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mardi, 23 mai 2017 09:24

Les religions, responsables de la guerre?

M. Spilker, réd. en chef de kath.ch, et U. Tilgner © Jacques BersetM. Spilker, réd. en chef de kath.ch, et U. Tilgner © Jacques BersetFustigeant la politique occidentale au Moyen-Orient, le journaliste allemand Ulrich Tilgner, qui a couvert pendant plus de trois décennies les endroits chauds du Moyen-Orient, a déploré la visite du président américain Donald Trump en Arabie saoudite, pour y vendre des armes pour plus de 100 milliards de dollars. Invité à Einsiedeln le 21 mai 2017 par l’œuvre d’entraide catholique Aide à l’Église en détresse (AED), ce grand spécialiste du Moyen-Orient était l’un des débatteurs à une table-ronde sur la responsabilité des religions dans la guerre.

Lutter contre les terroristes islamiques uniquement par des moyens militaires ne suffit pas, cela peut même être contre-productif, estime Ulrich Tilgner. «Un civil tué dans un bombardement, ce sont à coup sûr dix nouvelles recrues pour Daech!»

Tilgner fut correspondant à Bagdad durant l’invasion américaine de l’Irak. Travaillant en Iran, il a également couvert les événements en Afghanistan. Auteur de La logique des armes, il relève que toutes les religions ont été exploitées ou sont encore instrumentalisées pour justifier la guerre. Pour bien comprendre les conflits, il faut toutefois aller au-delà des apparences et en chercher les causes profondes. Il note que l’Iran a fait un immense effort dans le domaine de l’éducation: «Les jeunes Iraniens sont formés, mais beaucoup sont sans travail; la catastrophe est programmée si on ne leur donne pas la chance d’utiliser leurs compétences!»

En Irak, a-t-il relevé, les chrétiens ne sont plus que 1% de la population, contre 10% il y a encore quelques décennies. Ils émigrent par peur de la terreur, mais également pour des raisons économiques. Ils pensent en outre qu’ils ont plus de chances d’être accueillis en Occident que les musulmans. Le journaliste allemand n’a pas peur d’affirmer que ce sont les Etats-Unis, avec leur politique erronée, qui ont semé les graines d’Al-Qaïda. «Je ne suis pas religieux, a-t-il asséné, mais je suis profondément scandalisé par ce que fait l’Occident avec des régimes comme celui qui prévaut en Arabie saoudite!»

La force de la cohabitation
Roberto Simona, spécialiste à AED des minorités chrétiennes dans les pays musulmans, est intervenu à son tour dans le débat, rappelant qu’il a lui aussi passé des années sur le terrain. D’abord pour des organisations humanitaires, notamment comme délégué du CICR, avant d’être nommé responsable pour la Suisse romande et italienne d’AED. Bénéficiant d’une longue expérience dans des pays en guerre ou faisant face à une grande détresse, il a pu observer sur place «l’immense travail» accompli par des organisations religieuses.
Évoquant l’action des organisations catholiques, il affirme n’avoir jamais vu l’Église catholique «exclure quelqu’un en raison de sa race ou de sa religion, ou profiter de la pauvreté ou du drame de la guerre pour faire du prosélytisme». Le Tessinois a pu constater en Irak, où AED vient en aide aux réfugiés, que tant les chrétiens que les yézidis et les musulmans sunnites ont été accueillis sans discrimination par l’Église. Ils se sont retrouvés dans les camps avec les chrétiens. «Cette cohabitation est pour moi la plus belle réponse au projet néfaste de purification ethnique et religieuse voulue par les différents groupes extrémistes et criminels comme l’État islamique ou le Front Al-Nosra!»
Une vue partagée par l’Égyptien Mahmoud El Guindi, président de l’Association des organisations islamiques de Zurich (VIOZ), qui a témoigné devant l’assemblée d'une expérience marquante de son enfance. Il avait 12 ans quand son pays - et Suez où il vivait - a été attaqué par une coalition britannique, française et israélienne suite à la nationalisation du canal. Réfugiée au Caire, sa famille a été accueillie par une famille chrétienne pendant six mois. Le président de la VIOZ se dit donc optimiste quant à la coexistence entre chrétiens et musulmans en Égypte. Il estime que pour combattre le terrorisme, les armes sont certes parfois nécessaires, mais il faut avant tout aller aux racines profondes du mal, en voir toutes les dimensions historiques, sociales et économiques, la corruption du pouvoir par exemple, et ne pas se  contenter d’accuser la religion.

L’islam doit évoluer
«En 2011, le ‘printemps arabe’ était avant tout le refus du système, mais il n’y avait pas de vrai leadership, et les islamistes ont profité de ce vide... Après avoir été 80 ans dans la clandestinité, ils ont saisi leur chance, mais n’ont rien fait correctement. Ils voulaient surtout chercher à garder le monopole du pouvoir. Leur renversement n’a pas été un putsch militaire, comme on a pu le lire dans les médias occidentaux, mais le refus par une grande majorité du peuple d’un pouvoir islamiste.» Et le président de la VIOZ de marteler: 90% des  problèmes de l’Égypte ne proviennent pas de la religion. Tout en reconnaissant que l’islam, qu’il affirme respectueux des autres religions, doit évoluer: «Nous vivons dans un monde pluraliste, et ce que l’on trouve dans certains passages du Coran sur les kouffar (mécréants, infidèles, ndlr) doit être remis dans le contexte historique. On ne peut plus les utiliser dans le monde contemporain!»
Mgr Kyrillos Samaan, évêque copte catholique d’Assiout, en Égypte, est allé encore plus loin et a demandé à l’Europe de ne pas trop se mêler des problèmes de l’Égypte - «nous les connaissons bien assez nous-mêmes!». Il a rappelé que les catholiques, bien qu’ils ne soient que 250’000, jouent un grand rôle dans les domaines sociaux, de la santé et de l’éducation: 90% des élèves dans les écoles catholiques sont des musulmans. «L’aide que nous fournissons à la population n’est pas réservés aux seuls chrétiens! Nous voulons le dialogue, dans l’amour et le respect. Nous créons des ponts entre les communautés, sans faire aucun prosélytisme.»

Persécutions des coptes
Toutefois, lors de la messe présidée dimanche 21 mai dans une église abbatiale comble, Mgr Kyrillos Samaan a rappelé que les islamistes veulent le départ des chrétiens de la région. Ils l’ont en grande partie obtenu par la terreur en Irak et en Syrie. «Mais en Égypte, nous sommes habitués à la persécution, nous n’avons pas peur, car l’Église copte a toujours été une Église de martyrs.»
Les dernières attaques terroristes visant les chrétiens en Égypte ont fait des dizaines de morts, en décembre dernier, dans l’église Saint-Pierre-et-Saint-Paul, au Caire, et le dimanche des Rameaux à la cathédrale St-Georges de Tanta, et à la cathédrale St-Marc d’Alexandrie, où célébrait le pape Tawadros, chef de quelque 12 millions de chrétiens coptes orthodoxes. «Certes, nous nous demandons quand aura lieu le prochain attentat. Cependant jamais nous ne partirons de notre terre, nous savons que nous avons une mission dans ce pays. La récente visite du pape François nous a encore fortifiés!»

 

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