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vendredi, 24 mai 2019 12:16

Il était une fois… au MEG!

Cendrillon MEGCendrillon, installation de J. Watts © MEGLes enfants les écoutent les yeux grands ouverts et les doigts entortillés, leurs oreilles ne suffisant souvent pas à vivre le conte à sa juste valeur. Et ils ne sont pas les seuls à les apprécier, certaines histoires ne leur étant d’ailleurs pas destinées. Avec sa nouvelle exposition La fabrique des contes, le MEG met en lumière les récits traditionnels populaires européens.

À découvrir jusqu'au 5 janvier 2020.

 

Le nombre de pièces exposées dans La Fabrique des contes est considérable: 453. Une richesse à l’aune de l’immense sujet que le Musée d’ethnographie de Genève se propose d’aborder. Au-delà du livre, forme la plus attendue, l’institution convoque pléthore d’objets qui mettent en image la magie des légendes, aux confins de la géographie et de l’histoire où la fascination des adultes l’emporte souvent sur celle des enfants.

Du livre à la scénographie

Les expositions qui leur avaient été jusqu’alors consacrées étaient surtout l’apanage des bibliothèques. L’écrit n’est d’ailleurs pas oublié dans l’institution à laquelle la Fondation Bodmer a accordé le prêt des manuscrits des Contes de l’enfance et du foyer (1810) de Jacob et Wilhelm Grimm et ceux des éditions originales illustrées (1697) de Charles Perrault et d’Alice au pays des merveilles (1865). La commissaire Federica Tamarozzi a aussi eu l’idée plus inédite de révéler d’autres facettes du conte par la présence d'objets. Ces derniers sont ici mis en scène, notamment dans les «théâtres de l’imaginaire», troisième partie et cœur de l’exposition. Miroirs, illusions, lanternes magiques et dioramas de la jeune Camille Garoche sont scénographiés dans des coulisses conçues par le cabinet d‘architecture Holzer Kobler Architekturen qui les a imaginées comme des allées d’un labyrinthe.

De l’origine des contes

TêteDionysiaque MEGTête Dionysiaque © MEGD’aucuns pensent que certains contes, notamment Le diable forgeron, remonteraient à l’âge du bronze. La réalité est que leurs origines demeurent indéfinissables, même si elles coïncident vraisemblablement avec l’usage de la parole. On sait qu’ils remontent au moins à l’Antiquité, période à laquelle se référait déjà les conteurs de la Renaissance. La Belle et la bête découle peut-être de l’histoire de d’Éros et de Psyché. Perrault emprunte à l’antiquité la tradition de la fabula, conte de fées. L’homme de lettres aimait à conjuguer les sources, notamment quand il rédiga La Belle au bois dormant, qui s’inspirait directement de Soleil, Lune et Thalie du Pentamerone, publié en 1634 par Giambattista Basile.

Kalonji MEGLe pantalon du Diable, Jean-Philippe Kalonji © MEGOn ne fait pas que retranscrire ces fables colportées oralement, on en invente. Les Contes des fées de Madame d’Aulnoy publiés en 1698 étaient nés pour beaucoup de l’imagination de l’auteure. Au XIXe siècle, les exemples sont plus nombreux, avec Les Aventures de Pinocchio (1883) de Carlo Collodi ou, en 1865, avec la fable d’Alice de Lewis Carroll. Quant à Christian Andersen, il revendiquait sa démarche d’auteur ainsi que son ambition artistique. L’exposition s’est aussi voulue créative en mettant en scène huit contes réécrits par l’écrivain Fabrice Melquiot et en sollicitant quatre illustrateurs contemporains, l’Italien Lorenzo Mattotti, la Française Camille Garoche, le Flamand Carll Cneut et le Genevois Jean-Philippe Kalonji. «L’idée, souligne Federica Tomarozzi, était de transformer le musée en conteur.»

La Fabrique des contes révèle leur perpétuelle métamorphose autant que celle de leurs auditoires multiples. Au XVIIe siècle, Perrault écrivait pour un public adulte, aristocratique et mondain, quand deux siècles plus tard les frères Grimm considèrent que leur collecte restitue les vestiges du «génie populaire». Ce qui est illustré par une multitude d’œuvres issues de l’art populaire dont le «génie» n’a cessé de cohabiter avec la tradition littéraire.

Le XIXe siècle, l’âge d’or

Au XIXe siècle, le succès de l’éducation, les ambitions pédagogiques héritées du siècle des Lumières feront le succès de la littérature enfantine dans l’ensemble de l’Europe. De grandes collectes sont menées dès le XVIIIe siècle en Écosse. À la suite des pionniers Jacob et Wilhelm Grimm, succèdent les premiers folkloristes -ainsi nommait-on les ancêtres de l’ethnographie. La Suisse compte aussi de grands noms, comme l’amateur genevois Georges Amoudruz (1900-1975). Ce dernier ne s’en est pas tenu qu’aux livres -6000 figurent dans les collections du MEG- puisqu’il a constitué une importante collection de notes manuscrites, de photographies et d’œuvres populaires en partie exposées à Genève. Comme beaucoup, il s’intéressait à des domaines connexes comme la chanson, dont le Français Achille Millien réunira près de deux mille numéros, à savoir le plus important ensemble jamais effectué. Enfin c’est au Français Paul Delarue que revient l’étude scientifique des contes.

Le conte miroir du monde et de soi-même

MarionnetteLoup MEGMarionnettes à gaine - Chaperon rouge © MEGLes collectes ont permis de répertorier un nombre considérable de versions. Marie-Louise Tenèze (1922-2016) en avait repéré près de vingt-cinq du Petit chaperon rouge. Cendrillon en a inspiré, semble-t-il, près de cinq cents simplement en Europe, sans compter ses variantes au Vietnam et en Chine. On lui a même supposé des sources asiatiques parce que des mutilations esthétiques sur le pied s’y pratiquaient. Ce phénomène illustre, quoi qu’il en soit, l’extrême malléabilité du conte qui est une ossature qui s’incarne de diverses manières selon le milieu culturel ou ethnographique où il sera retranscrit.

Ainsi, au fur et à mesure de la réimpression des Contes de l’enfance et du foyer de Grimm, des passages sont modifiés voire supprimés. On les transforme afin qu’ils coïncident avec l’image que l’on veut donner de la nation allemande dont sont originaires les fameux linguistes. Les vraies mères capables de mauvais traitements deviennent des belles-mères, ces marâtres dont initialement les récits ne mentionnent pas l’existence. Dans Le pain de Marie, la jeune vierge refuse la destinée sacrée qui lui est offerte. On peut aussi reprocher à Dieu son absence. La morale, qui était absente ou laissée libre, s’est progressivement greffée au tissu narratif.

Conteurs itinérants

Les cantastorie siciliens se distinguent des autres conteurs populaires italiens et européens par leur longévité. Ces itinérants sont actifs sans discontinuité dès le XVIIe siècle et peut-être dès le Moyen Âge. Traditionnellement, ils vivaient d’offrandes ou de la vente des petits imprimés relatant le spectacle. Mêlant chanson et histoire, le cantastorie s’appuie sur un panneau figuratif, le cartellone, qui représente les personnages et les principales étapes du récit. Leur répertoire se compose d’adaptations de contes traditionnels dans lesquels sont relayés des nouvelles et faits divers. Dans l’exposition, un cartellone de Fortunato Sindoni reprend une vieille légende sicilienne dont le personnage mi-poisson mi-homme prend la place de la troisième colonne qui soutient la Sicile alors qu’elle menace de s’effondrer. Écrite à la fin des années 1990, cette balade renvoyait très clairement au combat mené par les opposants à la mafia. Émaillés de réflexions sur l’actualité et la vie politique, certains ont fait l’objet de procès en diffamation, en raison des critiques mettant en cause la politique menée par exemple par Berlusconi. À la fois chroniqueurs et faiseurs d’opinion, les cantastorie opèrent le lien entre passé et présent, culture populaire et culture savante. À tort, on fige les contes dans le domaine des arts vivants, alors qu’ils se réinventent continuellement en fonction de l’auditoire et sont ce que l’on veut qu’ils soient.

Le monde populaire est souvent perçu comme archaïque, vouée à la résignation et animée de croyances aveugles. Les contes nous décrivent à l’inverse une chaîne du vivant où toutes les créatures sont sur un pied d’égalité. Même Dieu peut être mis en garde. Intemporels, ils suggèrent une autre manière de se rattacher à la nature, de voir la chance ou la malchance.

FabriqueContesExpoMEGExposition
La fabrique des contes

Jusqu'au 5 janvier 2020
Musée d’Ethnographie de Genève
www.ville-ge.ch/meg/

Catalogue
La fabrique des contes
sous la direction de Federica Tamarozzi,
Genève, La Joie de lire / MEG
200 pages, 2019, 39 CHF

 

CD MEGCD
La fabrique des contes
direction éditoriale: Madeleine Leclair
enregistrements et compositions: Gabriel Scotti (2019)
réécriture des textes des contes d’après des versions vernaculaires: Fabrice Melquiot
distribution: Word and Sound, 15 CHF

Légendes complètes et crédit des images :
1. Cendrillon, installation de Johnathan Watts avec les collections du MEG Suisse, Genève 2018. Photo: © MEG, J. Watts
2. Tête dionysiaque, moulage avers du modèle en ronde bosse, plâtre et traces de couleur rouge et verte, fin du XIXe-début du XXe siècle, Suisse, Genève. Don de Pierre Ducor dans les années 1990. MEG Inv. ETHEU 110608 Photo: © MEG, J. Watts
3. Le pantalon du Diable (pl. 4/4) par Jean-Philippe Kalonji (1973-), Suisse, Genève 2018. Aquarelle et huile sur papier. Réalisé pour le MEG à l’occasion de l’exposition. MEG. Inv. ETHEU 068469 Photo: © MEG, J. Watts
4. Marionnettes à gaine du Petit Chaperon Rouge, par Jean Bindschedler, Suisse, Fribourg 2012. Papier mâché, bois, tissus. Don de Jean Bindschedler en 2015. MEG Inv. ETHEU 066486 Photo: © MEG, J. Watts

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