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mardi, 08 septembre 2015 14:22

La faim de l'humanité

En 2050, il y aura 9 milliards de personnes sur terre. Comment les nourrira-t-on et avec quels aliments ? Le thème de l’Expo universelle de Milan, « Nourrir la planète, énergie pour la vie », réveille une des plus profondes peurs de l’humanité : la faim !

Le thème de l’alimentation[1] est si vaste qu’il génère une production incroyable de livres, documents officiels, études scientifiques, prévisions démographiques et projections économiques. On peut même parler de gavage intellectuel généralisé ! Comme si le seul fait d’associer alimentation planétaire et projections dé mo graphiques faisait renaître la grande crainte du genre humain, la famine. Et dès qu’il s’agit d’évoquer l’échéance de 2050, les esprits s’échauffent ! Il faudra alors nourrir quelque 9 milliards de personnes (selon la variante moyenne du scénario démographique de l’ONU), avec les mêmes ressources qu’en 2015 qui compte « seulement » 7,3 milliards d’habitants. Les enjeux de l’équation sont multiples : alimentaires, agricoles, environnementaux, sanitaires, démographiques, économiques.
Le 31 août 2014, la revue scientifique Nature publiait les résultats d’une compilation d’études, estimant que, selon les standards agricoles actuels, il ne sera pas possible de nourrir la planète en 2050. Que faire alors pour assurer un minimum alimentaire ? La solution magique n’existe pas. Il faudra néanmoins passer, selon cette compilation, par une extension des terres agricoles (avec un impact important sur la biodiversité) et une modification de l’alimentation de base.

La FAO
Dans ce vaste débat, peu de chercheurs osent tabler sur une évolution optimiste de la situation. Une organisation tente néanmoins de conserver une certaine objectivité, en dressant un état clair de la situation. Il s’agit de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
En octobre 2009, un Forum d’experts de haut niveau de la FAO s’est réuni à Rome pour réfléchir à Comment nourrir le monde en 2050. Le document issu de ces débats est toujours d’actualité : « Les projections montrent que pour pouvoir nourrir une population mondiale de 9,1 milliards de personnes, la production alimentaire globale devra progresser de quelque 70 % entre 2005/07 et 2050 (et presque doubler dans les pays en développement), avec de ce fait des augmentations importantes dans la production des principaux produits essentiels. Par exemple, la production annuelle de céréales devrait progresser de près d’un milliard de tonnes, et la production de viande de plus de 200 millions de tonnes pour atteindre un total de 470 millions de tonnes en 2050, dont 72 % dans les pays en développement, contre 58 % aujourd’hui. Nourrir la population mondiale de façon adéquate supposerait aussi de produire les types d’aliments qui manquent aujourd’hui pour assurer la sécurité nutritionnelle. »[2] De quels types d’aliments il s’agit, la FAO ne dit mot. Une chose est sûre néanmoins, il y a une certaine urgence à agir.
L’agriculture mondiale est l’un des acteurs principaux du réchauffement climatique : les émissions de gaz à effet de serre sont plus importantes dans ce secteur que dans les transports. De plus, l’émergence de classes moyennes dans des pays comme le Brésil, la Chine et l’Inde, notamment, génère une demande accrue en viandes, poissons, œufs et produits laitiers. Avec comme corollaire une explosion de la production céréalière mondiale.
La concurrence d’usage des sols (alimentation humaine-animale, production de carburants verts et chimie verte) devrait donc s’accentuer. Elle met déjà dos à dos deux formes d’agriculture, la conventionnelle et la biologique, qui ont toutes les deux leur raison d’être. Il faudra non seulement augmenter la productivité, la mécanisation et l’irrigation, mais aussi privilégier une approche plus locale et artisanale, qui permette de préserver l’environnement en se passant de pesticides et d’engrais. Le bras de fer est aussi en gagé entre omnivores d’un côté et végétariens, végétaliens et vegans de l’autre.

La viande
Si la FAO ne donne pas vraiment de piste quant aux aliments qu’il faudra privilégier, une certitude demeure : la viande coûte cher à produire. Ainsi, il faut compter entre 4 et 10 protéines végétales pour produire 1 protéine animale. Les estimations des différentes instances internationales (ONU, FAO, OMS) convergent : 12 kg de céréales sont nécessaires pour produire 1 kg de bœuf, 4 kg de céréales pour 1 kg de porc et 2,2 kg de céréales pour 1 kg de poulet.
Quant à l’eau, les quantités sont plus vagues, parce que très variables d’un pays à l’autre, mais assez éloquentes. Il faudrait entre 5000 et 20 000 litres d’eau pour obtenir 1 kg de viande de bœuf, entre 4800 et 9700 litres pour 1 kg de viande de porc et environ 4000 litres pour 1 kg de poulet. Cette empreinte aqua tique prend en compte l’usage de l’eau dans toutes les étapes de la vie du bétail. Ainsi un bœuf « industriel » doit vivre 3 ans pour produire 200 kg de viande ; durant ce laps de temps, il va manger 8500 kg d’aliments (dont 1300 de blé) ; pour produire une telle quantité de fourrage, quelque 15 000 litres d’eau sont nécessaires ; à quoi il faut ajouter l’eau bue par l’animal et celle utilisée pour nettoyer l’étable.
Le calcul peut également s’effectuer avec une autre grille de lecture. Le WWF a ainsi établi que 323 m2 de surfaces agricoles sont nécessaires pour produire 1 kg de bœuf, 207 m2 pour un kg de poisson, 55 m2 pour un kilo de porc et 44 m2 pour un kilo d’œufs.
Gourmande en ressources, la production mondiale de viande ne cesse pourtant de croître et devrait continuer sur sa lancée. Elle était de 44 millions de tonnes en 1950, de 170 millions en 1990 et de 267 millions en 2005. Elle devrait passer à 470 millions de tonnes en 2050. Cette année-là, le bétail de la planète dévorera autant de nourriture que quatre milliards de personnes selon ces mêmes projections. Des chiffres de croissance affolants, qui incitent la filière à augmenter toujours plus la productivité. Les animaux sont les premiers à pâtir d’un traitement industriel où l’éthique et la morale n’ont pas de place.
Face aux souffrances animales, à la pollution générée par l’élevage intensif, à la captation de la production céréalière à des fins d’affouragement (90 % de la production mondiale de soja est destinée à nourrir des animaux), une réponse extrême est parue : la grève de la viande.

Des véga aux flexitariens
Le végétarisme est né en réalité bien avant cette récente prise de con science, liée à la démographie, à l’écologie, à l’éthique animale et au gaspillage des ressources (concept mis en exergue au début du XIXe siècle par le poète anglais Percy Bysshe Shelley). Il plonge ses racines dans la nuit des temps. Les interdits alimentaires liés à cet aliment (vaches, porcs, chevaux...) sont nombreux en fonction des croyances et des cultures. Le philosophe grec Pythagore croyait à la transmigration des âmes et, de ce fait, refusait de manger de la chair animale. Les nombreuses religions pratiquées en Inde ont fait de ce pays, et plus largement de la région, le lieu où l’on mange, aujourd’hui encore, le moins de viande par an et par habitant.
L’histoire du végétarisme est mouvementée.[3] Après avoir été jugé hérétique par l’Eglise, il a disparu d’Europe, avant de renaître en Italie, à la faveur de la Renaissance. Mais, de facto, le mouvement est né en 1847 lors de la fondation de la Vegetarian Society à Ramsgate, dans le Kent anglais, par des chrétiens évangéliques. Leur position était proche du végétalisme actuel et répondait à un besoin de chasteté alimentaire. Avec l’arrivée de la pensée vegan (contraction du mot anglais veg-(etari)an), au début du XXe siècle, il devint nécessaire de spécifier ces différences. Ce qui fut fait en 1944, lors de la fondation de la Vegan Society à Leicester.
Mais que l’on soit végétarien, végétalien ou vegan, le désir est le même : protéger les animaux. Comment donner tort à ces personnes, au vu des données présentées ci-dessus ? Les statistiques vont toutes dans le même sens. Un végétarien consomme en moyenne 180 kg de céréales par an, un consommateur moyen de viande en ingurgitera directement et indirectement 930 kg. Sur une surface agricole identique, on peut produire 6000 kg de carottes, 4000 kg de pommes et 50 kg de viande de bœuf.
Des études ont été diligentées et donnent des résultats évidents : si la planète veut nourrir ses quelque 9 mil - liards d’humains en 2050, elle devrait sortir l’animal de son assiette. Mais ce n’est pas si simple, car l’homme a besoin de protéines, de vitamines B12 et de nombreux autres nutriments présents dans les viandes ovines, bovines, porcines, dans les poissons, les laitages et les œufs aussi.
Aussi d’autres voix plus modérées s’élèvent : de la viande oui, mais moins et de meilleure qualité ! Des mouvements sont nés de cette nouvelle philosophie baptisée flexitarisme (journées sans viandes, Meat Free Monday, etc.). La sociologue Laure Waridel, pionnière du commerce équitable au Québec, apportait pour sa part, en 2003 déjà, une belle réponse à ce problème dans son livre Acheter, c’est voter, qu’elle résume ainsi : il faut adopter le concept du 3N-J. Nu pour aliments non emballés, Non-loin pour une agriculture de proximité, Naturel pour une alimentation bio et non transformée, Juste pour rééquilibrer les ressources entre pays du Nord et du Sud. Son idée a donné naissance à un mouvement planétaire d’alimentation responsable.
Cette thématique sera aussi abordée dès le 1er mai prochain par l’Expo Milano 2015, dans le but de faire réfléchir aux contradictions de notre monde : alors qu’une partie de la population souffre de la faim, une autre souffre d’une alimentation incorrecte ou/et excessive.

[1] • Annick Chevillot est auteur de Poisons quotidiens. Ils sont partout : les identifier, les décrypter, les éviter, Lausanne, Bon à Savoir 2014.
[2] • FAO, L’agriculture mondiale à l’horizon 2050, Rome 12-13 octobre 2009, in www.fao.org.
[3] • Elle est très bien résumée sur www.vegetarismus.ch.

Végétarisme : régime alimentaire excluant toute chair animale (viandes, poissons, crustacés, mollusques), mais qui admet en général la consommation d’aliments d’origine animale, comme les oeufs et le lait.
Végétalisme ou végétarisme strict : pratique alimentaire qui exclut toute chair animale, les produits dérivés des animaux (gélatine, etc.) ainsi que tout ce qu’ils produisent (oeufs, lait, miel, etc.).
Veganisme : selon la Vegan Society, c’est un mode de vie qui cherche à exclure, autant qu’il est possible et réalisable, toute forme d’exploitation et de cruauté envers les animaux, que ce soit pour se nourrir, s’habiller ou pour tout autre but.
(Cf. « 5 dilemmes végétariens auxquels on ne pense pas quand on arrête la viande », in www.huffingtonpost.fr/, 12.10.2013.)

Le Pavillon suisse

Durant les huit mois de l’Exposition universelle de Milan, 144 pays, 3 organisations internationales, 13 organisations de la société civile et une trentaine de partenaires privés seront actifs à Milan. La Suisse y sera présente avec son propre pavillon. Le projet intitulé Confooderatio Helvetica apportera un message clair, invitant à la réflexion sur la responsabilité de chacun, sur le besoin d’une répartition équitable des denrées alimentaires et sur le développement durable. D’une surface de 4432 m2, il est constitué d’une grande plateforme ouverte avec, notamment, quatre tours visibles de loin, remplies de produits alimentaires. Le bâtiment invite à une expérience personnelle. Après avoir accédé aux tours, les visiteurs pourront se servir en produits suisses autant qu’ils le souhaitent. Le comportement de consommation et la responsabilité personnelle de chacun détermineront combien de nourriture il restera pour les suivants et pour combien de temps. A mesure que les tours se videront, les plateformes sur lesquelles elles reposent s’abaisseront, modifiant ainsi la structure du Pavillon. Enregistrée en temps réel, cette transformation pourra être suivie à travers les médias sociaux. Après l’exposition universelle, les tours connaîtront une deuxième vie en tant que serres urbaines dans les villes suisses. (www.expo2015.org) A. C.

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