D’entrée on est tétanisé par les cris d’un nouveau-né. Oui, c’est ainsi qu’on vient au monde, dans la violence. Dans cette narration scénique qui emprunte aux surréalistes et à l’art-performance, débordante de signifiants, le spectateur est plongé dans l’aventure de l’existence humaine, à travers ce collage impressionnant. La bande-son s’avère éprouvante par moments. Ça gronde, ça scratche, ça vous envoie des sons de caverne antédiluvienne, d’animal sauvage. Venir au monde, puis y survivre, est un cauchemar non climatisé.
Dieu est-il d’un quelconque secours? La question de la foi s’invite dans un habile détournement d’images de cinéma. «J’aimerai croire en Dieu mais je ne peux pas», ou bien au contraire: «Il faut croire en Dieu». Ces questions métaphysiques sont mises dans la bouche de Bette Davis (tiré de Qu’est il arrivé à Baby Jane) de Marylin ou de Lauren Bacall, par des extraits de films noir et blanc. Pour Cisco Aznar la violence c’est aussi LE politique évidemment; il est fait allusion au dictateur Franco, que la mémoire collective hispanique continue de citer. L’Espagne fait mal à Cisco Aznar, catalan d’origine. L’Espagne, il l’écrit is pain (est douleur). Comme cette autre artiste hantée par le poids, mais aussi le merveilleux de la religion catholique, Angelica Liddell (dans sa performance sur L’Epitre de St Paul aux Corinthiens), Cisco Aznar puise dans ce puissant passé culturel et religieux de l’Espagne: danseur en robe de dentelle, images pieuses, poupées-icônes qui jonchent le sol, images qui palpitent, chair qui souffre.
La danse grimaçante et tournoyante de Roberto Gomez Luque représente l’exorcisme de toute cette mémoire collective. Le magma de la bande-son, très élaborée, couplée avec les images vidéo est dans le registre de l’effroi, tandis que la beauté surgit du chant de Maria de la Paz, sur scène, une fleur dans les cheveux, accompagnée par le vibraphoniste et compositeur Luca Musy. Nous sommes condamnés à vivre, mais la beauté n’a pas disparu. Elle survient comme un répit dans ce spectacle. Luna, fortuna, corazon, ces mots captés au détour d’une oreille non hispanique, disent que la douceur succède à la violence. Le solo de Roberto Gomez Luque, dansé à la fin du spectacle, en longue robe blanche de poupée, sur la musique néo flamenco du compositeur Musy est hallucinant. Moment rare, point d’orgue de ce théâtre noir. Puis le danseur s’enveloppe dans du plastique, s’y enroule corps et tête, s’immobilise couché dans ce linceul, au bord de la scène, tandis que les spectateurs s’en vont doucement en passant devant lui. On se prend à espérer qu’il respire bien…Tant l’identification avec cette pièce sombre est forte.