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lundi, 28 juin 2021 08:18

Marketing littéraire

Écrit par

MeizozSur les rayons de votre librairie, un livre porte un bandeau rouge qui annonce fièrement le nombre d’exemplaires vendus. Tel une star, l’auteur entre en scène: interviews de la TV aux heures de grande auditions et séances de signature bien orchestrées lui confèrent une nouvelle identité médiatique. Par le truchement de sa présence sonore et visuelle, son ouvrage devient spectacle. Promus au rang d’une marque commerciale, l’auteur et son livre pourront figurer en bonne place dans la publicité d’une compagnie d’avion, d’une marque de voiture ou sur des teeshirts branchés. Mais tout cela ne vous dit rien de la qualité littéraire de l’ouvrage. Reléguée à l’arrière-plan, elle cède le pas aux arguments de vente. L’écrivain serait-il devenu un vendeur d’aspirateurs comme un autre? La question n’est pas oiseuse, elle mérite une réponse.

Troquant sa tenue d’écrivain pour celle du sociologue, Meizoz examine avec une certaine acribie les relations que la création littéraire entretien avec les mécanismes du marché. Lorsqu’un auteur se met à écrire pour ou dans le marché, l’œuvre littéraire quitte les purs glaciers de l’esthétique (Mallarmé) pour se plier aux impératifs de l’industrie.

Jérôme Meizoz, Faire l’auteur en régime néo-libéral. Rudiments de marketing littéraire, Genève, Slatkine 2020, 256 p.

Pour illustrer son propos, Meizoz se penche sur un cas emblématique, l’extraordinaire succès commercial du roman de Joël Dicker La vérité sur l’affaire Harry Quebert (2012). Vendu à trois millions d’exemplaires dans soixante pays et en quarante langues, le livre figure au palmarès des meilleures ventes. Les arguments sont massifs et décisifs. Rassuré et motivé, le lecteur potentiel n’hésitera pas à acheter… le succès. On achète un livre parce qu’il se vend bien! Dans la production littéraire actuelle, le style bestseller s’impose de plus en plus (38% des ventes actuelles) au détriment d’autres formes de production qui trouvent refuge dans de petites et courageuses maisons d’édition, fragiles et éphémères.

Des auteurs résistent, des nouvelles formes littéraires surgissent, toute une activité qui prolonge l’œuvre au-delà du livre. L’intérêt se déplace de l’œuvre vers la personne de l’artiste. À titre d’exemples, Meizoz évoque Jean-Marc Lovay et sa conférence dans la Bibliothèque Nobel à Stockholm (1983), les performances sous formes de lectures spectacles de Nomi Nomi, un duo bilingue composé de Noëlle Revaz et Michael Stauffer, le travail de Philippe Artières, historien français qui joue dans la rue des scènes de ses ouvrages.

En conclusion, le sociologue estime que la transformation du statut de l’œuvre littéraire «ne signifie pas forcément déclin. Ce n’est pas la relation de la littérature au marché et aux médias qui serait mauvaise en soi. Mais bien la prééminence croissante et incontestée des cadres financiers, industriels et médiatiques dans la définition de ce qu’elle doit être. Ce nouveau cosmos normatif, souvent présenté comme un pur ajustement technique, exerce de fait une violence inerte sur tous les acteurs de la vie littéraire et, plus généralement, sur leur rapport au langage.»

Ce livre est un ouvrage de spécialiste. Sans accabler le lecteur par trop de technicismes, certaines pages supposent tout de même une certaine familiarité avec le monde de l’édition. Des excursus en grisé apportent des compléments et des exemples bienvenus qui illustrent les propos de l’auteur. Entre autres mérites, ce dernier offre à son lecteur d’utiles critères de discernement lorsqu’il s’agit de faire des choix de qualité dans l’offre pléthorique des libraires.


Le sujet vous intéresse? Commandez choisir n° 700 (juillet-septembre 2021) et son dossier Ce que la littérature révèle de nous. Vous y trouverez un article de Jérôme Meizoz intitulé À l’ère du «capitalisme artiste».
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