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mardi, 08 octobre 2013 15:35

Killer Joe, de William Friedkin, sur Canal + Cinéma, le 8 octobre, à 20h50

Chris Smith, petit dealer de 22 ans, est menacé de mort par ses fournisseurs parce qu’il s’est fait subtiliser son stock de came. Pour s’en sortir, il veut faire tuer sa mère et récupérer les 50 000 $ de son assurance-vie. Il convainc facilement sa sœur, son père et la compagne de celui-ci d’engager Killer Joe Cooper, tueur à gages et flic de son état.


Adapté d’une pièce de théâtre, Killer Joe relègue certains personnages au second plan (les trafiquants, la mère) pour se concentrer sur le foyer dégénéré qui vivote dans une caravane et au sein duquel va s’introduire le tueur psychopathe. Les Smith sont des épaves, unies par des liens complètement déglingués ; on est surpris de découvrir, au début, que le buveur lymphatique de bières à qui Chris revend de l’herbe de qualité médiocre et qu’il traite comme un pote un peu demeuré est… son père (Thomas Haden Church, excellent) !
L’histoire est tirée d’un fait divers qui a eu lieu en Floride. Mais on n’est ni dans la peinture de mœurs d’une Amérique en état critique (crise économique et morale), ni vraiment dans le polar hollywoodien à héros gonflés aux hormones. Killer Joe est bien un film de William Friedkin, le réalisateur de chefs-d’œuvre comme French Connection (1971), L’Exorciste (1973) ou Bug (2006)… et c’est sa patte singulière qui rend ce film intéressant. A 77 ans, sorti de graves problèmes de santé, Friedkin fait la démonstration de son savoir-faire de metteur en scène et insuffle à chaque scène une incroyable énergie vitale.
En témoigne l’introduction, toute de bruit et de fureur : en pleine nuit, sous une pluie torrentielle, Chris tape aux carreaux du mobile home en hurlant, autant pour réveiller ses habitants que pour engueuler le cerbère qui ne le reconnaît pas et tire sur sa chaîne en aboyant. A l’intérieur, dans une atmosphère délétère, ce qui se joue est une sorte d’enfer ordinaire aux relents incestueux. Des crucifix pendent aux cloisons, mais Dieu semble bien absent. Dottie, la petite sœur de Chris, s’est réfugiée dans une douce folie régressive, teintée d’une vague religiosité. Toujours vierge, elle va être littéralement donnée en caution à l’ange exterminateur (Matthew McConaughey, fascinant). Celui-ci va en fait la séduire, tant son comportement contraste avec celui, déliquescent, des Smith : d’une raideur inflexible, il garde ses distances, met les formes, raisonne, impose son autorité, et va finalement faire imploser le foyer dans la violence et l’obscénité.
L’insistance sur ces deux registres à la fin indisposera les âmes sensibles (comme la mienne !). Mais heureusement le film ne se prend pas au sérieux : on est proche parfois de la farce grand-guignolesque à la Tarantino ou aux frères Coen. Et le regard de Friedkin sur ses personnages d’affreux minables nous les rend malgré tout sympathiques.

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