Certes, il ne s’agit pas d’un journal intime ni d’un album de souvenirs, encore moins d’une biographie. Par petites touches impressionnistes, l’auteur revient sur une courte période dont le souvenir est encore brûlant: un temps où la vie, qui risquait de s’étioler par l’absence de ses parents occupés ailleurs, allait de l’avant envers et contre tout, pleine d’impressions, de sensations et d’enseignements décisifs.
Grand-père Geronimo, une personnalité forte, courageuse, d’une tendre rudesse si proche et aimante, le rassure. Il est le lieu de son enracinement, où il prend conscience des soifs jamais éteintes qui ne le lâcheront pas, jusque dans l’âge mûr. L’immense besoin d’être aimé, d’être en compagnie, qui le rendait sage, trouve auprès de Geronimo le biotope nécessaire. «Je me sentais chez moi, comblé, sans désir d’ailleurs ou d’autre chose.» Les grands-parents remédiaient au manque d’appartenance. Admiration réciproque entre le petit garçon de six ans et celui qui en avait près de soixante. Le petit, qui voudrait tellement être comme le grand-père, s’entraîne à imiter ses gestes, sa manière de se déplacer; il copie «son visage qui se penchait sur la soupe du soir et son regard qu’il déplaçait de l’un à l’autre avec l’air de quêter quelque chose.»
En dépit de tout, malgré Geronimo et la muette amitié des chiens -Rumbo en Catalogne autrefois et Caillou aujourd’hui-, la blessure de la solitude est trop profonde pour qu’elle puisse quitter son jardin. Peut-être était-elle même ce que le grand-père et le petit-fils avaient le plus en commun, scellant leur connivence. Constat amer et résigné de celui qui, réaliste, a appris «à vivre par étapes où chaque palier est une victoire».
Tout cela est dit avec pudeur, à travers des allées et venues entre hier et aujourd’hui, dans une langue d’acteur, qui porte autant d’émotion que de force, même si l’auteur a quitté les planches pour évoquer son destin.