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lundi, 04 février 2019 11:05

Un moine en otage

Écrit par

MouradJacques Mourad, avec Amaury Guillem
Un moine en otage
Le combat pour la paix d’un prisonnier des djihadistes
Paray-le-Monial, Emmanuel 2018, 224 p.

Jacques Mourad, prêtre et moine syrien, a été enlevé et détenu pendant 85 jours en 2015 par le groupe État islamique. Originaire d’Alep, d’une famille survivante du génocide ottoman de 1915, Jacques Mourad a rejoint la communauté de Mar Musa près de Nebek, au nord de Damas, fondée au début des années 90 par le Père Paolo Dall’Oglio sj, lui-même arrêté et disparu à Raqqa le 28 juillet 2013.

Le Père Jacques avait repris, sur demande de l’évêque syrien catholique de Homs, la charge de desservant d’un ancien lieu de pèlerinage, Mar Elian, situé tout près de la ville de Qaryatayn, sur la route de Palmyre. Ayant établi d’excellents contacts avec les chrétiens orthodoxes de la ville et avec la population musulmane majoritaire, il avait redonné de l’importance sociale et religieuse au monastère de Mar Elian. Homme affable, plutôt timide, j’ai eu la chance de le connaître là-bas.

Jacques Mourad raconte ici ses origines familiales, les études qu’il a poursuivies à Alep et au Liban et ses premières années de prêtre. Puis il aborde la transformation et la radicalisation des esprits dont il fut témoin, après 2012, chez plusieurs jeunes de la ville sous l’influence des idées islamistes. Il décrit la peur qu’elle engendrait chez les notables, y compris chez le mufti, alors même que jusque-là les communautés vivaient ou semblaient vivre en bon voisinage (le Père Jacques et son collègue le prêtre orthodoxe Ephrem ont d’ailleurs été des artisans de cette coexistence). Il avait été très affecté par l’assassinat d’un médecin de Qaryatayn, chef du bureau régional du Parti Baas, «un homme bon qui avait soigné beaucoup de malades dans le besoin».

Un jour de 2015, des jeunes, dont il connaissait les parents, apparurent au monastère pour lui intimer l’ordre de cesser les activités musicales auprès des jeunes. «Jouer d’un instrument était, selon eux, interdit dans le Coran.» Quelque temps après eut lieu l’enlèvement du Père Jacques et d’un jeune compagnon qui séjournait au monastère. Suivirent des semaines atroces de détention, ponctuées parfois de durs sévices et d’interminables injonctions à se convertir à l’Islam. Tout cela dans des caches de l’État islamique entre Qaryatayn et Palmyre, suivi d’une détention à Raqqa, la «capitale» de l’État islamique, là même où Paolo Dall’Oglio disparut en 2013.

Vint un jour la libération et la fuite vers Homs, après une rocambolesque et tragique rencontre de Jacques avec plus de deux cents paroissiens, eux-mêmes pris en otage. Le responsable islamiste déclara qu’il les libérait parce qu’ils n’avaient pas porté les armes contre les musulmans. La non-violence de Jacques et du groupe de ses paroissiens leur avaient donc valu la libération par l’État islamique ainsi que, peut-être, leur implication dans la reconstruction des maisons.

Le récit aborde le rapport concret des chrétiens avec des musulmans devenus fous, alors que Jacques avait voué sa vie à la rencontre pacifique de l’Islam. Issu du milieu chrétien d’Alep, le moine souligne comment il lui a fallu faire progressivement une conversion pour découvrir chez les musulmans des frères. Il était en effet plutôt réservé face aux approches novatrices et audacieuses de son compagnon Paolo Dall’Oglio. Son témoignage en faveur de la poursuite du dialogue avec les musulmans n’en a que plus de force.

Jacques Mourad vit actuellement à Suleymanya, au Kurdistan irakien, avec un autre moine de Mar Musa, Jens, d’origine suisse, œuvrant au service des réfugiés.

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