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lundi, 08 juin 2015 16:23

Autres mondes

Interstellar
de Christopher Nolan

Paradise Lost
d’Andrea Di Stefano

Quelque part dans le Midwest américain, dans un futur proche. Le climat a été tellement déréglé qu’aucune production agricole n’est possible. L’humanité est menacée d’extinction. Heureusement la NASA veille ; en particulier le professeur Brand (Michael Caine) qui, à force d’écrire des formules mathématiques sur de grands tableaux noirs, a découvert le moyen de tirer parti d’une faille repérée dans l’espace-temps : un « trou de ver ».


Cooper (Matthew McConaughey), un cul-terreux qui a été pilote pour la NASA, est choisi - grâce aux pouvoirs extrasensoriels de sa fille Murphy (Jessica Chastain) - pour diriger la mission spatiale de la dernière chance. Menant une poignée d’explorateurs, deux robots monolithiques et quelques embryons congelés, Cooper vise le fameux trou noir. Ingénieux raccourci qu’Einstein avait conjecturé, et qui permettra au vaisseau de quitter le système solaire pour aller visiter des exoplanètes. L’objectif est d’en trouver une assez hospitalière pour y établir une colonie et/ou y faire venir quelques Terriens. Cooper va devoir choisir entre revoir ses enfants et sauver l’humanité. Tatataa ! Grosse musique de l’incontournable Hans Zimmer.
Memento, la trilogie Batman, Inception : je n’ai vu aucun des films connus de Christopher Nolan. Je suis allé voir Interstellar parce que j’avais aimé Le Prestige, une histoire de rivalité entre deux magiciens, où le réalisateur affirmait avec brio ses qualités d’illusionniste du cinéma. Là, dans une salle archicomble (95 % de gars de moins de 26 ans), après une demi-heure de pubs Haribo et Cie et près de 3h de pompiérisme astral, j’ai été pour le coup sidéré d’ouïr quelques applaudissements.
Comme les frères Wachowski,[2] les frères Nolan aiment faire les malins. Or leur scénario débilitant est si présent qu’il mange tout : aucune poésie, aucun espace (!) pour les spectateurs. On aurait aimé vivre ces situations spéculées à partir d’hypothèses scientifiques ; profiter de ces vagues hautes comme des montagnes, qui menacent d’engloutir le vaisseau. Mais non, on ne nous laisse rien sentir, on nous impose/expose constamment le fonctionnel d’un scénario formaté/rabâché. Et forcément tous les (bons) comédiens sont mauvais…
Le réalisateur britannique, très tôt attiré par les sirènes hollywoodiennes, a baptisé le vaisseau Endurance, du même nom que celui de Sir Ernest Shackleton lors de son expédition en Antarctique, il y a un siècle : le décalage entre un héroïsme de synthèse indigeste et un héroïsme réel prodigieux est symptomatique de l’effet d’écart … interstellaire protéiforme que produit ce film évènement.

Autour d’Escobar
Paradise Lost commence par la fin de son histoire, une nuit de 1991, en Colombie. Pablo Escobar, le célèbre trafiquant de cocaïne à la tête du cartel de Medellin, donne un signal de départ à ses sicarios. Puis il sort en short dans les bois appeler sa mère avec un téléphone satellite : « Je voulais prier avec toi - Commence. » Il s’agenouille, fais le signe de croix : « Demain je pars en prison. J’ai peur que Tu m’abandonnes, Seigneur, que Tu ne comprennes pas mes actes. Je te rappelle que tout ce que je fais, c’est par amour pour ma famille, pour la protéger de tout mal et de tout danger. » Il met le combiné devant son visage : « Sainte Marie, priez pour nous, pauvres pécheurs… » La prière continue de résonner alors qu’on se retrouve de jour, dans une église où Nick, un jeune Américain en sueur, attend Maria, son amour. Le voilà embarqué, de nuit, dans une voiture. On lui enlève son bandeau : les phares balaient des dizaines d’hommes alignés devant un bâtiment. Sur la porte qui se referme derrière Nick, une croix rudimentaire. Le jeune homme au regard timide et aux traits juvéniles se retrouve parmi des tueurs qui attendent en silence. Une porte s’ouvre, tous se lèvent. C’est Escobar, en short : « Selon un accord conclu avec le gouvernement, demain je me rends aux autorités. Je resterai en prison pendant un moment jusqu’à ce que la situation se tasse. Je vous ai fait venir parce que j’ai besoin de l’aide des gens en qui j’ai le plus confiance. Nous devons dissimuler nos ressources financières à nos ennemis. » Le film raconte ensuite l’histoire de Nick, venu en Colombie quelques années auparavant, pour monter avec son frère un camp de surf. Il tombe amoureux de Maria … qui s’avère être la nièce d’Escobar.
Rappelant le très bon The Last King of Scotland (2006) sur Idi Amin Dada, Paradise Lost nous fait entrer dans le cercle des intimes d’un psychopathe, à travers le personnage d’un jeune étranger naïf qui n’en a jamais entendu parler : « On aide les communautés pauvres, lui dit Maria. - Qui ça “on” ? - Mon oncle. Je travaille pour lui … C’est Robin des Bois. » Effectivement, le septième homme le plus riche du monde en 1989 (selon le magazine Forbes) a financé la construction d’hôpitaux, de routes, de milliers de maisons.
Andrea di Stefano, acteur italien qui signe sa première mise en scène, sait nous entraîner dans un autre monde, sans théorie quantique ni mythification. Il utilise les ressources du mixage, celles de son personnage (girafes et éléphants déambulent en arrière-plan dans sa hacienda), de la photo (d’une sensualité exceptionnelle) et de ses comédiens Benicio del Toro et Josh Hutcherson[3] (très convaincants). - Patrck Bittar[1]

[1] • Dernière production à son actif, Entre eden et paradis, une série documentaire sur le jardin, Azalé 2014. (n.d.l.r.)
[2] • Réalisateurs de Matrix (1999).
[3] • Héros des Hunger Games (2012-2014).

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