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mardi, 01 juin 2021 08:00

Histoire d’une grande civilisation de l’Antiquité

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JosetteElayi Empire assyrienL’Empire assyrien est le premier grand empire «universel». À son apogée, vers 660 avant Jésus-Christ, il s’étendait du Golfe persique à la Méditerranée et même jusqu’en Égypte. On saura gré à Josette Elayi, historienne française qui s’était déjà illustrée par une Histoire de la Phénicie (2013), d’avoir retracé les événements de l’histoire ainsi que les traits principaux de la culture assyrienne.

Josette Elayi, L’Empire assyrien - Histoire d’une grande civilisation de l’Antiquité, Perrin 2021, 560 p.

Après deux chapitres sur les origines et l’ascension de l’Assyrie, l’historienne retrace les règnes des rois assyriens depuis Tiglath-phalazar III (745-727) jusqu’à Assurbanipal et la fin de l’empire en 630-610. Les sources sont constituées par des milliers de tablettes et de fragments en écriture cunéiforme qui mentionnent les très nombreuses campagnes militaires des rois assyriens.

Poursuivant les traces des fondateurs de l’Empire, Tiglath-phalazar déclare: «J’ai conquis tous les territoires de l’est à l’ouest, j’ai nommé des gouverneurs en des lieux que les chars de mes ancêtres royaux n’avaient jamais atteints... et j’ai exercé mon autorité sur les quatre régions du monde.» Tiglath-phalazar considère qu’il a été installé sur le trône d’Assyrie par le dieu Enlil et qu’il est prêtre du dieu Assur. Il se vante d’avoir repeuplé et réhabilité, grâce à ses conquêtes et aux déportations de populations, tous les territoires situés à la périphérie de l’Assyrie qui avaient été abandonnés durant les règnes précédents. Il a l’ambition d’intégrer les peuples conquis en les considérant comme «des habitants de l’Assyrie, leur imposant les mêmes redevances et corvées qu’aux Assyriens». Mais en même temps, il permet à ces communautés déplacées de conserver leurs spécificités. L’énorme brassage de populations produit par les déportations accélère la diffusion de l’araméen comme langue commune.

Le divin devant

Pour mener leurs campagnes de conquête et pour gouverner, les rois assyriens utilisent la divination et l’incantation. Les devins et voyants sont les «comités d’experts» de cette époque. Ils servent à la conduite des guerres mais aussi à aborder, dans le même esprit, les autres matières comme la médecine, le droit, la lexicographie et les mathématiques. Près de la moitié des tablettes conservées dans la bibliothèque d’Assurbanipal à Ninive sont des traités de divination et d’incantation. La bibliothèque est la plus importante de la Mésopotamie antique et la première à rassembler l’ensemble des savoirs de l’époque. Elle est considérée comme étant à l’origine des bibliothèques modernes par son caractère encyclopédique.

La religion officielle, la seule à laquelle nous avons accès à travers les inscriptions et les représentations des palais et des temples, repose sur une conception binaire du monde, un conflit manichéen entre le bien et le mal. Tout ce qui est assyrien ou «assyrianisé» est bon, le reste est mauvais. Selon l’opposition traditionnelle entre le cosmos et le chaos, l’Assyrie s’oppose à la périphérie, non conquise; les Assyriens cultivés et civilisés sont confrontés aux étrangers, barbares par définition. La tâche du roi est de conduire cette humanité non civilisée à l’organisation et à la culture. Ramener la périphérie au centre est une œuvre de civilisation qu’il doit accomplir au nom des dieux.

Bas relieDieu Assur Museum Berlin 112Le dieu Assur et la cité d’Assur sont au sommet de la pyramide religieuse, ayant remplacé Marduk et la cité de Babylone, avant que ceux-ci ne l’emportent à nouveau à partir de 606. La religion populaire, celle des Assyriens ordinaires, nous échappe, car elle n’est pas mentionnée dans les sources. Les rituels ne prévoient pas la participation du peuple aux cérémonies des temples: il est toujours cantonné à l’extérieur.

Le roi Sennachérib (704-681) a voulu imposer une réforme religieuse, amalgamant les cultes assyrien et babylonien, sous la suprématie d’Assur, supérieur à Marduk, cherchant à élaborer un culte susceptible d’unifier les traditions locales et de créer un cadre idéologique commun. Il y a sous-jacent un problème politique réel, la suprématie entre Assur et Babylone. Il échouera dans sa tentative de réformes et sera assassiné.

Dans sa conquête du monde vers l’ouest, l’Assyrie se heurtera à de plus petits royaumes, les cités du nord de la Syrie, Damas et les deux royaumes d’Israël et de Juda avec Jérusalem. La politique assyrienne, soit les annexera et imposera une administration assyrienne avec des déplacements de populations, soit quelques fois, tout en les vassalisant, créera des «États tampons» entre l’Empire d’Assur et l’Égypte, soit même les utilisera comme bases alliées, comme les cités phéniciennes, celle de Byblos par exemple. Ou encore la politique assyrienne s’assurera de la neutralité des tribus arabes de la Mer Morte avant d’attaquer l’Égypte.

Au temps des prophètes bibliques Amos et Ésaïe, à la fin du VIIIe siècle av. J.-C., le royaume du nord tente de faire alliance avec Damas, et s’oppose à son voisin du sud Juda, il est en partie annexé par le roi assyrien. En revanche, le roi de Juda Akhaz, fait appel au roi assyrien et lui paie tribut, contre son voisin du nord et contre Damas. Le prophète Ésaïe à Jérusalem s’élève contre cette politique: «Si vous ne croyez pas, vous ne tiendrez pas», résume de manière lapidaire le message de Dieu.

Plus tard, au temps du prophète Jérémie, ou encore plus tard par la voix d’un disciple, dans un contexte différent, à propos de l’Elam, pays situé à l’est de la Babylonie, qui avait perdu son indépendance au temps des Assyriens, on voit apparaître une réflexion humaine pleine de réalisme: une critique radicale de tout impérialisme politique imbu de lui-même au mépris des autres peuples. À cette critique vient s’ajouter une vision théologique: Dieu est présent aux siens, même dans les moments critiques de leur histoire, pour les sauver.

Les raisons d'un déclin

Désormais nous sommes au-delà du cadre de l’histoire de l’Empire assyrien et du livre de Josette Elayi. Celle-ci rapporte enfin diverses hypothèses pour expliquer la chute inattendue de l’Empire remplacé par les Néo-Babyloniens. Les auteurs bibliques attribuent le désastre de l’Empire assyrien à la punition divine de l’arrogance de ses rois. Aujourd’hui, il n’existe pas de consensus pour expliquer la chute de l’Empire. L’auteure rapporte la réflexion de D. Burckhardt à la fin du XIXe siècle:

«En histoire, la fin est toujours préparée par une décadence interne, par un déclin de la manière de vivre. Un choc extérieur est alors suffisant pour mettre fin à tout.»

Selon l’historienne, il y a eu des causes économiques internes: les ressources diminuent tandis que la population augmente et se concentre dans les villes, à la suite de famines ou de pillage dans les campagnes. De plus, l’extension permanente du territoire conduit à une exploitation excessive de la périphérie. À cela s’ajoute l’entretien de l’armée, de plus en plus coûteux. Également une extension dissymétrique de l’Empire, surtout en plaine ou en zone de basse montagne à l’ouest et au sud, et beaucoup moins au nord et à l’est dans les hautes montagnes: les Assyriens n’ont jamais su définitivement écarter le danger des montagnards proches des villes. Ou bien encore, l’augmentation de la population aurait-elle coïncidé avec une période de sécheresse? Mais la principale cause externe est le double choc simultané provoqué par les Babyloniens (au sud) et les Mèdes (à l’est).

Ashurbanipal II detail of a lion hunt scene from Nineveh 7th century BC the British Museum

En conclusion, soulignons la grande qualité de la synthèse historique de Josette Elayi, claire et bien écrite. Les sources, en écriture cunéiforme, inaccessibles au non-spécialiste, sont citées. Un seul regret mais de taille: l’absence totale d’illustrations, à part celle de la page de couverture. Lorsque l’auteure décrit les œuvres d’art de la culture assyrienne, par exemple les reliefs des palais, il est incompréhensible que l’éditeur n’ait pas inséré ces œuvres. Cette absence est un défaut du livre. Les probables considérations du coût de l’édition ne justifient pas cette lacune.

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