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lundi, 28 octobre 2019 10:32

Or et gloire à Bâle

Antependium 13 609992Au-delà de la dithyrambe, l’exposition du Kunstmuseum de Bâle Or et gloire relate non seulement l’une des époques les plus glorieuses de l'histoire de Bâle et de sa cathédrale sous le règne de Henri II (1002-1024), mais aussi les cinq siècles qui succédèrent à cet âge d’or de la ville, jusqu’à Hans Holbein le Jeune.
La cathédrale n’a guère eu de chroniqueurs, en dépit de l’éclat des donations royales dont elle a fait l’objet tout au long de son histoire. À la chute de l’empire carolingien, qui avait favorisé la cité et la partie jurassienne du diocèse, le territoire revient au royaume de Bourgogne. Mort sans descendance, Rodolphe III, son dernier prince régnant, décide de le léguer à son neveu Henri II, futur empereur du Saint Empire.

Plus que tout autre souverain, ce dernier se distinguera par son mécénat brillant autant que par le rôle politique déterminant qu’il va exercer sur la ville. Les archives, en grande partie ruinées par le tremblement de terre de 1356, n’ont pu établir la part assumée par Henri II dans la construction de la cathédrale, mais il est vraisemblable qu’il y a contribué. Sa présence à la consécration le 11 octobre 1019 marque le véritable point d’orgue de son règne.

Les libéralités des souverains en faveur de l’Église étaient pratiques courantes durant la période médiévale. L’église de Bamberg avait également reçu des dons de la part d’Henri II, tel le Sacramentaire -exposé à Bâle- exécuté à Regensbourg au début de son règne. Mais le souverain a délibérément privilégié la cité bâloise ainsi que le prouve le trésor de la cathédrale exceptionnellement reconstitué au Kunstmuseum. Jusqu’à la fin du Moyen Âge, en raison de la préciosité de leurs matériaux, les objets d’art occupaient la première place dans la hiérarchie des arts. Croix finement ciselées, reliquaires rehaussés de pierre précieuses composent les dons d’Henri II et de son épouse Cunégonde auxquels appartenaient dix devants d’autel. D’une hauteur d’un mètre soixante-dix, le Devant d’autel en or, ornés de gemmes antiques, de pierres précieuses et semi-précieuses, en est à ce jour le témoignage le plus spectaculaire. En son temps, il n’était visible qu’à l’occasion des grandes célébrations religieuses. Miraculeusement épargné par les fontes, il est aujourd’hui le seul exemple conservé du XIe siècle, avec les fragments de la Pala d’oro de la cathédrale d’Aix-la-Chapelle. Conscient de sa valeur, le musée national du Moyen-Age à Paris avait consenti en 1956 à le prêter à la condition expresse qu’il fût surveillé par une escorte de policiers et un chien!

Les ambitions politico-religieuses d’Henri II

Bustes reliquaires de saint Henri et de sainte Cunégonde, Rhénanie/Westphalie (?), autour de 1430/40 © Paderborn, Erzbischöfliches Diözesanmuseum und Domschatzkammer / Thomas ObermeierLa générosité du souverain avait pour fonction d’assurer le salut de son âme. Le Devant d’autel associe d’ailleurs à la représentation du couple royal les vertus cardinales. Alors que ses territoires s’étendaient de la mer du nord au sud de la France, le roi espérait le soutien du pouvoir quasi politique de l’Église. Il voulait sans doute apparaître comme une sorte de phare de la chrétienté. Dans cette intention, il a délibérément favorisé l’Ordre bénédictin, notamment l’abbaye de Monte Cassino, et fondé plusieurs couvents, à un moment où on assiste à une montée en puissance de l’Ordre bénédictin qui, faut-il le rappeler, était directement rattaché au Saint-Siège.

Croix aux grands émaux, Essen, autour de 1000/1020 © Domschatz Essen/Christian DiehlBamberg avait beaucoup œuvré pour que le couple impérial fût canonisé, fait exceptionnel qui confirme le prestige du souverain. Sans descendance, le souverain assura sa propre gloire posthume. La Croix dite d’Henri II renfermait les reliques du Christ, auxquelles on a ajouté les siennes après sa canonisation en 1142. Le culte qu’on a ensuite porté au couple a joué un rôle politique important. Au seuil de l’exposition, une peinture du XVe siècle aux armes de Bâle représentait les deux patrons de la ville, la Vierge Marie et saint Henri en majesté!

Le multiculturalisme médiéval

Ainsi que le souligne Sabine Söll-Tauchert, commissaire de l’exposition, «nous avons une vision erronée du Moyen Âge perçu comme un univers sombre et fermé sur lui-même». Les œuvres témoignent du contraire par leurs provenances lointaines et les influences multiples qu’ils révèlent. Les émaux du Reliquaire de saint Henri (Louvre, Paris) ont peut-être été exécutés à Limoges, et le célèbre Devant d’autel en or à Bamberg, centre d’orfèvrerie important à l’époque. Beaucoup d’étoffes qui ont servi à la confection de vêtements liturgiques ont été tissées à Byzance, d’où l’on rapportait aussi des diptyques en ivoire ensuite convertis en plat de reliures.Evangéliaire de Henri II, Ratisbonne, avant 1024 © Biblioteca Apostolica Vaticana

Les objets du quotidien relatent ces échanges et dialogues avec d’autres sphères de pensée et de croyance. Le jeu d’échecs né dans le monde arabe a été exporté en Occident autour de l’an mil. Les exemples présentés dans l’exposition adoptent des formes abstraites directement inspirées de modèles arabes, révélant ainsi des goûts ouverts à des esthétiques diverses et lointaines. L’univers qui se dessine n’est pas exclusivement religieux. Plusieurs traités scientifiques enluminés à Saint-Gall, comme le Manuscrit astronomique de Comput de la fin du Xe siècle, attestent de recherches et d’un intérêt pour la science qui récusent l’obscurantisme qu’on prête à la pensée médiévale. «Nous imaginons, renchérit Sabine Söll-Tauchert, le Moyen Âge comme un monde immobile, alors que Henri II lui-même a beaucoup voyagé entre Mayence, Aix-la-Chapelle, Hildesheim, Bâle et Rome où il a été couronné.»

La métamorphose de Bâle

L’essor rapide de la ville ne saurait se comprendre sans le règne d’Henri II. Il se manifeste dès la deuxième moitié du XIe siècle par la construction des remparts. La cathédrale ne perd rien de son prestige au lendemain de la réforme en demeurant le lieu représentatif des gouvernants de la cité. Le Concile s’y déroule au XVe siècle et Erasme de Rotterdam s’y rend à partir de 1514. En 1525, Hans Holbein le Jeune (vers 1497-1543) représente le couple impérial sur les volets de l’orgue de la cathédrale, hommage insigne de la vénération dont Henri II était encore l’objet à cinq siècles de distance.

Or & Gloire. Dons pour l’éternité, du 11 octobre 2019 au 19 janvier 2020, Kunstmuseum, Bâle.
Avec un catalogue en allemand: Gold & Ruhm. Kunst und Macht unter Kaiser Heinrich II, Hirmer Verlag, Munich.

À voir aussi: La cathédrale de Bâle, une construction millénaire. Évêques et maîtres artisans, mécènes et tailleurs de pierres, jusqu’au 16 février 2020, musée Kleines Klingental, Bâle

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