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mardi, 12 mai 2020 15:53

Unorthodox, une série pas tout à fait kasher

unorthodoxDepuis sa sortie sur Netflix fin mars dernier, le succès de la minisérie allemande Unorthodox ne se dément pas. Saluée par la critique et figurant dans la rubrique des émissions les plus plébiscitées de la plateforme, l’histoire raconte l’émancipation d’une jeune juive étasunienne hors de sa communauté ultra-orthodoxe. Malgré une interprétation des protagonistes principaux plus que brillante, la série souffre d’un manque de réalisme dommageable, entre personnages taillés à «l’emporte-pièce» et binarité de l’histoire.

Alors que la moitié de la population mondiale vit enfermée entre quatre murs dans l’attente d’une accalmie de la pandémie, les communautés juives ultra-orthodoxes de New-York et d’Israël défraient la chronique. Ces derniers refusent les mesures mises en place par le gouvernement pour enrayer la contagion. Résultat: un juif sur deux hospitalisé dans les établissements de santé israéliens est un ultra-orthodoxe. Avec un rejet de l’autorité de l’État d’Israël et une méfiance envers les goyim (non-juifs) érigée en mantra, les communautés Hassidim (courant ultra-orthodoxe de renouveau) s’opposent avec pertes et fracas aux forces de l’ordre envoyées dans leur quartier de Méa Shéarim pour faire respecter le confinement. Les Haredim (craignants-Dieu) et plus particulièrement le courant Satmar, très présent en Amérique du Nord (États-Unis et Canada), sont férocement hostiles au sionisme. Ils comprennent l’Holocauste, et par extension l’effondrement de l’Israël biblique, comme un châtiment de Dieu infligé au peuple juif pour leur manque de piété. Le rétablissement d’un État de mains humaines demeure illégitime, puisque leur salut ne proviendra que du Messie. Ils vivent donc en autarcie, avec leurs tribunaux, leurs écoles et leurs règles afin d’éviter tout mélange préjudiciable.

En quête de liberté

Sous le feu des critiques aux mois de mars et d’avril dernier à cause de leur comportement face au coronavirus, c’est à cette même période que la plateforme Netflix a lancé la nouvelle série Unorthodox. Hasard du calendrier ou préméditation? Cette minisérie allemande de quatre épisodes met en scène Esther (Esty) Shapiro, 19 ans, fuyant la communauté Satmar de Brooklyn en quête de liberté. Mariée à un homme qu’elle ne connaissait pas avant ses fiançailles, épiée et harcelée par sa shvigger (belle-mère) jusque dans le lit conjugal, lestée du devoir absolu d’enfanter pour repeupler une communauté décimée par la Shoah, Esty étouffe.

unorthodox1Un matin de Shabbos (shabbat), elle décide de tout quitter avec pour seuls bagages les vêtements qu’elle porte pour un aller simple vers Berlin. Considérée comme une «brebis égarée» dont il est inutile de faire cas, la donne change lorsque sa famille apprend la grossesse de la jeune femme. Son mari Jacob (Yanky) et son cousin Moishes se mettent en tête de la ramener. Et par tous les moyens, s’il le faut.

S’en sortir à quel prix?

Pas de demi-teinte dans ce récit. Le monde qu’Esty quitte constitue un horrible carcan, alors que la vie dépeinte à Berlin se révèle ouverte, lumineuse, multiculturelle et pleine d’opportunités. D’ailleurs, la facilité que démontre la jeune femme pour s’intégrer à sa nouvelle existence reste déconcertante, sachant que la réalité demeure bien différente. En effet, pour la plupart sans formation secondaire, ne parlant souvent aucune langue vernaculaire, le yiddisch étant l’unique moyen de communication, et coupés de tous leurs liens sociaux, les «sortants» sont confrontés à un parcours semé d’embûches.

À ce propos, le documentaire, One of us, sorti en 2017 sur la même plateforme, retrace le cheminement de trois jeunes adultes en quête d’émancipation et soutenus par l’association new-yorkaise Footsteps qui aide d’ex-haredim à se reconstruire. Dans la même veine, deux autres séries israéliennes, Shtisel (שטיסל) et Srugim (סרוגים), proposent une autre vision de l’orthodoxie au public, en évitant certains écueils évoqués plus haut. Quant à la série phénomène Unorthodox, elle conserve tout de même un attrait, celui d’être divertissante durant une période où le temps peut parfois sembler long.

livre unorthodoxUnorthodox, de Anna Winger, avec Shira Haas (Esther Shapiro) et Amit Rahav (Yakov Shapiro) est une série télévisée inspirée du récit autobiographique de:
Deborah Feldman, Unorthodox: The Scandalous Rejection of My Hasidic Roots, Bravo Ltd 2012, 272 p.

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