Si la décadence morale et culturelle a également affecté l’Église, le surgissement du mouvement monastique et de son apport à la culture (les moines copistes) a transformé le tissu chrétien en exerçant une double tension entre la fuite du monde (fuga mundi) et la réponse aux besoins de ce monde. Sous son influence, une nouvelle conscience de soi se développe et l’intériorité signe l’émergence d’un nouveau sujet.
Les voies de l’Incarnation surtout livrent à l’auteur une clé pour lire l’histoire: les pèlerinages, le soin des pauvres, le culte des saints, leur calendrier, la circulation des reliques, le culte des morts témoignent de la proximité du divin et de l’humain et éveillent une nouvelle conscience de l’universalité de la société. Ils représentent autant de facteurs qui reconfigurent l’Occident fragmenté depuis la chute de Rome alors que le dialogue grec-latin a laissé la place au dialogue romain-germain. Si la situation est diverse entre les villes et les campagnes, l’édification des églises et leurs liturgies, tels des espaces paradisiaques sur terre, représentent des refuges où chacun peut trouver place.
Des épisodes tirés de la vie des saints, des résumés de chroniques, des extraits de lettres ou de discours illustrent agréablement les analyses de l’auteur qui ne manque pas de présenter les grands penseurs devenus des passeurs culturels: Augustin, Boèce, Cassiodore, Grégoire le Grand, Isidore de Séville, Bède le Vénérable. L’étude de l’évolution des langues et des écrits comme facteurs de la transformation culturelle complète cette passionnante fresque, qui se termine par l’évocation des dernières invasions (Scandinaves, Sarrasins, Magyars) à l’aube du renouveau carolingien, prélude de la chrétienté médiévale.
Même si l’auteur se concentre surtout sur l’histoire de la foi chrétienne plus que sur l’évolution politique et sociologique de l’Occident, son livre, écrit dans une langue agréable, reste très éclairant sur toute cette période charnière trop mal connue de l’histoire de l’Occident.