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mercredi, 31 août 2022 11:00

La monde naturel sous l'œil poétique d’Erwan Frotin

Frotin Flux 1 FR 150dpiEn plus d’une dizaine d’années, le photographe franco-suisse Erwan Frotin a bâti une archive biologique foisonnante qui nous plonge au cœur des formes du vivant. FLUX 1: Renaissance est un fascinant premier recueil de son Encyclopédie subjective du monde naturel dont plusieurs autres volumes sont à venir.

Fleurs sauvages, perles mystérieuses, oiseaux exotiques, ciels ombragés, fragments de glace… Erwan Frotin est un explorateur de territoires inconnus, attiré par la notion de métamorphose, de transfiguration et de mouvance perpétuelle. Installé à Fontainebleau dans le sud-est de Paris, il fête cette année les vingt ans de son parcours photographique qui donne à voir et à découvrir autrement les merveilles telluriques. Un travail en profondeur que ce poète visuel a bâti sur le temps, entremêlant l’art, le design, le chamanisme, l’astrologie et le numérique. En résultent des clichés délicats, colorés et émouvants qui capturent à nuls autres pareils la vie aux quatre coins du globe.

Perceptions et émotions

Natif de Toulon, en France, Erwan Frotin a vécu toute son enfance en Suisse. Diplômé en photographie à l’École cantonale d’art de Lausanne (ECAL) en 2002, il a toujours été attentif à ce qui l’entoure. «Étant enfant unique, j’ai passé ma prime jeunesse souvent seul et les livres ont été pour moi une grande fenêtre sur le monde», explique-t-il. «Je me suis intéressé très vite à la zoologie, à la science, à la géographie, à la mythologie et je dessinais beaucoup.» À 25 ans, il quitte le Canton de Vaud pour Paris et navigue depuis lors entre divers endroits.

Frotin MER RE SAINT PAUL 084454 V4Montrer la nature comme il la voit et la ressent reste son credo depuis une dizaine d’années. Une intuition qui ne l’a jamais quitté. Cette beauté est telle qu’il invite les gens à en faire l’expérience. En 2007, Erwan Frotin avait déjà publié un livre, Flora Olbiensis, sur des fleurs sauvages qui nous échappent à l’œil nu, prises à la Villa Noailles. À la manière d’un artiste dans le rôle du botaniste, il commençait alors à dresser un inventaire de la flore dans une palette de couleurs chatoyantes, associée à l'histoire du surréalisme.

Aujourd’hui, FLUX 1: Renaissance devient non seulement un premier recueil de son Encyclopédie subjective du monde naturel, mais aussi et surtout une version bien plus étendue. Sur 92 pages, il portraiture ainsi la faune, la flore, les végétaux, les minéraux, le paysage et l’espèce humaine. La structure de ce carnet de voyage singulier s’est construite dans un processus lent et réflexif en démarrant avec l’argentique: «Notre relation à la nature, l’émerveillement et l’intérêt dans ce qu’on regarde demandent de l’attention et du temps. La vitesse digitale ne permet pas d’aller profondément dans le ressenti», précise-t-il «J’ai toujours eu une exigence pour les techniques et les images dans mon travail dédié aux commandes éditoriales et publicitaires. Ces contraintes m’ont permis d’apprendre et d’aborder des situations différentes.»

Métamorphose et transfiguration

L’enchevêtrement des domaines a confirmé cette approche intuitive et protéiforme. «Le chamanisme et l’astrologie font partie de mon cheminement personnel et intellectuel. Cela a changé beaucoup de choses dans ma vie, mon rapport au monde et à moi-même. Le chamanisme, qu’on peut rapprocher de la méditation, est un moyen de rentrer en contact avec les esprits et les forces de la nature.» La sortie de FLUX 1: Renaissance en 2022, avec le lancement de la nouvelle maison d’édition Note Note, fut pour lui un véritable soulagement. «S’attaquer à un sujet aussi vaste que la nature demande énormément d’expérimentation et de chemin pour arriver à réaliser quelque chose de personnel. Ce projet a pour vocation d’interconnecter toutes les parties du monde. Pour un esprit comme le mien qui aime comprendre ce qu’il fait, j’ai dû apprendre à lâcher prise.»

Frotin ROSE ANNA MARIA 7666 44 001 V7C’est à la vision du film Avatar de James Cameron, en 2009, que cette collecte est devenue l’évidence. «L’univers, sa portée universelle et ses moyens esthétiques ont tout de suite été très cohérents pour moi», se souvient le photo-graphe «Cette belle fable parle de la nature, réaliste, où tout est modifié, tordu, tendant vers le rêve. Il m’a rappelé Fantasia, qui m’avait tout autant marqué enfant. Comme son titre l’indique, il s’agissait d’un fantasme, de la fantaisie. Il partait d’animaux réels que Walt Disney a anthropomorphisés et colorés. Cela va plus loin que le simple dessin animé pour enfants, c’est cet aspect de la transformation qui m’intéresse.»

FLUX 1 aborde ainsi l’élément Air et la thématique de la renaissance. À l’instar de la nature polysémique, ce volume offre plusieurs niveaux de lecture. Au format vinyle, entre le 45 et le 33 tours, il est construit comme une partition musicale, avec ses refrains. Il est nourri de textes et de poésie, insufflant une nouvelle portée à ses travaux. Il est le premier de cinq livres, qui traiteront des quatre éléments comme une collection, mais représente le dernier chapitre: «Je les ai ordonnés pour qu’ils symbolisent chacun une partie de la vie humaine et de la vie tout court. C’est un peu comme la trilogie Star Wars originelle, où le premier film sorti est en réalité le dernier volet», souligne-t-il. «Celui-ci évoque l’idée de création, du renouvellement, de la reconnexion avec le cosmos. Il vient après une certaine mort, une certaine fin.» Et en dessin de couverture, le Simurgh, un oiseau omniscient: «Il s’apparente au Phénix mythologique et a vécu plusieurs fois la destruction et la renaissance du monde.»

Éternel recommencement

Hawaï, Amérique centrale, Antarctique, Mexique, Japon, Inde, Australie, Afrique du Sud, Philippines… les destinations d’Erwan Frotin oscillent ainsi entre des choix spécifiques et au gré de ses envies. «De mes premiers voyages au Costa Rica, au cœur de la forêt tropicale, à tous les autres lieux, cela m’a permis de photographier en nombre. Ce sont aussi souvent des endroits où se produit une activité volcanique, car cela m’attire», détaille-t-il. «Les questions de la vie et de la mort sont très présentes. Les éruptions modifient la typologie, la vie, le vivant. Tout disparaît, tout revient, et ainsi de suite.»

Au fil des pages, le lecteur contemple ainsi ces merveilles terrestres reconnaissables. À l’instar des fleurs, des oiseaux et des portraits colorés de personnes non binaires. Puis, s’arrête et observe cette série de perles nacrées aux allures de planètes oniriques ou de formes abstraites et globuleuses, laissant vaquer son imaginaire. Pour Erwan Frotin, la nature est magnifique dans son état. Ce flux d’images, pris en studio ou en extérieur, n’est d’ailleurs pas retravaillé, hormis pour révéler numériquement certains aspects. «Je les isole au moment de la prise de vue», spécifie Erwan Frotin «Les perles sont éclairées avec des lampes et des flashs, mais gardent leurs vraies couleurs. Les fleurs tropicales rares sont également prises telles quelles dans des fermes perlières. Les ossements d’animaux marins (tortues, raies, dauphins), que j’ai suspendus en l’air devant le ciel, sont photographiés en lumière naturelle sur les plages du Mexique et du Costa Rica.»

Ce virtuose ne se considère pas pour autant comme un photographe documentaire, mais propose une œuvre d’un nouveau genre, qui navigue entre le réel et le surréel, ajoutant des jeux de couleurs en toile de fond et des couches de sens pour ainsi ouvrir le champ du questionnement. Dans ses actualités, il prévoit le second volume à l’automne 2023 avec pour élément le Feu, et cinq de ses portraits humains colorés vont intégrer pour la première fois les collections permanentes de Photo Elysée à Lausanne, l'un des plus importants musées dédiés au médium photographique.

Frotin FLUX PERLE V4 F1 12 09 2011 0001 V5

Erwan Frotin
FLUX 1, Une encyclopédie subjective du monde naturel
Textes d’Erwan Frotin, David Lemaire, Célia Houdart et Kripi Malviya
Paris, Note Note Éditions 2022, 92 pages

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