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mardi, 08 juin 2021 10:57

Le pardon ou la victime relevée

CausseGuilhem Causse
Le pardon ou la victime relevée
Paris, Salvator 2019, 190 p.

Écrit par un jésuite, voici un ouvrage en lien avec la problématique actuelle des abus sexuels. Travaillant à partir de plusieurs textes bibliques, l’auteur éclaire son propos en proposant de mettre en place des rituels célébrant le retour dans le monde des vivants de ceux qui sont atteints par le mal, qu’ils l’aient subi ou commis.

En effet, le pardon est un recours puissant pour que les victimes et les coupables se relèvent et retrouvent leur dignité, leur liberté, leur parole et leur place dans la société. C’est aussi une grande ressource pour les communautés que touche le crime.

Mais comment retrouver le vrai visage du pardon dans un contexte ecclésial, juridique et sociétal qui s’en est éloigné? Comment ne pas réduire le pardon à la reconnaissance de la culpabilité? L’Église, voire la société européenne toute entière, aurait fait l’impasse sur plusieurs dimensions. En se focalisant sur l’intime de la conscience du coupable, on a oublié les dimensions psychiques et corporelles. En se focalisant sur son retour à la légalité, on a oublié la dimension communautaire et sociale. En se focalisant sur le pardon que l’Église donne au pécheur, on a écarté la victime du travail du pardon.

Car si le pardon est bien un travail qui mène l’agresseur à prendre conscience de sa culpabilité, il commence néanmoins avec la victime qui doit prendre conscience du mal subi et demander justice. Cette justice commence par la réconciliation avec soi-même, avant d’aller vers une possible réconciliation avec l’autre. Seul ce travail permet aux deux, victime et agresseur, de redevenir «humains».

L’abus crée une faille, un abîme qui sépare victime et agresseur du reste du monde. «Le pardon est alors ce qui ne laisse pas l’abîme devenir le néant dans lequel serait engloutie l’humanité.» Le pardon franchit cet abîme, mais de façons fort différentes pour la victime et pour l’agresseur.

Pour le coupable, il est une parole, une «voix» qui l’appelle à avouer, même s’il ne comprend pas encore comment l’aveu peut le faire sortir de l’abîme. Pour la victime, le pardon est un geste posé par un autre qui s’est avancé vers elle pour la soigner, la relever, se mettre entre elle et l’agresseur, se retourner contre le coupable en lui faisant un reproche. Ce n’est que lorsqu’il est allé au bout de l’aveu et du repentir que le coupable peut recevoir le pardon. Ce n’est que lorsqu’elle est restaurée dans sa dignité d’être humain par des témoins que la victime peut envisager le pardon. Ainsi l’un et l’autre peuvent à nouveau faire partie du monde des vivants.

Il n’y a pas forcément besoin que victime et agresseur se rencontrent pour que le pardon soit donné et reçu. Le pardon vient délier le coupable de ses actes mauvais pour le relier à sa «puissance d’être» et il vient sortir la victime de la stupéfaction dans laquelle le mal l’a plongée.

Reste que nul ne sait d’où vient le pardon. Il nous échappe tout en révélant en chacun ce qu’il y a de bon en lui. L’homme du pardon est celui qui reconnaît la faille qui le traverse et accepte la promesse d’un avenir meilleur.

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