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jeudi, 10 juillet 2008 02:00

Anthropologie du football

muller41642footDenis Müller, Le footbal, ses dieux et ses démons.Menaces et atouts d'un jeu déréglé, (Le champs éthique, n° 49), Labor et Fides, Genève 2008, 256 p.

C'est une véritable somme sur le foot que nous offre le professeur d'éthique de Lausanne Denis Müller. Avec sa triple compétence de théologien, d'observateur de la société et de « fan ». La passion qui l'habite depuis l'enfance ne l'aveugle pas au point qu'il en perde sa lucidité de penseur. Au contraire, elle ne l'en rend que plus attentif aux ambivalences constantes de ce jeu, sans cesse tenté de se muer en « quasi religion ».

Tout y passe : l'évolution du football vers la « postmodernité financière » de la libre circulation des joueurs ; l'histoire du « jeu de balle au pied » distingué du rugby ; le football féminin à la recherche de sa spécificité dans ce monde macho ; le commentaire savoureusement éthique des 17 lois, somme toute assez complexes, de ce sport ; la figure essentielle à la gestion de la « rencontre » qu'est l'arbitre, dans son incontournable « présence réelle » en chair et en os ; les possibles récupérations fascisantes du fanatisme nationaliste ; mais aussi la fonction éducative et sociale du foot quand il sert, par exemple, à lutter contre l'apartheid, comme ce sera le cas lors du Mundial 2010 en Afrique du Sud ; la violence inéluctable mais en grande partie maîtrisable de l'hooliganisme extrême ; la marchandisation des joueurs réduits à l'esclavage ; la loi du silence imposée sur le dopage, menaçant autant l'équité sportive que la santé publique ; les cas heureusement peu nombreux de matchs truqués.

En bon éthicien qui se respecte, Denis Müller plaide en finale pour une responsabilisation de l'ensemble des acteurs : les joueurs, les entraîneurs, les dirigeants avec leur concept de formation, comme les journalistes, pour que le fair-play règne à tous les niveaux, des ligues inférieures à la plus haute compétition.

L'ouvrage fera date car il offre une véritable anthropologie du football dans sa relation avec le désir humain de gloire. Il peut conduire les convaincus à plus de perspicacité sur les ambiguïtés de leur sport favori, risquant toujours de basculer du côté de l'idolâtrie ; mais il peut aussi amener les réfractaires à un jugement plus nuancé sur ce sport dont on a souvent tendance à faire le bouc émissaire d'un malaise existentiel généralisé. Le footballeur, être divin et démoniaque à la fois ? Il n'est que le symbole de l'inachèvement de tout homme en quête d'absolu, tiraillé entre la pulsion destructrice de la victoire et la recherche de la joie. Le foot comme jeu, compétition et spectacle, avec son éthique nécessairement incomplète, n'est que le reflet de l'ambivalence fondamentale de toute performance humaine. Ni pire ni meilleur. Cet ouvrage est à consommer avec autant d'avidité que les cacahuètes englouties devant notre poste durant l'Euro !

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