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vendredi, 18 juin 2021 10:32

Travail et covid: appel du pape devant l’OIT

Manifestation en France, 2012 © Fred de Noyelle/GodongJeudi 17 juin 2021, le pape François a adressé un long message vidéo aux participants de la Conférence internationale du travail réunis à Genève, une intervention très attendue par les représentants des gouvernements, des organisations patronales et des travailleurs. L’Église catholique et les gouvernements, a-t-il dit, doivent travailler main dans la main pour protéger les travailleurs les plus marginalisés et les plus affectés par la pandémie et ses effets.

L'intégralité du message du pape peut être lu en bas de cet article.

Le pape ne cesse de porter attention aux travailleurs les plus vulnérables dans le monde, les jeunes, les migrants et tous ceux qui vivent de l’économie informelle, mais aussi à tous ceux qui assistent les victimes de l’épidémie, rappelant que les valeurs de la doctrine sociale touchant le travail, la dignité, la solidarité sont essentielles. Son encyclique Laudato Si' invitait à porter attention et soin à notre monde et à la Création: le travail doit davantage encore y contribuer. Il a réitéré ces préoccupations lors de la Conférence 2021 de l’OIT qui débat des questions sociales liées au monde du travail et conçoit les normes internationales en matière de protection des travailleurs.

La situation des travailleurs dissimulés

Mettant en garde contre les risques d’isolationnisme et de nationalisme, le pape François a plaidé pour la mise en place de conditions de travail décentes issues «d’une négociation collective» et fondées sur le bien commun. Certains travailleurs –à l’exemple des migrants– sont tout particulièrement touchés par la crise et doivent être protégés en priorité, a-t-il insisté. Il a appelé l’Église à veiller à ce que toutes les personnes vulnérables –malades, handicapées ou encore dépendantes– puissent avoir la garantie d’une protection sociale adaptée. Plus globalement, il a dénoncé la situation des travailleurs dissimulés, non couverts par les systèmes de protection sociale.

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Reprenant les fondamentaux de la Doctrine sociale de l’Église, le pontife a également invité l’OIT à une correcte compréhension du travail, prenant soin de l’homme et de la Création. Pour atteindre cet objectif, il suggère de valoriser davantage l’apport de cultures marginalisées –à l’image de la culture indigène– qui mettent concrètement en pratique la solidarité.

La propriété privée, un droit secondaire

Évoquant la mission des entrepreneurs, le Saint Père les a exhorté à œuvrer davantage au service des autres et à lutter contre la pauvreté: «Parfois, quand on parle de propriété privée, on oublie qu’il s’agit d’un droit secondaire, qui dépend de ce droit primaire, qui est la destination universelle des biens.» Rappelant le droit à se syndiquer, il a aussi mis en garde les syndicats contre le risque de corruption, les invitant à veiller sur les travailleurs tels des gardiens qui surveillent et protègent «ceux qui se trouvent à l’intérieur de la cité du travail». Pour le pape, il leur revient de «se concentrer sur les situations concrètes des quartiers et des communautés dans lesquels ils œuvrent». (apic/choisir)


Texte du message vidéo adressé par le pape François

(traduction CERAS)

Monsieur le Président de la Conférence internationale du travail,
Chers représentants des gouvernements et des organisations d'employeurs et de travailleurs,

Je remercie le directeur général, M. Guy Ryder, qui m'a si aimablement invité à présenter ce message au Sommet sur le monde du travail. Cette conférence est convoquée à un moment crucial de l'histoire sociale et économique, qui présente des défis sérieux et de grande envergure pour le monde entier. Ces derniers mois, l'Organisation internationale du travail, par le biais de ses rapports réguliers, a fait un travail louable en accordant une attention particulière à nos frères et sœurs les plus vulnérables.

Pendant la crise qui perdure, nous devons continuer à faire preuve d'un "soin particulier" pour le bien commun. Bon nombre de perturbations possibles et prévues ne se sont pas encore manifestées, de sorte que des décisions prudentes devront être prises. La réduction du temps de travail au cours des dernières années a entraîné à la fois des pertes d'emploi et une réduction du temps de travail pour ceux qui conservent leur emploi. De nombreux services publics, ainsi que des entreprises, ont été confrontés à d'énormes difficultés, certains risquant la faillite totale ou partielle. Dans le monde entier, nous avons assisté à des pertes d'emplois sans précédent en 2020.

Dans la hâte de retrouver une plus grande activité économique à la fin de la menace de la COVID-19, évitons les fixations du passé sur le profit, l'isolationnisme et le nationalisme, le consumérisme aveugle et le déni des preuves évidentes de discrimination envers nos frères et sœurs "jetables" dans notre société. Cherchons plutôt des solutions qui nous aideront à construire un nouvel avenir du travail fondé sur des conditions de travail décentes et dignes, issu d’une négociation collective, et qui promeuve le bien commun, une base qui fera du travail une composante essentielle de notre soin de la société et de la création. En ce sens, le travail est véritablement et essentiellement humain. C'est de cela qu'il s'agit, qu'il soit humain.

Rappelant le rôle fondamental de cette Organisation et de cette Conférence en tant que lieux privilégiés de dialogue constructif, nous sommes appelés à donner la priorité à notre réponse aux travailleurs qui se trouvent en marge du monde du travail et qui sont encore affectés par la pandémie de la COVID-19 : les travailleurs peu qualifiés, les journaliers, ceux du secteur informel, les travailleurs migrants et réfugiés, ceux qui exercent ce que l'on appelle souvent le " travail tridimensionnel ": dangereux, sale et dégradant, et ainsi de suite.

De nombreux migrants et travailleurs vulnérables, ainsi que leurs familles, sont souvent exclus de l'accès aux programmes nationaux de promotion de la santé, de prévention des maladies, de traitement et de soins, ainsi qu'aux régimes de protection financière et aux services psychosociaux. C'est l'un des nombreux cas de cette philosophie du jetable que nous avons pris l'habitude d'imposer dans nos sociétés. Cette exclusion complique la détection précoce, le dépistage, le diagnostic, la recherche des cas contacts et la recherche de soins au COVID-19 pour les réfugiés et les migrants et augmente ainsi le risque d'épidémies parmi ces populations. Ces épidémies peuvent passer inaperçues ou même être activement dissimulées, ce qui constitue une menace supplémentaire pour la santé publique.

L'absence de mesures de protection sociale face à l'impact de la COVID-19 a entraîné une augmentation de la pauvreté, du chômage, du sous-emploi, une augmentation du travail informel, un retard dans l'entrée des jeunes sur le marché du travail, ce qui est très grave, une augmentation du travail des enfants, plus grave encore, la vulnérabilité au trafic d'êtres humains, l’insécurité alimentaire et une exposition accrue aux infections parmi des populations telles que les malades et les personnes âgées. À cet égard, je vous remercie de me donner l'occasion de soulever certaines préoccupations et observations essentielles.

Tout d'abord, c'est une mission essentielle de l'Église que d'appeler tous les hommes à travailler ensemble, avec les gouvernements, les organisations multilatérales et la société civile, pour servir et prendre soin du bien commun et pour assurer la participation de tous dans cette entreprise. Personne ne devrait être laissé de côté dans un dialogue pour le bien commun, dont le but est, avant tout, de construire, de consolider la paix et la confiance entre tous. Les plus vulnérables -les jeunes, les migrants, les communautés autochtones, les pauvres- ne peuvent être laissés de côté dans un dialogue qui devrait également réunir les gouvernements, les entrepreneurs et les travailleurs. Il est également essentiel que toutes les confessions et communautés religieuses s'engagent ensemble. L'Église a une longue expérience de la participation à ces dialogues par le biais de ses communautés locales, de ses mouvements populaires et de ses organisations, et elle s'offre au monde comme bâtisseuse de ponts pour aider à créer les conditions de ce dialogue ou, le cas échéant, pour contribuer à le faciliter. Ces dialogues pour le bien commun sont essentiels à la réalisation d'un avenir durable et bienveillant pour notre maison commune et devraient avoir lieu aux niveaux communautaire, national et international. Et l'une des caractéristiques d’un dialogue véritable est que ceux qui dialoguent soient au même niveau de droits et de devoirs. Celui qui a moins de droits ou plus de droits ne peut dialoguer avec celui qui n'en a pas. Le même niveau de droits et de devoirs garantit ainsi un dialogue sérieux.

Deuxièmement, il est également essentiel pour la mission de l'Église de veiller à ce que chacun obtienne la protection dont il a besoin en fonction de ses vulnérabilités : maladie, âge, handicap, déplacement, marginalisation ou dépendance. Les systèmes de protection sociale, qui sont eux-mêmes confrontés à des menaces importantes, doivent être soutenus et étendus afin de garantir l'accès aux services de santé, à l'alimentation et aux besoins humains de base. En cas d'urgence, comme la pandémie de COVID-19, des mesures d'assistance spéciales sont nécessaires. Il est également important d'accorder une attention particulière à la fourniture complète et efficace d'aide via les services publics. Les systèmes de protection sociale ont été appelés à relever un grand nombre des défis de la crise, alors même que leurs faiblesses devenaient plus évidentes. Enfin, la protection des travailleurs et des plus vulnérables doit être assurée à travers le respect de leurs droits essentiels, dont le droit de s’organiser en syndicat. En d'autres termes, la syndicalisation est un droit. La crise de la COVID a déjà touché les plus vulnérables et ceux-ci ne doivent pas être lésés par des mesures visant à accélérer une reprise qui se concentrerait uniquement sur les marqueurs économiques. En d'autres termes, il est également nécessaire de procéder à une réforme du mode de fonctionnement de l'économie, une réforme approfondie de l'économie. Le mode de fonctionnement de l'économie doit être diversifié, il doit aussi changer.

En cette période de réflexion, alors que nous cherchons à façonner notre action future et à définir un programme international pour l'après-COVID-19, nous devrions accorder une attention particulière au danger réel d'oublier les laissés-pour-compte. Ils risquent d'être attaqués par un virus plus grave encore que celui de la COVID-19: celui de l'indifférence égoïste. En d'autres termes, une société ne peut pas progresser en rejetant, elle ne peut pas progresser. Ce virus se propage en pensant que la vie est meilleure si elle est meilleure pour moi, et que tout ira bien si tout va bien pour moi, et ainsi nous commençons et finissons par sélectionner une personne plutôt qu'une autre, en écartant les pauvres, en sacrifiant les laissés pour compte sur le soi-disant "autel du progrès". Et c'est toute une dynamique élitiste, de constitution de nouvelles élites au prix de la mise au rebut de nombreuses personnes et de nombreux peuples.

En regardant vers l'avenir, il est fondamental que l'Église, et donc l'action du Saint-Siège auprès de l'Organisation internationale du travail, soutienne les mesures qui corrigent les situations injustes ou incorrectes qui affectent les relations de travail, les rendant complètement assujetties à l'idée d'"exclusion", ou violant les droits fondamentaux des travailleurs. Une menace est représentée par les théories qui considèrent le profit et la consommation comme des éléments indépendants ou comme des variables autonomes de la vie économique, excluant les travailleurs et déterminant leur niveau de vie déséquilibré: "Aujourd'hui, tout entre dans le jeu de la compétitivité et de la loi du plus fort, où le fort mange le plus faible. En conséquence de cette situation, de grandes masses de la population se retrouvent exclues et marginalisées : sans travail, sans horizon, sans issue" (Evangelii Gaudium, EG 53).

La pandémie actuelle nous a rappelé qu'il n'y a pas de différences ni de frontières entre ceux qui souffrent. Nous sommes tous fragiles et, en même temps, nous avons tous une grande valeur. Puissions-nous être profondément secoués par ce qui se passe autour de nous. Le temps est venu d'éliminer les inégalités, de guérir l'injustice qui mine la santé de toute la famille humaine. Face à l'agenda de l'Organisation internationale du travail, nous devons continuer comme nous l'avons fait en 1931, lorsque le pape Pie XI, dans le sillage de la crise de Wall Street et en pleine "Grande Dépression", a dénoncé l'asymétrie entre les travailleurs et les employeurs comme une injustice flagrante qui accordait au capital carte blanche et disponibilité. Il a déclaré: "Pendant longtemps, en fait, la richesse ou le "capital" a trop revendiqué pour lui-même. Le capital s'est arrogé tout le rendement, la totalité du produit, laissant au travailleur à peine de quoi réparer et restaurer ses forces" (Quadragesimo anno, QA 54). Même dans de telles circonstances, l'Église a promu la position selon laquelle le montant de la rémunération du travail effectué ne doit pas seulement viser à satisfaire les besoins immédiats et présents des travailleurs, mais aussi à ouvrir la capacité des travailleurs à sauvegarder les économies futures de leur famille ou les investissements capables de garantir une marge de sécurité pour l'avenir.

Ainsi, dès la première session de la Conférence internationale, le Saint-Siège s'est prononcé en faveur d'une réglementation uniforme applicable au travail dans ses différents aspects, en tant que garantie pour les travailleurs[2]. Sa conviction est que le travail, et donc les travailleurs, peuvent compter sur des garanties, un soutien et une autonomisation s'ils sont protégés du "jeu" de la déréglementation. En outre, les normes juridiques doivent être orientées vers le développement de l'emploi, du travail décent et des droits et devoirs de la personne humaine. Tous ces éléments sont des moyens nécessaires à leur bien-être, au développement humain intégral et au bien commun.

L’Église catholique et l'Organisation internationale du travail, répondant à leurs natures et rôles différents, peuvent continuer à poursuivre leurs stratégies respectives, mais elles peuvent aussi continuer à profiter des opportunités de collaboration sur un large éventail d'actions pertinentes.

Pour promouvoir cette action commune, il est nécessaire de comprendre correctement le travail. Le premier élément d'une telle compréhension exige que l'on se concentre sur toutes les formes de travail, y compris les formes d'emploi atypiques. Le travail va au-delà de ce que l'on appelle traditionnellement "l'emploi formel", et l'Agenda pour le travail décent doit inclure toutes les formes de travail. L'absence de protection sociale pour les travailleurs informels et leurs familles les rend particulièrement vulnérables aux chocs, car ils ne peuvent pas compter sur la protection offerte par les régimes d'assurance sociale ou d'aide sociale qui sont axés sur la pauvreté. Les femmes de l'économie informelle, y compris les vendeuses de rue et les employées de maison, subissent l'impact de la COVID-19 de plusieurs manières, de l'isolement à l'exposition extrême aux risques sanitaires. En l'absence de structures d'accueil accessibles, les enfants de ces travailleuses sont exposés à des risques sanitaires accrus, car les femmes doivent les amener sur les lieux de travail ou les laisser sans protection à la maison. Il est donc absolument nécessaire de veiller à ce que l'aide sociale atteigne l'économie informelle et accorde une attention particulière aux besoins spécifiques des femmes et des filles.

La pandémie nous rappelle que de nombreuses femmes dans le monde continuent de réclamer la liberté, la justice et l'égalité entre tous les êtres humains: Bbien qu'il y ait eu des améliorations notables dans la reconnaissance des droits des femmes et dans leur participation à la sphère publique, il y a encore beaucoup de progrès à faire dans certains pays. Des coutumes inacceptables n'ont pas encore été éradiquées; je souligne la violence honteuse qui s'exerce parfois sur les femmes, la maltraitance à l’intérieur de la famille et les diverses formes d'esclavage [...] Je pense à [...] l'accès inégal aux emplois dignes et aux lieux de décision" (Amoris laetitia, AL 54).

Le deuxième élément pour une compréhension correcte du travail: si le travail est une relation, il doit intégrer la dimension du soin, parce qu’aucune relation ne peut survivre sans soin. Il ne s'agit pas ici du seul travail de soins: la pandémie nous rappelle son importance fondamentale, que nous avons peut-être négligée. Le soin va au-delà; il doit être une dimension de tout travail. Un travail qui ne prend pas soin, qui détruit la création, qui met en danger la survie des générations futures, n'est pas respectueux de la dignité des travailleurs et ne peut être considéré comme décent. Au contraire, un travail qui se prend soin, qui contribue à la restauration de la pleine dignité humaine, contribuera à assurer un avenir durable aux générations futures. Et dans cette dimension de soin, entrent en premier lieu les travailleurs. En d'autres termes, une question que nous pouvons-nous poser au quotidien est: comment une entreprise, par exemple, prend-elle soin de ses travailleurs?

Outre une compréhension correcte du travail, la sortie dans de meilleures conditions de la crise actuelle passe par le développement d'une culture de la solidarité, par opposition à la culture du déchet qui est à l'origine des inégalités qui frappent le monde. Pour atteindre cet objectif, il faudra valoriser l'apport de toutes ces cultures, comme les cultures indigènes et populaires, souvent considérées comme marginales, mais qui maintiennent vivante la pratique de la solidarité, qui "signifie bien plus que quelques actes sporadiques de générosité". Chaque peuple a sa propre culture, et je crois qu'il est temps de se libérer une fois pour toutes de l'héritage des Lumières, qui ont utilisé le mot culture pour désigner un certain type de formation intellectuelle ou d'appartenance sociale. Chaque peuple a sa culture et nous devons l'assumer telle qu'elle est: "Cela signifie penser et agir en termes de communauté, donner la priorité à la vie de tous sur l'appropriation des biens par quelques-uns. Il s'agit également de lutter contre les causes structurelles de la pauvreté, les inégalités, le manque de travail, de terre et de logement, le déni des droits sociaux et du travail. Il s'agit de faire face aux effets destructeurs de l'empire de l'argent. La solidarité, comprise dans son sens le plus profond, est une manière de faire l'histoire et c'est ce que font les mouvements populaires" (Fratelli tutti, FT 116).

Je m'adresse à vous avec ces mots, participants à la 109e Conférence internationale du travail, car en tant qu'acteurs institutionnalisés du monde du travail, vous avez une grande opportunité d'influencer les processus de changement déjà en cours. Votre responsabilité est grande, mais le bien que vous pouvez faire est encore plus grand. Je vous invite donc à relever le défi auquel nous sommes confrontés. Les acteurs établis peuvent compter sur l'héritage de leur histoire, qui reste une ressource d'une importance capitale, mais dans cette phase historique, ils sont appelés à rester ouverts au dynamisme de la société et à promouvoir l'émergence et l'inclusion d'acteurs moins traditionnels et plus marginaux, porteurs d'impulsions alternatives et innovantes.

Je demande aux responsables politiques et à ceux qui travaillent dans les gouvernements de toujours s'inspirer de cette forme d'amour qu'est la charité politique: "un acte de charité tout aussi indispensable [est] l'effort pour organiser et structurer la société de telle sorte que notre prochain n'ait pas à souffrir de la misère. C'est de la charité d'accompagner une personne qui souffre, et c'est aussi de la charité tout ce qui est fait, même sans avoir de contact direct avec cette personne, pour changer les conditions sociales qui causent sa souffrance. Si quelqu'un aide un vieil homme à traverser une rivière, et c'est de la charité exquise, le politicien lui construit un pont, et c'est aussi de la charité. Si quelqu'un aide quelqu'un d'autre en lui fournissant à manger, l'homme politique crée une source de travail pour lui, et exerce une forme très élevée de charité qui ennoblit son action politique" (Fratelli tutti, FT 186).

Je rappelle aux entrepreneurs leur véritable vocation: produire des richesses au service de tous. L'activité entrepreneuriale est essentiellement "une noble vocation visant à produire des richesses et à améliorer le monde pour tous. Dieu nous promeut, il attend de nous que nous développions les capacités qu'il nous a données et il a rempli l'univers de potentialités. Dans ses desseins, chaque homme est appelé à promouvoir son propre progrès, ce qui implique de favoriser les capacités économiques et technologiques pour faire croître les biens et augmenter la richesse. Mais en tout état de cause, ces capacités des entrepreneurs, qui sont un don de Dieu, devraient être clairement orientées vers le développement des autres et la lutte contre la pauvreté, particulièrement par la création de sources de travail diversifiées. Toujours, à côté du droit à la propriété privée, il y a le principe plus important et antérieur de la subordination de toute propriété privée à la destination universelle des biens de la terre et, par conséquent, au droit de tous à leur usage" (Fratelli tutti, n. 123). Parfois, quand on parle de propriété privée, on oublie qu'il s'agit d'un droit secondaire, qui dépend de ce droit primaire, qui est la destination universelle des biens.

J'invite les syndicalistes et les dirigeants des associations de travailleurs à ne pas se laisser enfermer dans un "carcan", à se concentrer sur les situations concrètes des quartiers et communautés dans lesquels ils agissent, tout en affrontant les questions liées aux politiques économiques plus larges et aux "macro-relations". Dans cette phase historique également, le mouvement syndical est confronté à deux défis transcendantaux : le premier est la prophétie, et elle est liée à la nature même des syndicats, à leur vocation la plus authentique. Les syndicats sont une expression du profil prophétique de la société. Les syndicats naissent et renaissent chaque fois que, comme les prophètes bibliques, ils donnent la parole aux sans-voix, dénoncent ceux qui "vendraient les pauvres pour une paire de sandales", comme le dit le prophète (cf. Amos 2, 6), dénoncent les puissants qui piétinent les droits des travailleurs les plus vulnérables, défendent la cause des étrangers, des derniers et des rejetés. Bien sûr, lorsqu'un syndicat se corrompt, il ne peut plus le faire et se transforme en un statut de pseudo-patrons, également éloignés du peuple.

Le deuxième défi: l'innovation. Les prophètes sont des sentinelles qui veillent depuis leur poste d'observation. Les syndicats doivent aussi garder les murs de la cité du travail, comme un gardien qui surveille et protège ceux qui sont à l'intérieur de la cité du travail, mais qui surveille et protège aussi ceux qui sont à l'extérieur des murs. Les syndicats ne remplissent pas leur fonction essentielle d'innovation sociale s'ils ne protègent que les retraités. Cela doit être fait, mais c'est la moitié de votre travail. Votre vocation est aussi de protéger ceux qui n'ont pas encore de droits, ceux qui sont exclus du travail et qui sont aussi exclus des droits et de la démocratie.

Chers participants aux processus tripartites de l'Organisation internationale du travail et de cette Conférence internationale du travail: l'Église vous soutient, elle marche à vos côtés. L'Église met ses ressources à disposition, à commencer par ses ressources spirituelles et sa doctrine sociale. La pandémie nous a appris que nous sommes tous dans le même bateau et que ce n'est qu'ensemble que nous pourrons sortir de la crise. Merci beaucoup.

Pape François, 17 juin 2021

 

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