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mardi, 25 mai 2021 10:11

Aventurier de l’humanitaire

BoisardMarcel A. Boisard
Aventurier de l’humanitaire
Paris, du Panthéon 2019, 168 p.

Souvenirs d’un délégué du Comité international de la Croix-Rouge, au cours de dix ans dans le monde arabo-musulman, tel est le sous-titre de ce livre qui nous emmène en Algérie (sort des Harkis), au Yémen, en Égypte, à Gaza (pendant la guerre des Six-Jours, puis la guerre du Ramadan/Kippour), en Jordanie (Septembre Noir). Avec Marcel A. Boisard, nous plongeons dans l’histoire du Moyen-Orient, dans la réalité difficile vécue au ras du sol, dans les rencontres avec ses dirigeants… Ce sont des conditions qui sont encore malheureusement d’actualité. Mais «les expériences acquises par le CICR (en Algérie notamment) furent ultérieurement utiles lors des différents conflits qui surgirent lors du processus de décolonisation et contribuèrent au développement du droit humanitaire.»

Lorsqu’il quittera le CICR, Marcel A. Boisard écrira: «J’avais servi, au cours de cinq opérations, pendant plus de dix années, avec trois contrats de deux mois chacun, sans entretien d’embauche, sans formation spécifique, ni aucun contrôle médical. J’avais travaillé uniquement sur les champs de batailles et jamais au siège de Genève, où je ne connaissais que peu de monde hormis les cadres supérieurs […] L’Institution avait grandi […] Le phénomène de bureaucratisation commençait à s’abattre. Je ne saurais jamais plus être l’électron libre que je fus […] avec la liberté de prendre des initiatives et de courir des risques selon les circonstances.»
Cela en dit long sur la ténacité, la capacité de «courage et confiance, rigueur et persévérance, goût du risque et sens du compromis, enfin droiture et fermeté» qu’il faut pour accomplir des tâches qui en rebuteraient plus d’un: évacuer les blessés, acheminer des secours d’urgence, rapatrier des familles étrangères, installer des équipes chirurgicales, visiter les prisonniers et faire le lien avec leurs familles, collecter des informations sur les disparus, négocier dans le cadre des Conventions de Genève, etc. Et tout cela dans des conditions difficiles (déplacements à dos de chameaux ou de mulets, dans des climats arides, sous les balles…) «En prenant des risques aussi calculés que possible, on pouvait réaliser des œuvres utiles.»
Il fallait aussi de l’humour pour répondre à des demandes administratives coupées de la réalité du terrain (par exemple, l’interpellation soudaine de l’Institution qui se met à exiger des factures de plein d’essence … alors qu’au Yémen la benzine est pompée à la main par des vendeurs occasionnels le plus souvent illettrés; ou l’exigence de sécurité des dossiers: l’achat sur place d’un petit chien n’a pas été apprécié à Genève!) L’auteur déplore que la bureaucratie prenne le pas sur la confiance.
Sa carrière ne s’arrête pas là. Chercheur, enseignant, conseiller économique au Burundi, directeur général de l’Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche (UNITAR) et sous-secrétaire général des Nations Unies, ses compétences se sont aussi révélées dans la recherche, avec une thèse sur L’approche islamique classique des relations internationales et plusieurs livres et articles (notamment dans choisir).
L’histoire vécue est ici passionnante et ensemence nos réflexions sur l’actualité pour mieux comprendre le monde. L’expérience du «terrain», la capacité d’analyse, l’audace et la ténacité sont des valeurs que l’on peut apprécier. On en sera à jamais reconnaissants.

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