lundi, 28 novembre 2016 09:45

Elections américaines

Le pays du «Yes we can»? Après avoir élu le premier président afro-américain de leur histoire, les Etats-Unis semblent craindre que leur terre ne s’effrite sous les pieds des «réformateurs» de tous crins et des migrants. Trump en fer de lance, nombre de citoyens prônent un frein à cette transformation.

L’administration de Barack Obama a été marquée par de profondes divisions partisanes et par une réaction violente face aux grands changements intervenus dans la société américaine, qu’il s’agisse du multilinguisme croissant, de l’émergence de familles « non traditionnelles » ou du mariage entre personnes de même sexe. La montée de l’Etat islamique (EI) et les récents attentats terroristes, en Europe et en Amérique, ont aussi fait de la sécurité nationale, et notamment de l’immigration et de l’assimilation des nouveaux venus, des thèmes dominants de la campagne électorale présidentielle.

Les candidats
Le phénomène qui a surpris presque tout le monde, c’est l’ascension de Donald J. Trump, un magnat de l’immobilier qui n’avait jamais été élu à une quelconque charge auparavant. Au début 2016, les sondages accordaient à Trump près de 35 % des suffrages républicains, dépassant de beaucoup ses rivaux. L’homme a su profiter des ressentiments contre l’immigration et des accords de « libre échange » pour triompher à la plupart des primaires républicaines, se posant en favori à la désignation du candidat présidentiel du parti. A la fin-avril, il emportait cinq nouvelles victoires, comptabilisant ainsi 949 délégués sur les 1237 nécessaires à l’obtention automatique de l’investiture du Grand Old Party.
Son principal adversaire était alors encore le très conservateur Ted Cruz, du Texas ... jusqu’à la subite et surprenante annonce de retrait de la course de celui-ci, à la mi-mai. Cruz était connu pour ses manœuvres d’obstruction contre le président Obama, mais aussi contre la direction de son propre parti au Sénat. Bien qu’il ait été très vite à bonne distance de Trump - s’avérant plus fort dans les régions rurales du Midwest et de l’Ouest - il espérait l’emporter à la Convention nationale de juillet en tant que seule alternative valable face à un adversaire imprévisible. Mais il a du renoncer suite à une énième défaite aux primaires.
Côté démocrate, la candidature « dynastique » s’en sort bien : Hillary Clinton, ancienne Secrétaire d’Etat et femme de l’ancien président Bill Clinton, a remporté la plupart des primaires démocrates grâce au soutien des Afro-Américains et des électeurs d’un certain âge. Sur les 2383 délégués dont elle a besoin pour représenter son parti aux présidentielles, elle avait déjà dépassé, le 26 avril dernier, le chiffre symbolique des 2000 voix. Elle doit tout de même affronter Bernie Sanders, sénateur du Vermont, qui s’affiche « démocrate socialiste » et plaide en faveur d’un renforcement de l’Etat-providence de type scandinave, notamment de la gratuité des études pour tous. Il jouit du soutien des jeunes, plus à l’aise que leurs aînés avec l’idée de socialisme. Cependant la politique plus prudente de Clinton devrait l’emporter lors de la Convention démocrate.

Médias mania
Dès le moment où Trump a annoncé sa candidature, il a occupé une place prépondérante dans les médias, promettant de déporter onze millions d’« immigrants illégaux » et de construire une « grande muraille » sur la frontière sud des Etats-Unis. Après l’attentat terroriste de San Bernardino, en Californie, Trump a demandé l’interdiction d’entrée de tout musulman sur le territoire des Etats-Unis. Ses adversaires, au sein du camp républicain, ont élevé de timides objections, mais presque tous se sont opposés à l’intention de l’administration Obama d’accueillir des réfugiés de Syrie. Pour sa part, Ted Cruz a affirmé qu’il ferait tomber sur la Syrie des « tapis de bombes » afin d’anéantir l’EI, prétendant que cela réduirait au minimum les pertes civiles.
La politique économique de Trump a des relents populistes. Le candidat promet de ne pas réduire la sécurité sociale, ni les programmes sociaux en faveur des personnes âgées, tout en proposant des réductions d’impôts qui favoriseraient surtout les ménages aisés. Il a attiré des électeurs de la classe ouvrière en s’attaquant aux accords commerciaux internationaux qui, dit-il, ont provoqué la délocalisation de millions d’emplois américains vers des pays où les salaires sont plus bas. Il s’en est pris à un accord d’ouverture du marché avec la Chine signé par Bill Clinton en 2000, que la plupart des républicains avaient pourtant approuvé au Congrès.
Des candidats se sont plaints de la médiatisation « gratuite » dont Trump a bénéficié grâce à la couverture permanente que lui ont accordée les chaînes télés d’information. En février, le président du réseau CBS déclarait à propos de la campagne de Trump : « Elle n’est peut-être pas bonne pour l’Amérique, mais elle est sacrément bonne pour CBS. » Et en mars, le New York Times estimait que Trump avait bénéficié de l’équivalent de 1,9 milliard de dollars en couverture télévisuelle, contre moins de 1,2 milliard pour l’ensemble de ses opposants républicains.
A n’en pas douter, cette publicité a favorisé la victoire de Trump lors des primaires. Mais la vaste médiatisation de ses propos outranciers, souvent sexistes, ainsi que sa remarque sur le pape François, qu’il a qualifié de « personne très politique » suite à sa visite à la frontière du pays avec le Mexique, a contribué ensuite à de plus mauvais résultats lors de sondages réalisés hors du Parti républicain. Le Washington Post est allé jusqu’à prédire qu’il serait « le candidat le moins populaire des temps modernes parmi les représentants des deux [grands] partis ».
L’ironie, c’est que le slogan de Trump - L’Amérique d’abord - et son attachement à l’exception américaine, ainsi que les premiers succès de sa campagne électorale ont amené de nombreuses personnes à se demander si la démocratie américaine était réellement immunisée contre la démagogie. Des flambées de violence ont eu lieu autour de cette campagne, et le candidat lui-même a plaidé pour des mesures « très musclées » à l’encontre des protestataires dans ses réunions. On l’a comparé au leader français d’extrême droite Jean-Marie Le Pen (qui écrivait sur Twitter en mars : « Si j’étais américain, je voterais Donald Trump ») et à Silvio Berlusconi, l’homme d’affaires devenu l’homme fort de l’Italie. Un article publié sur le site web Politico a même situé Trump dans la tradition des caudillos sud-américains, tels que « Pinochet, Noriega, Castro, Chavez et Perón ».
Sans grande subtilité, Trump fait la promotion de l’ethno-nationalisme, mais il exploite aussi la colère et la peur drainées par une économie qui offre peu de possibilités à la « classe travailleuse ». Chez les républicains, une grande partie de cette colère est dirigée contre les immigrants, alors que les démocrates et les indépendants regardent les nouveaux Américains d’un œil plus favorable. Cette position républicaine nuit à la popularité du parti auprès de la population hispanique, qui ne cesse de croître.

Abstentionnistes courtisés
Hillary Clinton en est à sa deuxième tentative de devenir la première femme élue aux présidentielles des Etats-Unis (elle avait échoué en 2008 face à Barack Obama). Elle a la faveur des démocrates, qui se souviennent de la présidence de son mari Bill Clinton, de 1993 à 2001. Ce n’est cependant pas le cas des jeunes qui supportent mal son approche politique pragmatique au cas par cas.
Bien que Trump et Sanders aient des vues politiques très divergentes, ils exercent tous deux un attrait sur les Américains qui se sentent étrangers à la politique, en ce temps aux inégalités économiques croissantes. Benjamin Wallace Wells, du New Yorker, note : « Si l’on voulait cibler des gens de droite qui ne votent pas, on élaborerait une campagne très semblable à celle de Donald Trump. Et si l’on voulait cibler ceux de gauche qui ne votent pas, on insisterait à peu près sur les mêmes questions que Bernie Sanders. »
Sanders dit souvent du système économique américain qu’il est « truqué ». Son plan de « révolution politique » comprend de nouveaux impôts (visant principalement, mais pas exclusivement les riches), une intervention gouvernementale plus forte dans les domaines de la santé, un congé-maternité payé pour tous, des études gratuites et un financement public des campagnes politiques. Sanders a étonné en emportant une série de primaires et de caucus dans les Etats du nord, où il y a peu d’électeurs noirs ou hispaniques.
Hillary Clinton a réagi par un mouvement vers la gauche, adoptant une partie de la rhétorique de Sanders. Elle a ainsi maintenu la promesse de ne pas hausser les impôts de la classe moyenne. Sachant que les Républicains garderont probablement le contrôle d’au moins une des chambres du Congrès, elle a qualifié toutefois le programme de Sanders d’irréaliste. Ses positions en politique étrangère sont en outre plus proches de celles des faucons (elle avait soutenu l’invasion américaine en Irak en 2003).

Tendances religieuses brouillées
Autre tendance de la campagne, le renversement de certains clichés religieux. Libertin notoire, trois fois divorcé, Trump se partageait pourtant avec Cruz, le très conservateur opposant à l’avortement et au mariage homosexuel, les voix chrétiennes évangéliques. Des sondages fin mars indiquaient que Trump avait remporté 36 % des voix des électeurs blancs qui se disaient chrétiens évangéliques, soit à peu près autant que les 38 % qu’il avait obtenus de l’ensemble des électeurs républicains. Ce soutien cependant était bien moindre parmi les pratiquants réguliers qu’auprès de ceux qui ne vont à l’église que « rarement » ou « jamais ». Ces derniers sont probablement plus à l’aise face à l’ignorance de la Bible qui caractérise Trump et à ses positions incohérentes sur l’avortement.
Les supporters de Cruz attendent à présent de voir comment Trump va tenter de les récupérer. Ce dernier de fait ne risque pas grand chose, les évangéliques votant traditionnellement massivement pour les Républicains. Un autre candidat conservateur indépendant pourrait cependant se présenter en novembre (Mitt Romney, candidat républicain en 2012, a été mentionné) comme alternative à la politique étrangère isolationniste de Trump et à ses déclarations contradictoires à propos des impôts et des dépenses du gouvernement.
Contrairement aux protestants blancs, qui soutiennent en grande majorité les Républicains, les catholiques suivent généralement les tendances de l’ensemble du pays. Ainsi, en 2012, 49 % d’entre eux avaient voté Barack Obama et 48 % Mitt Romney. Or ils sont aujourd’hui divisés sur les questions de l’avortement et de l’homosexualité. Un sondage réalisé par le Pew Research Center avant la visite du pape François aux Etats-Unis, l’automne dernier, indique que 73 % des catholiques (et même 59 % d’anciens catholiques) ont une opinion favorable du pontife mais ne le suivent pas sur tous les points : seuls 29 % des sondés estiment, par exemple, qu’il est « essentiel » pour les catholiques d’agir en matière de changement climatique. Concernant les immigrants, un autre sondage du Pew Research Center de 2015 indique que 55 % des catholiques blancs les considèrent comme un « poids » pour la société, contre 11 % des catholiques hispaniques (et 41 % de l’ensemble des Américains).
L’image du Vatican s’est profilée plus nettement que de coutume au cours de l’année écoulée grâce à la visite du pape, à son discours devant le Congrès et à son passage à la frontière mexico-étatsunienne, avec cette prise de position contre le projet de Trump de fermer la frontière : « Une personne qui veut construire des murs et non des ponts n'est pas chrétienne. »
De manière globale, les candidats à la présidence respectent le pape, mais c’est le juif démocrate Sanders qui a affiché le plus d’enthousiasme. Il l’a fréquemment cité et a souligné son grand courage pour avoir soulevé des questions rarement discutées au Congrès. Sanders s’est trouvé au centre d’une autre controverse au mois d’avril, lorsqu’il a assisté à une conférence au Vatican, quelques jours seulement avant l’élection primaire de New York. Avait-il été invité par l’Académie pontificale des sciences sociales ou avait-il lui-même demandé d’y assister ? Les Américains semblent surestimer la fascination du pape pour leur système électoral et son désir de s’immiscer dans ce domaine...

L’élection du président
Les facteurs démographiques, finalement, pourraient bien être déterminants lors des élections de novembre 2016. Un analyste de Politico Magazine estime que Trump pourrait avoir besoin de gagner 70 % des voix des hommes blancs pour devenir président, vu son impopularité auprès d’autres groupes, un chiffre qui n’a encore jamais été atteint. Un autre candidat républicain pourrait avoir plus de succès auprès des femmes et des Hispaniques, mais le parti est confronté au défi de surmonter ce que Peter Beinart, du magazine The Atlantic, appelle la « coalition de ceux qui montent », incluant « les minorités [raciales], les femmes célibataires, les professionnels blancs, et les jeunes ».
Autre point, seule une poignée d’Etats seront sérieusement disputés cet automne. L’électorat américain, en effet, est peu fluctuant sur le plan géographique, même s’il est profondément divisé. Ainsi 40 des 50 Etats ont voté pour le même parti lors des quatre dernières élections présidentielles (18 pour les Démocrates, dont la Californie et New York, et 22 pour les Républicains, dont la Géorgie et le Texas).
Les Républicains cependant pourraient bénéficier d’une certaine lassitude populaire à l’égard des Démocrates (les partis qui tentent de briguer un troisième mandat consécutif à la Maison Blanche ont tendance à perdre des appuis) et d’un sentiment général que le pays va dans le mauvais sens. Mais en même temps, la perception de la situation économique par les électeurs de l’économie dépend du parti auquel ils appartiennent, de sorte que le potentiel de changement est limité. Aujourd’hui, plus que jamais, l’esprit partisan domine aux Etats-Unis.
R. D. S.

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