L’auteure évoque souvent l’Orient, qu’elle a sillonné en 2 CV autrefois comme jeune et innocente journaliste, brutalement confrontée à la violence des guerres tribales ou à la lutte des réfugiés palestiniens de Syrie; comme quand un feddayin blessé est jeté à terre par une jeep de l’ONU devant l’Hôtel Intercontinental et qu’un confrère plus âgé lui crie: «Tournez la tête, vous êtes trop jeune pour voir cela!» Si Dieu existe, pourquoi permet-il les guerres et le massacre des innocents? demande-t-elle un jour à son père spirituel Maurice Chappaz, lors de la parution de son Évangile selon Judas. «Ce n’est pas Dieu qui permet ces horreurs. Celles-ci dépendent du libre arbitre de l’homme», lui répond-il. «J’étais demeurée muette», se souvient celle qui a été éduquée par des religieuses.
Le second texte du livre est un hommage au poète Philippe Rahmy, mort prématurément car atteint de la maladie des os de verre. Pourtant, d’une force de vie exceptionnelle, l’écrivain a beaucoup bourlingué, après avoir abandonné l’égyptologie à Paris. Rentrant en Suisse, il s’inscrit en Lettres. Il a publié quatre livres et on peut lire son roman inachevé Terre Sainte (voir le site de l’Association des amis de Philippe Rahmy).
Les liens que tisse Gilberte Favre entre ces deux destinées exceptionnelles que sont celles de Rimbaud et de Philippe Rahmy, c’est l’Orient et la passion de la poésie. La voix de Rahmy ne pouvait que la toucher, lui qui se définit comme «juif par ma mère allemande, musulman par mon père égyptien, chrétien par mon baptême», ajoutant « j’interroge et je deviens cet héritage».
Gilberte Favre, elle, avait épousé un humaniste kurde en exil, une figure lumineuse de vingt-six ans son aîné, torturé pour son engagement politique par les bourreaux du parti Baas dans les prisons de Damas: Noureddine Zaza n’en voudra jamais à ses tortionnaires. L’Orient est pour Gilberte Favre sa seconde patrie, pour ne pas dire sa seconde nature. Elle nous le restitue avec une grande délicatesse.