’acceptation du réel qui nous structure et nous ouvre à un au-delà de nous-mêmes. Sortir de l’imaginaire tout-puissant, c’est-à-dire sortir «d’une vie qui ne rencontre qu’elle-même», est un exercice spirituel que l’auteur, à la suite de Simone Weil, préconise en de très belles pages qui ne font l’impasse ni sur les douleurs physiques et morales, ni sur les questions métaphysiques.

Ces chemins de dépossession -qui sont chemins de plénitude- préparent et initient alors, troisième partie du livre, à la grande épreuve que signifiera la réalité même de notre mort. Devenir pauvre, totalement dépossédé de soi, c’est vivre cette épreuve en renonçant radicalement à ce trésor dont Dieu est la promesse et que l’on nomme la vie éternelle ! Dans une disponibilité radicale à la volonté de Dieu, surgira alors l’inouï d’une vie absolument redonnée, car nous n’aurons plus de prise sur elle.

L’auteur écrit des pages lumineuses sur la beauté et la résurrection surgies de cet espace inimaginable, et pourtant si réel, que la tradition mystique rhénane nomme «Dieu au-delà de Dieu».

L’écriture de Martin Steffens est d’une pertinence capitale en ces temps où le désir, l’amour et la mort, expériences ô combien humanisantes, sont si souvent travestis, avilis ou déconsidérés. Provocatrice et tonique, sa pensée ouvre à l’expérience consolatrice qui ne peut être vraie que du moment où elle ne vient pas de nous-même.

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