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dimanche, 25 juin 2017 19:10

The Handmaid’s Tale

handmaids taleDans un futur proche, les États-Unis sont devenus une dictature: la République de Gilead. La pollution ayant considérablement diminué la fertilité des êtres humains, toute l’organisation de la société est structurée autour de la maîtrise de la reproduction sexuelle, via l’exploitation des rares femmes fertiles. Parmi ces dernières, Offred (Elisabeth Moss, découverte dans la série Mad Men) est une des servantes (handmaid) assignées à un «Commandant» à qui elle doit donner des enfants en lieu et place de son Épouse stérile.
Une série glaçante, bien ficelée et à l’esthétique léchée, qui donne à penser à propos des nouveaux visages du totalitarisme. Les quatre premiers épisodes sont prometteurs.

The Handmaid’s Tale est réalisée avec un soin évident: cadrages et lumières léchés, décors et costumes maîtrisés, rythme efficace. Il y a certes un côté un peu appuyé dans l’utilisation de la musique, la narration en off ou certains dialogues des jeunes dans les flash-backs, mais globalement la première saison est formellement réussie.
Le régime totalitaire de la République de Gilead est fondé sur une idéologie aux relents pseudo-chrétiens, une sorte de secte d’extrême-droite dont la caste dirigeante contrôle d’une main de fer les faits, gestes et pensées d’une population réduite à l’esclavage.

Antireligieux
La série repose sur une adaptation du roman éponyme de la Canadienne Margaret Atwood, publié en 1985 (titre français: La servante écarlate). Ce succès littéraire a été écrit alors que l’auteur était à Berlin ouest, avant la chute du mur. Atwood dit avoir été inspirée par l’atmosphère qui régnait derrière le rideau de fer, dans les pays communistes, athées. Pourtant sa dystopie semble servir un propos farouchement féministe et antireligieux. Dans un entretien publié dans The New York Times en mars dernier, Margaret Atwood s’en défend: «Si vous voulez dire un pamphlet idéologique dans lequel toutes les femmes sont présentées comme des anges et/ou des victimes incapables de choix moraux, non (…) Le régime utilise des symboles bibliques, comme le ferait sans doute tout régime autoritaire en Amérique: il ne serait pas d’inspiration communiste ou islamiste (…) Les catholiques et les baptistes sont ciblés et éliminés. Les quakers se sont organisés dans la clandestinité et contrôlent une voie de fuite vers le Canada (...) Donc le livre n'est pas anti-religion. Il condamne l’utilisation du masque religieux par les dictatures; ce qui est complètement différent.»
Admettons. Il n’empêche que la série ne présente pas un monde imaginaire déconnecté de la réalité américaine actuelle, et que l’univers créé oppose la représentation de cette réalité et le régime fascisant dans un rapport forcément manichéen. Or le monde d’avant l’instauration de la dictature, que l’on découvre via des flashbacks, est celui imposé par une certaine idéologie «progressiste» dans nos pays occidentaux entrés dans l’ère de l’Homos Festivus, cette figure emblématique inventée au début du siècle par l’essayiste français Philippe Muray pour caractériser le citoyen moyen de la posthistoire.
Lorsque Offred, qui est aussi la narratrice de l’histoire, se remémore sa vie passée, que voit-on? Des trentenaires urbains CSP+ (travaillant dans le marketing, l’industrie numérique ou l’assurance) avec, parmi les héroïnes, une représentation prégnante des minorités LGBT ou noires. Les (jeunes) femmes vivent tranquillement leur sexualité débridée, jouissent en mangeant des glaces caramel au beurre salé, font du footing en écoutant du Simple Minds et ont pour référence les films d’horreur pour adolescents. Quant aux (jeunes) hommes hétéros, ce sont des lâches ou des bobos barbus portant leur gamin sur leurs épaules dans des fêtes foraines.

Délire sectaire
Face à ce que la matrone redoutable de la série, Tante Lydia, appelle avec dégoût «cette génération Über» qui organisaient des «orgies avec Tinder» (application de réseautage pour faire des rencontres « coquines » lancée en 2012), le monde de la République de Gilead, s’il tient un peu de l’univers orwellien de 1984, présente surtout les attributs extérieurs d’un christianisme totalement dégénéré. Une sorte de délire sectaire qui n’a de chrétien que des détournements (qui sont autant de retournements diaboliques) de détails: les locutions de salutation (Béni soit le fruit. Que le Seigneur ouvre. Sous son Œil), les costumes des servantes, les scènes de confession (en groupe, axée sur la culpabilisation et l’accusation: tout l’inverse du sacrement catholique) et des références constantes à la Bible, en particulier à l’épisode de Jacob et de ses quatre femmes (deux sœurs et leurs deux servantes).
Tout se passe comme si cette secte avait été imaginée par les héroïnes de la série, ou plus généralement par des jeunes de nos métropoles, pour qui la méconnaissance du christianisme est telle qu’il ne leur reste que des bribes, des clichés, de vagues réminiscences culturelles mélangées à quelque compréhension du phénomène sacrificiel. Certes, on apprend incidemment que certains prêtres sont aussi des victimes, et que certaines églises, comme Saint-Patrick à New York, ont été détruites. En voyant les ruines d’un église, Offred dit: «Saint-Paul est l’église de mon père. Ma fille a été baptisée ici.»

Féminisme antichrétien
Mais il n’empêche que ce qui est mis en avant, ce qui est prégnant dans The Handmaid’s Tale, c’est l’idéologie (sacrilège du point de vue chrétien) de ces pseudo-chrétiens extrémistes -et accessoirement la domination sociale d’une élite bourgeoise WASP tendance Tea Party- mais aucunement l’organisation politique, militaire et financière de cette dictature.
Si bien que le sous-texte de la série c’est quand même que l’ennemi de la femme vient des rangs, fussent-ils minoritaires, des chrétiens. Je veux bien entendre l’argument de Margaret Atwood concernant la pertinence de ce choix pour les États-Unis (et encore, je ne crois pas qu’il y ait actuellement là-bas une déferlante, sinon une vague, de fondamentalisme chrétien), mais pour un spectateur suisse ou français, cela paraît totalement à côté de la plaque, voire relevant d’une prise de position à la fois lâche et stupide… même si totalement dans l’air du temps. En France, une certaine idéologie dominante préfère en effet s’acharner sur une religion apparemment en déclin et au message devenu inaudible, plutôt que de se confronter à d’autres religions dont la vision de la femme, en l’occurrence, donnerait pourtant prise à la critique féministe. En témoignent les commentaires des médias français suite à la diffusion des premiers épisodes: «La théocratie de Gilead a des accents de Manif Pour Tous dans sa philosophie essentialiste, qui réduit les femmes à leur fonction procréatrice.» (Sur madmoiZelle.com, site d’un magazine féministe français). «Thriller terrifiant, avertissement contre les dérives conservatistes et bigote, The Handmaid's tale est aussi, pour l’instant en creux, un appel à profiter de la vie, à aimer, à désirer qui l'on veut. À se soulever contre ceux qui voudraient nous en empêcher, au prétexte de nous débarrasser d’un monde pluriel et complexe.» (Télérama)
Paradoxalement, il me semble que nous vivons des rapports de force inversés par rapport à ceux imaginés dans The Handmaid’s Tale. Le côté intégriste, obsessionnel est souvent celui (libéral-libertaire) des élites connectées et mondialisées en général, et des mouvements «pro-choix» en particulier. La politique des petits pas, dénoncée dans la série lorsqu’Offred raconte comment tout a basculé, n’est-elle pas celle à l’œuvre pour imposer par exemple l’idéologie du «droit à l’enfant», comme en témoigne en France l’avis récent du Comité consultatif national d’éthique, favorable à l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes ainsi qu’aux femmes célibataires? Toujours à ce propos, les États-Unis sont moins le théâtre d’une révolution amish que d’une révolution numérique où des géants, comme Facebook ou Apple, proposent à leurs employées de mettre leur horloge biologique sur pause en incluant dans leur couverture médicale la prise en charge partielle des frais de congélation d'ovule.
Il y a dans The Handmaid’s Tale, une scène terrifiante d’accouchement par procuration forcée (voir la description ci-dessous des premiers épisodes). N’illustre-t-elle pas involontairement les dérives inévitables de ces évolutions sociétales? Selon moi, la barbarie qui se profile à l’horizon de nos sociétés occidentales n’a pas grand-chose à voir idéologiquement avec le régime totalitaire inventé il y a 35 ans par Margaret Atwood. Elle prend plutôt la forme monstrueuse et conflictuelle du transhumanisme.

Les quatre premiers épisodes
handdmadeL’action se focalise sur les premiers pas d’Offred (nom qui lui a été attribué) dans cet univers concentrationnaire et paranoïaque, où chacun(e) est constamment sous la surveillance de tous, la police secrète (The Eye) traquant le moindre signe de déviance. Il existe des rebelles, et le pays est en guerre civile, mais tout cela reste (pour l’instant) en arrière-plan. Les intellectuels sont envoyés dans des colonies. Les lesbiennes sont classifiées d’«anti-femmes».
Les servantes sexuelles comme Offred, vêtues comme des nones de cornettes blanches et robes écarlates, se déplacent deux à deux sur des trajets imposés, en longeant de hauts murs où sont suspendus les corps des victimes de la répression: les cadavres cagoulés sont estampillés de signes distinctifs -médecins, homosexuels, prêtres-, leur culpabilité relevant toujours d’une hétérodoxie par rapport aux canons du nouvel ordre sexuel.
Le premier épisode raconte comment Offred et d’autres jeunes filles fécondes ont été rééduquées dans The Red Center sous la houlette électrique de Tante Lydia. L’une des «délurées» ayant eu le malheur de ricaner lors d’un cours collectif, elle se fait arracher un œil illico. Ben oui, «si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le» (Marc 9,46), alors autant donner un petit coup de main aux pécheresses. Et après tout, comme dit un personnage, elles n’ont pas besoin d’yeux pour se reproduire.
La violence est ritualisée. Il y a la Cérémonie : «C’est un merveilleux rituel, explique la matrone au taser. Pendant les jours d’ovulation, la servante doit s’allonger entre les jambes de l’Épouse du Commandant. Les deux femmes formeront un seul corps, une seule fleur, dans l’attente de la semence.» Offred se fait donc régulièrement violer par son Commandant en présence de son Épouse. Il y a encore la Particicution: un lynchage-exutoire par les servantes, d’un violeur non habilité. Et il y a enfin le moment tant recherché de l’accouchement, vécu dans des conditions d’oppression hystérique. Regroupées en cercle autour de la malheureuse parturiente borgne, des servantes lui crient les consignes martelées par la Tante Lydia: «Respire! Respire!» Et quand vient le temps de la délivrance, la mère se traîne jusqu’à un siège spécial, où l’Épouse (qui s’est entrainée auparavant avec d’autres Épouses) la rejoint, se positionnant derrière elle pour mimer la phase finale… Quand arrive le nouveau-né, il est posé sur la poitrine plate de la mère instituée, sous les yeux brillants de ses homologues et celui, éteint, de la mère dépossédée.

 

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