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mercredi, 27 mai 2020 16:11

Ne perdez pas espoir!

MartinMaier sj JESCSi la situation semble se normaliser en Europe et que les mesures pour contenir le coronavirus s’assouplissent, il n'en est pas de même sur tout le globe. Secrétaire du JESC (jesuit European Social Center) pour les affaires européennes, Martin Maier sj invite à réfléchir sur ce que cette pandémie suscite comme réflexions. Nous devons, selon lui, prendre conscience que la santé est un bien commun universel à préserver et qu'il est grand temps de changer «notre modèle actuel de mondialisation en tenant compte des pauvres, de l'environnement naturel et des générations futures». Son analyse à la lumière de l'encyclique du pape François Laudato si' qui fête ses cinq ans. 1

Dans la situation actuelle de confusion et de désarroi, une première pensée devrait aller aux victimes de la pandémie du coronavirus. Il y a tant de souffrance et de désespoir dans le monde entier. Il y a tant de familles touchées qui ne peuvent même pas dire au revoir à leurs proches. Comme toujours, ce sont les pauvres qui sont les plus durement touchés. Comment les habitants d'un pays comme le Salvador pourront-ils survivre en confinement, alors qu'habituellement ils gagnent leur vie en vendant des fruits dans les rues? Mais il y a aussi de nombreux signes de solidarité et d'espoir: des médecins et des infirmières qui risquent leur vie en soignant les malades; des hôpitaux qui reçoivent des patients d'autres pays; un prêtre italien de 75 ans qui offre sa vie pour un homme plus jeune.

Il est trop tôt pour réfléchir aux conséquences de cette pandémie, mais nous pouvons réfléchir à la prise de conscience qu'elle suscite. La crise du coronavirus nous fait prendre conscience que la santé est le bien commun universel le plus précieux et qu'elle est globalement vulnérable. Elle nous fait également prendre conscience que nous sommes tous dans le même bateau, que nous formons une seule famille humaine, et que nous devons repenser et remodeler notre modèle actuel de mondialisation en tenant compte des pauvres, de l'environnement naturel et des générations futures. Le pape François, avec son encyclique Laudato sí', nous offre une boussole et une feuille de route pour y parvenir.

Tous interdépendants

Le message principal de Laudato si' est que notre monde est un cadeau merveilleux mais que nous mettons en danger son avenir par notre mode de vie. C'est pourquoi nous avons besoin d'un changement fondamental dans notre modèle de consommation et de production. Le pape François demande une «conversion écologique». Un changement radical nécessite des motivations radicales et un nouvel état d'esprit. L'idée centrale de Laudato si' est que tout est profondément lié: la sauvegarde de l'environnement ne peut être dissociée de la garantie de la justice pour les pauvres et de la recherche de réponses aux problèmes structurels de l'économie mondiale.

La crise du coronavirus est une preuve de l'interdépendance de notre monde. En quelques semaines, le virus s'est propagé dans le monde entier par les voyageurs. Le virus ne connaît et ne respecte aucune frontière. Pour arrêter la pandémie, les pays doivent regarder au-delà des limites de leur propre État et coopérer. Nous nous sentons de plus en plus interdépendants les uns des autres, nous sommes tous vulnérables, nous sommes connectés mondialement pour le meilleur et pour le pire.

Nous devons renoncer à notre vision collective à court terme et comprendre la solidarité comme un défi intragénérationnel et intergénérationnel.

Cela ressemble au changement climatique, qui est un autre thème central de Laudato si'. Le pape plaide pour rectifier les modèles de croissance existants incapables de garantir le respect de l'environnement, l'ouverture à la vie, le souci de la famille, l'égalité sociale, la dignité des travailleurs et les droits des générations futures. Il y a cinq ans déjà, il avait insisté sur la gravité des problèmes et demandé de mettre en place une nouvelle civilisation basée sur la fraternité et l'égalité. La crise actuelle montre que les gouvernements sont capables de prendre des mesures urgentes, radicales et très coûteuses pour faire face à un danger imminent. Pourquoi ne pas prendre des mesures comparables pour faire face à un changement climatique dangereux?

Le changement climatique n'est pas contagieux mais il menace l'avenir de notre planète et les conditions de vie décentes des générations futures.

Laudato si' propose également de considérer l'atmosphère, les océans et les forêts tropicales comme des biens communs mondiaux naturels. Dans la crise actuelle, nous pouvons ajouter la santé comme principal bien commun social. Les biens communs mondiaux ne peuvent pas être uniquement sous la règle des seuls États nationaux, mais ils appartiennent à l'humanité entière. Le principe de la destination universelle des biens doit donc être appliqué. Nous avons une responsabilité commune mais différenciée pour ces biens communs et pour nous en acquitter, nous avons besoin d'une gouvernance démocratique de ces biens. L'Union européenne en est un exemple historique.

La force de l'Union européenne...

Dans une vision pessimiste, certains craignent que le coronavirus puisse accélérer la désintégration de l'Union européenne. Au début de la crise, il y a certes eu des réflexes de «chacun pour soi», qui allaient directement à l'encontre de l'idée de l'Union. En Italie, les gens se sont demandés: «Où est l'Union européenne?» Dans l'intervalle, l'UE a proposé des mesures concrètes de solidarité: accueil de patients français ou italiens dans des conditions graves dans des hôpitaux allemands (NDLR: luxembourgeois et suisses également), échange de matériel médical entre les pays membres. Elles devraient s'étendre d'urgence aux réfugiés qui vivent dans des conditions inhumaines dans les camps des îles grecques et qui sont gravement menacés par le virus. Mais à long terme, le défi majeur sera de savoir comment gérer dans un esprit de solidarité les menaces profondes qui pèsent sur l'économie.

Nous sommes tous dans le même bateau et nous allons survivre ou couler ensemble.

...et de la pensée sociale chrétienne

Dans un certain nombre d'articles récents, des questions très fondamentales ont été soulevées sur le sens de la vie et sur ce que nous faisons, sur la vocation des êtres humains dans ce monde. Les humanistes non croyants ont qualifié la crise de «carême séculaire» qui nous ramène à des valeurs essentielles comme la vie, l'amour et la solidarité et nous oblige à relativiser beaucoup de choses que nous considérions jusqu'à présent comme indispensables et intouchables. Nous ne devrions pas instrumentaliser cette crise dans le sens de la justification des valeurs chrétiennes. Mais les principes de la pensée sociale chrétienne, tels que la dignité humaine, la solidarité, l'option préférentielle pour les pauvres et la durabilité, peuvent être des principes directeurs pour construire un nouveau modèle d'économie et de société après la pandémie.

En cas de catastrophe, la question se pose inévitablement: où est Dieu dans tout cela? Dieu est dans les victimes de la pandémie, dans les médecins et les infirmières qui s'occupent des personnes touchées, dans les scientifiques qui cherchent sans relâche un vaccin antivirus, dans les bénévoles qui s'engagent pour les nécessiteux, dans les travailleurs qui continuent à gérer notre vie quotidienne, il est dans tous ceux qui prient ces jours-ci pour les autres, dans ceux qui gardent une espérance vivante.

1 Cette réflexion de Martin Maier sj a été publiée en anglais sur le site du Centre social européen jésuite (JESC), le 26 mars 2020, et en allemand sur le site des jésuites allemands, le 9 avril 2020.

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