Aux États-Unis, où la religion a toujours été présente dans l’espace public, un jeune sur trois de 18-29 ans finit pourtant par abandonner la religion, s’il en a déjà une.[2] Les jeunes américains adhèrent à une pseudo-religion molle, que certains chercheurs[3] ont appelée un « déisme éthico-thérapeutique ». Dans ce contexte, les films Jésus, l’enquête et Paul, apôtre du Christ, sont produits pour évangéliser les masses devenues ignorantes en matière de christianisme.
Jésus, l’enquête a fait l’objet d’une critique sur notre site. Réalisé comme un film d’enquête hollywoodien standard, il aborde la question de la crédibilité historique des Évangiles. C’est l’histoire vraie d’un journaliste américain d’investigation qui, en 1980, a tenté de prouver à sa femme, en enquêtant de manière systématique et rigoureuse sur le Christ, que ses croyances chrétiennes n’étaient que chimères reposant sur des affabulations. Il finit par se convertir.
Paul, apôtre du Christ
Autre faith-based movie, le film d’Andrew Hyatt. L’histoire est située à Rome en 67. L’empereur Néron persécute les chrétiens, accusés d’être à l’origine du grand incendie qui a dévasté la ville. Tandis que Paul attend son exécution dans un cachot, Luc arrive de nuit d’Éphèse, se faufile dans des ruelles éclairées par des chrétiens transformés en torches vivantes, et se rend chez un couple ami de Paul qui accueille des chrétiens réfugiés. Doivent-ils quitter Rome avant d’être massacrés, ou y demeurer pour aider ceux qui restent? Luc arrive à s’introduire clandestinement dans la cellule de Paul pour obtenir ses conseils et recueillir ses dernières paroles.
Le fait de circonscrire le drame à une période courte permet de faire vivre les personnages des Écritures et leurs contemporains en les ancrant dans une réalité. Luc rapporte notamment à Paul les tensions qui traversent la communauté chrétienne de Rome : certains veulent prendre les armes. Paul rappelle que «le mal ne peut être vaincu que par le bien». Comment ne pas penser aux chrétiens du Proche-Orient ou d’ailleurs, pour qui se pose dramatiquement ce choix de la non-violence, fondamental dans le message évangélique? Un carton avant le générique final dédie d’ailleurs le film «à tous ceux qui ont été persécutés pour leur foi». Et si le scénario bouscule les époques et mélange personnages réels et fictifs, c’est probablement pour inventer un temps de tourmente presque emblématique.
Autre choix notable du réalisateur: la violence impériale reste en arrière-plan. Paul, apôtre du Christ est un péplum sans grand spectacle, au demeurant parfois un peu mou au niveau dramaturgique. Les moments les plus réussis sont ceux où Paul dialogue avec Luc ou avec le préfet Mauritius, gouverneur de la prison. On y retrouve des passages des textes pauliniens, incarnés dans des situations concrètes et portés par le jeu sobre des acteurs principaux: James Faulkner (visage en lame de couteau, qui joue Paul), Jim Caviezel[4] (Luc) et Olivier Martinez (le préfet). Cette dimension intimiste rend bien compte d’une communauté qui se développe à partir des relations personnelles, montrant ainsi que le christianisme ne procède pas par des changements spectaculaires mais par la transformation des personnes.
Marie Madeleine
Universal, son distributeur en France, présente Mary Magdalene comme «un biopic biblique racontant l’histoire de Marie de Magdala, une jeune femme à la recherche d’un nouveau mode de vie. Contrainte par les hiérarchies de l’époque», elle défie son père et son frère en refusant les époux qu’ils veulent lui imposer. Alors quand «le charismatique» (sic) Jésus passe par son village des bords du lac de Tibériade, Marie rejoint son «nouveau mouvement social» (sic). Ce film a le mérite de réconcilier le vulgum pecus avec le latin: c’est un péplum, un interminable pensum, qui dégage, au plan religieux, un parfum de born-again et de lecture apocryphe.
«Je te baptise pour que tu sois né de nouveau et prêt pour le Royaume qui vient », marmonne Jésus, péniblement interprété par un Joaquin Phoenix qui prend constamment la pose «chamane inspiré». La musique est omniprésente, le scénario mal construit, le découpage grossier. Pendant deux heures, on nous sert une soupe froide (Rooney Mara, dans le rôle-titre, est glaciale) sur laquelle les évènements arrivent comme des cheveux gras. Aux textes bibliques, le jeune réalisateur australien Garth Davis (laissant les comédiens improviser) a préféré des dialogues superficiels ou de longs plans sur les personnages méditatifs.
En tous cas, cette production australo-américano-anglaise garantit la présence de tous les ingrédients politiquement corrects: un guérisseur cool qui, la nuit de son arrestation, caresse l’écorce d’un olivier; deux acteurs noirs parmi les disciples (dont Pierre!); un Français (Tahar Rahim) pour jouer le traître (Judas), tradition anglo-saxonne du french bashing oblige; et une figure proto-féministe en guise d’héroïne, victime du patriarcat de la société juive de l’époque, ni prostituée, ni possédée (exit, les sept démons), et la seule à avoir compris Jésus. L’Église ne serait qu’une bande de machistes, comme en témoigne ce dialogue final, d’un anachronisme raffiné: «Nous sommes là [=les hommes] pour fonder l’Église, dit Pierre le dimanche de Pâques(!), et répandre un message. -TON message, pas le Sien », lui balance Marie. L’ironie de l’histoire, c’est que Mary Magdalene n’est toujours pas sorti aux États-Unis car il devait y être distribué par… la Weinstein Company !
On l’aura compris, ce film suscite des réactions qui débordent le cadre artistique, en particulier concernant la place de la femme dans l’Église: dommage qu’il aborde cette question de façon si peu inspirée.
L’apparition
Issus de la terre sainte de la laïcité, L’apparition et La prière ont été réalisés par des cinéastes français appréciés par la critique en vue et revendiquant un point de vue agnostique pour le premier, athée pour le second. Ce positionnement explique l’accueil étonnamment peu agressif réservé à leurs derniers films. Espérons que leur exemple contribue à désensibiliser un peu les critiques allergiques au christianisme et ouvre la voie à d’autres tentatives.
Dans L’apparition, Jacques (Vincent Lindon, toujours aussi authentique), reporter de guerre à Ouest-France, est de retour de Syrie où il a perdu un ami photographe lors d’une explosion. Déprimé, sujet à des acouphènes et à des accès de surdité, il s’enferme chez lui. Il reçoit un coup de téléphone d’un émissaire du Vatican qui lui demande de participer à une commission d’enquête pour juger de la véracité d’apparitions mariales signalées dans le sud-est de la France: «Des pèlerins commencent à affluer sur les lieux des supposées apparitions. La préfecture parle de trouble à l’ordre public. La jeune voyante s’appelle Anna. Depuis ses visions, elle est très protégée par le prêtre de la paroisse, un franciscain qui ne répond plus à nos demandes de renseignements (…) Il s’agit simplement de faire une enquête de terrain et de rassembler des éléments en faveur ou en défaveur de ces apparitions.»
Éloigné de la religion, Jacques découvre un univers qui lui est étranger. Il se rend à Rome, où il étudie les archives relatives aux apparitions reconnues par l’Église; puis dans le village des Hautes-Alpes, où il intègre le groupe chargé de mener l’enquête canonique. Les autres membres de la Commission (théologiens, psychiatre…) sont plus sceptiques a priori que le journaliste agnostique! Celui-ci rencontre Anna (16 ans) et enquête avec beaucoup de respect et d’honnêteté. Il va découvrir des drames et des secrets … plus temporels.
Comme dans Jésus, l’enquête, on est dans l’approche journalistique de faits spirituels. Le film débute sur un mode quasi documentaire et dérive progressivement vers un romanesque délibérément confus. Les subterfuges narratifs utilisés s’apparentent à un jeu de bonneteau un peu agaçant. Finalement, L’apparition ne tient pas ses promesses et participe de tout ce qui fascine le réalisateur Xavier Giannoli: les fabulateurs, l’esprit d’imposture, l’aveuglement. Mais en même temps, une petite ouverture est ménagée, la possibilité d’une transcendance. Bref, le résultat est respectueux et sincère, même si un peu faiblard. Ni la musique énigmatique d’Arvo Pärt ni celle lyrique de Georges Delerue ne suffisent pour insuffler du spirituel.
La prière
La prière est l’histoire d’un toxicomane de 22 ans, Thomas, qui rejoint à contrecœur une communauté dirigée par d’anciens drogués dans les Alpes. Les règles de vie y sont strictes: aucun contact avec l’extérieur, plus un instant de solitude. Thomas ne fait que travailler et prier, jusqu’à l’absurde, sous l’aile constante d’une sorte d’ange gardien. Un jour, il fuit et se réfugie dans une ferme où une jeune fille, dont il s’éprend aussitôt, lui conseille de retourner à la communauté.
Les méthodes au forcing de cette communauté étouffante, voire parfois inhumaine et sectaire (cf. en particulier la scène avec la fondatrice, jouée par une inquiétante Hanna Schygulla) sont constamment justifiées par l’enjeu: c’est ça ou la mort. Ce qui peut donner une fausse idée des communautés chrétiennes. Certains ne manqueront pas de dire que Thomas passe d’une drogue à une autre, comme ce camarade qui lui lance «T’es accro!» parce qu’il prend la Bible avec lui avant d’aller gravir la montagne.
Au fond, le problème du scénario, c’est le mélange entre religion et thérapie. La prière n’en reste pas moins à mes yeux la plus belle des cinq œuvres présentées ici. Pour l’essentiel, les paroles du film sont des prières: le Credo, le Je vous salue Marie, le Notre Père, les psaumes (3, 26, 144). Dans de périlleuses scènes de chant, l’approche respectueuse du réalisateur permet d’éviter le ridicule. Cédric Kahn, qui a été assistant monteur pour Sous le soleil de Satan de Maurice Pialat, a l’humilité nécessaire pour aborder un tel sujet: il s’efface, ouvre un espace et fait confiance au cinéma pour révéler quelque chose de mystique. Son style naturaliste et inspiré capte des moments de grâce, comme cette scène de petit miracle que vit Thomas dans la montagne, ou la superbe scène finale qui rappelle celle de Pickpocket de Robert Bresson.
Les deux films français approchent le christianisme par sa composante verticale, spirituelle, plus que par sa composante horizontale, fraternelle. Celle-ci a été intégrée par nos sociétés laïques qui ne jurent plus que par les droits de l’homme. La verticalité intrigue davantage parce que c’est ce qui manque le plus actuellement. Selon une étude récente[5], 70 % des jeunes Français ne prient jamais et 57 % de ceux qui se disent catholiques affirment ne prier presque jamais. C’est la faille française qui nous a valu cette vaguelette cinématographique.
[1] Le titre de cet article est un clin d’oeil au film de Jean-Luc Godard, Film Socialisme (2010).
[2] D’après une étude du Pew Research Center.
[3] Les sociologues C. Smith et M. L. Denton.
[4] The Thin Red Line de Terrence Malick (1998), The Passion of Christ de Mel Gibson (2004).
[5] De l’Institut catholique de Paris et de l’Institut Benoît XVI d’une université londonienne.