La démarche du dominicain se fait en deux étapes.
Dans un premier temps, il met en contexte la tradition, qu’il définit comme étant la Révélation transmise. Cette tradition contient deux dimensions: la vie évangélique enseignée par le Christ et par l’Esprit, les témoignages écrits par des humains sous l’inspiration de ce même Esprit. C’est par l’action de l’Esprit dans la tradition que l’Écriture annonce l’Évangile à l’Église. Ce faisant, l’auteur revisite Dei Verbum 11-13, qui définit que l’exégèse biblique n’est scientifique que si elle est ecclésiale et donc qu’elle doit se développer en théologie. Dei Verbum insiste sur le fait que seul l’Esprit saint permet d’interpréter l’Écriture dans le sens plein de ce que Dieu a voulu nous communiquer et que cette interprétation ne cesse de mûrir et doit continuellement s’affiner. À partir de cette relecture de Dei Verbum, l’auteur se demande jusqu’où reconnaître les imperfections contenues dans les Écritures à cause de la médiation humaine qu’a été leur rédaction. Il se pose aussi la question de la place des femmes dans les communautés chrétiennes aujourd’hui.
Kénose, conversation et incorporation du Verbe
Dans un second temps, l’auteur propose une théologie des Écritures. Il se penche tout d’abord sur le Jésus de Matthieu et observe comment celui-ci emploie, accomplit et dépasse la lettre des Écritures juives, sans les rendre caduques. Ensuite, il considère les Écritures selon trois points de vue: la kénose, la conversation et l’incorporation du Verbe.
En tant que kénose, les Écritures sont à la fois scandale et vérité, tant dans la chair que dans les mots.
En tant que conversation de Dieu avec son peuple, les Écritures sont bien plus qu’un simple dialogue. Elles sont communication et partage de vie. Et c’est là que peuvent intervenir des déformations, des interférences mêlant dissonances et vérités, des échos de multiples points de vue, dus à une compréhension limitée de la parole adressée par Dieu à son peuple.
En tant qu’incorporation du Verbe dans le canon des livres de la Bible, les Écritures sont aussi une incarnation du Christ dans un corps organique, avec des limites qui varient selon les confessions. C’est cette incorporation qui manifeste d’une éducation progressive voire d’un accomplissement possible.
Ceci étant posé -soit que l’Écriture est chair, parole et corps dans la perspective du Verbe-, il reste à discuter de notre capacité de croyants à recevoir et à interpréter les Écritures avec l’Esprit du Christ Ressuscité… ce que l’auteur fait hardiment.
• Qui est qualifié pour interpréter le Écritures? Jésus! Après la Résurrection, ce sera les Onze et leurs compagnons; après la Pentecôte la communauté chrétienne, toute entière.
• Quels sont les obstacles à surmonter, les tentations typiques? Savoir mais ne pas croire, ni bouger… Refuser l’inédit par attachement aveuglant aux traditions... Régresser après avoir reçu la plénitude de la nouveauté…
• Quelles sont les conditions à ménager pour que les Écritures soient un moyen de salut dans l’Esprit ? Être disposé à recevoir l’Esprit du Ressuscité. Ne pas accepter de recevoir les sens spirituels en dehors du texte lui-même. Faire résonner l’unité de l’Écriture sans gommer tensions, ni résistances. Entendre avec le Christ le cri du monde, des pauvres, des femmes…
Alors, jusqu’où ouvrir le livre? Spécialement sur des terrains où il serait plus facile de le garder fermé? Jusqu’où l’Esprit du Seigneur conduit l’Église à le faire, dans un processus d’appropriation et une transformation continuelle.
Emmanuel Durand
Jusqu’où ouvrir le livre?
Brève théologie des Écritures
Paris, Cerf 2021, 216 p.
Dominicain à Fribourg, Emmanuel Durand est professeur associé de théologie au Collège universitaire dominicain (Ottawa-Montréal).