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lundi, 05 février 2018 16:06

Jésus, l’enquête

jesus lenquete filmJésus, l’enquête est une adaptation par Jon Gunn du best-seller The Case for Christ, où le journaliste Lee Strobel raconte sa propre expérience. Cette production américaine chrétienne cible un public au-delà des croyants. Grâce à l’investissement de l’équipe de Saje production, le film sortira en salles en France le 28 février. Malheureusement, rien n'est prévu pour l'instant en ce qui concerne la Suisse.

1980. Lee et Leslie Strobel, un jeune couple heureux et amoureux, dînent au restaurant avec Alison, leur petite fille de 6 ans. En guise de dessert, Alison récupère une boule de chewing-gum dans un distributeur. Lorsqu’elle rejoint ses parents à table, elle est toute pâle: elle est en train de s’étouffer!

Panique, appels au secours: une cliente intervient et sauve la petite. Elle s’appelle Alfie. «Ne me remerciez pas, je suis infirmière à l’Hôpital de la miséricorde. -On a eu de la chance, dit Leslie. -Ce n’est pas la chance, c’est Jésus. Avec mon mari, nous avions prévu d’aller dîner ailleurs. Mais quelque chose m’a poussée à venir ici.»

Cet incident va mener Leslie à se convertir au christianisme au grand dam de son mari, athée convaincu. Au début, Lee attribue le «coup de folie» de sa femme au choc qu’elle vient de vivre, à sa grossesse et à l’influence d’Alfie, dont elle rejoint la communauté. Mais quand Leslie lui annonce qu’elle a prié («J’ai dit à Jésus que je voulais qu’il fasse partie de ma vie») et que son retour à Dieu résulte d’une décision personnelle, Lee fulmine: «Je ne l’accepte pas!» Dès lors, pour prouver à sa femme que ses croyances ne sont que chimères reposant sur des affabulations, il se met à enquêter sur le Christ, avec la rigueur systématique de sa profession: il est journaliste d’investigation au Chicago Tribune.

Au niveau formel

Jésus, l’enquête respecte les standards de «qualité» des films hollywoodiens et semble s’être calée sur les figures imposées des films d’enquête, avec, par exemple, les incontournables scènes d’agrégation d’éléments d’information sur un grand tableau. Ce côté un peu «bon élève» de la réalisation de Jon Gunn, aux coutures apparentes, se manifeste aussi dans la distillation d’accessoires (cigarettes, laque…) pour dater le film, ou encore dans la manière de mettre en scène les (nombreux) dialogues: les personnages qui discutent religion doivent toujours être en train de faire autre chose (ranger les courses, jouer aux échecs, se lever, prendre des dossiers, marcher…). Bref, Jésus, l’enquête pâtit un peu des limites de son ambition formelle: ne pas détonner dans la production profane générale.

De bonnes questions

Ceci dit, le parcours intellectuel de Lee est intéressant. À un moment, par exemple, il appelle un éminent bibliste en Israël et lui pose des questions sur le récit de la «prétendue résurrection». Le journaliste a noté que, selon les récits des évangélistes, ce ne sont pas les mêmes femmes qui découvrent le tombeau vide. La réponse du chercheur est intrigante:
«Le noyau de l’histoire est commun dans les quatre versions: Jésus fut placé dans son tombeau, où deux femmes lui rendent visite dimanche. Et le corps n’y était plus. Vous avez fait du droit?
- Oui, à Yale.
- Vous savez que lorsque la police interroge plusieurs témoins, elle privilégie le cœur de l’histoire, pas la cohérence des petits détails. En fait, elle se méfie des similarités.
- C’est vrai.
- C’est exactement le cas ici.
- Ok, mais si c’était la résurrection qui était un des faits mal rapportés? On ne peut pas le savoir.
- Écoutez, Lee, permettez-moi de vous demander: cherchez-vous la vérité ou des faits qui appuient vos convictions?
- … Vous savez, je suis journaliste: je remets en question une hypothèse jusqu’à ce qu’elle soit prouvée…
- Mais quand décrétez-vous que ce vous avez est suffisant?»

À la fin, ayant fait chou blanc, Lee revient vers Ray, son mentor en matière d’athéisme, et lui confie son dépit: «J’ai lu tous tes livres, pris tous les arguments, suivi toutes les pistes…» Ici aussi la réponse de son interlocuteur est très pertinente: «À un moment, mon cher, il faut prendre position en dépit des incertitudes ou des doutes; les humains n’auront jamais réponse à tous les mystères du cosmos. Croire ou ne pas croire en Dieu, dans les deux cas, on est dans l’acte de foi.»

Jesus lenquete2Autre question posée par l’intrigue, et qui génère plus de suspense que la résolution de l’enquête historico-critique de Lee, c’est comment Dieu va s’y prendre pour «lui donner un cœur de chair», comme le lui a demandé Leslie. La réponse est forcément un peu décevante, tant les chemins de la conversion sont intimes, difficilement exprimables et souvent longs, donc peu spectaculaires. Celui de Lee passe en l’occurrence par la réconciliation avec la figure du père. Cela donne lieu à une scène un peu maladroite mais qui permet de revoir la sublime Faye Dunaway, tristement tirée et botoxée, au point qu’elle a du mal à articuler ses propos
«Vous connaissez les grands noms de l’athéisme : Hume, Nietzsche, Sartre, Freud?
- Bien sûr, ce sont mes héros, répond Lee.
- Savez-vous que tous ont eu un père soit mort pendant leur enfance, soit qui les abandonnés, qui a abusé d’eux physiquement ou émotionnellement. En psychanalyse, nous appelons ça la blessure parentale

Les interprètes principaux s’en sortent bien, en particulier Erika Christensen (Leslie), dont le charme singulier confère au film un supplément d’âme et d’authenticité. Jésus, l’enquête est un film à voir: il donnera du grain à moudre à tous les chercheurs de vérité, jeunes ou moins jeunes. Comme le rappelle Karem Bustica, dans son commentaire de l’évangile de Marc (in Prions en Église, janvier 2018) du dimanche où l’Église a récemment fait mémoire de saint Thomas d’Aquin: «Ce grand frère prêcheur témoigne pour nous que Dieu se donne à tous ceux et celles qui le cherchent et qu’il nous crée capables de le trouver.»

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