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mardi, 25 mai 2021 14:16

L’Arbre entre ciel et terre

Anne-Lise Saillen (1949). "Vue de Syrie et d'Irak, carte de géographie et technique mixte" © Anne-Lise Saillen La conception de l’exposition lausannoise Et les arbres demain? revient à l’artiste Anne-Lise Saillen qui, afin de célébrer la planète et surtout d’éveiller les consciences, s’entoure du philosophe Dominique Bourg et d’Ernst Zürcher chercheur singulier en chronobiologie, auteur des Arbres, entre visible et invisible. De concert, ils ajoutent à l’arborescence un plaidoyer pour la défense de l’environnement.

L’arbre… Il était à l’origine de ses recherches, dès ses années universitaires à New York, sur les bancs de la prestigieuse Art Students’ League. Anne-Lise Saillen le représente alors inlassablement, avant de s’orienter vers l’abstraction sous l’égide de son maître Richard Poussette. Puis en 2010, sa peinture renoue avec ses branches démesurées et la hauteur infinie de ses cimes. Il est une source d’émerveillement qui, dans sa mythologie personnelle, s’associe dorénavant aux problèmes environnementaux. Motif privilégié érigé en symbole, l’arbre devient le modèle inspirant de son art, mais aussi de ses convictions. La peintre célèbre à l’envi sa «résilience» en vertu de sa capacité de renaître de ses cendres, tel le ginkgo «qui survécut à Hiroshima»

                               Aujourd’hui, l’arbre nourrit la volonté d'Anne-Lise Saillen de défendre contre vents et marées notre bien commun. En 2018, l’artiste se convertit en effet en activiste, à la faveur d’une prise de conscience face aux enjeux environnementaux. Elle se tourne dès lors vers des scientifiques afin de «développer, dit-elle, une synergie». Aimantée par l’incertitude de la durée durant laquelle la planète pourra encore nous enchanter, elle fédère autour d’elle Dominique Bourg et Ernst Zürcher, acteurs militants d’une nouvelle écologie.

L’intelligence du vivant

Les deux hommes se connaissent. Le premier avait invité le second à une conférence intitulée De la forêt au violon qui associait nature et musique. Dominique Bourg esquissait déjà, avant Anne-Lise Saillen, ce dialogue entre l’arbre et les sciences unis dans un même élan de préservation de la planète. Selon lui, L’arbre, entre visible et invisible (éd. Actes Sud, 2016) d’Ernst Zürcher «a fait naître une sensibilité qui rejoint un mouvement général et solidaire autour d’une cause commune».

Le philosophe en perçoit le signe dans la renaissance de la permaculture face à une agriculture qui, au fil des décennies, n’a cessé de s’éloigner de la nature. Né chez les aborigènes, ce mode de culture est, à partir des années soixante-dix, associé à la science des écosystèmes. Il ne s’agit pas simplement de cultiver les sols, mais de revivifier une sensibilité au travers de cette pratique. Dominique Bourg va jusqu’à réhabiliter le chamanisme, «avec ses rites et ses chants en adéquation avec le vivant». «L’exposition d’Anne-Lise Saillen, dit-il, vise à cette reconnexion avec la terre.» Seul être vivant avec l’homme qui joint la terre au cosmos, l’arbre en est la figure tutélaire.

À lire sur notre site diverses présentations de livres coédités par Dominique Bourg sur ces questions, dont Crise écologique, crise des valeurs? Défis pour l'anthropologie et la spiritualité (Labor & Fides, Genève 2010, 334 p.)

Aux yeux du philosophe, il n’y a pas de salut sans spiritualité. Toute société offre un épanouissement, une forme de réalisation personnelle, même l’URSS qui était animée d’une mystique révolutionnaire. Nos sociétés modernes trouvent une fin dans la possession du matériel ou dans l’identité sociale. Dominique Bourg constate toutefois un retournement perceptible dans le renouveau d’une spiritualité qui comme le chamanisme, se tourne vers la faune et la flore. Les sondages d’ailleurs témoignent d’une sensibilité vive à l’égard de ces questions qui, toutefois, ne se traduit pas forcément dans les comportements. Il y a une inertie politique, même si les élections plébiscitent les Verts qui occupent une place de plus en plus importante sur l’échiquier politique. Work in progress!


Rosalie de Constant, art et naturalisme au XVIIIe siècle

Rosalie de Constant (1758-1834). Pin sauvage in Herbier peint, musée botanique cantonal, Lausanne © DR Invitée à exposer au Musée et Jardins botaniques cantonaux de Lausanne, Anne-Lise Saillen y découvre un herbier réalisé par Rosalie de Constant (1758-1834). C’est ainsi que les arbres d’Anne-Lise Saillen côtoient dans cette exposition les quelque 1375 espèces réunies dans les quatorze volumes de l’herbier peint par Rosalie de Constant.

Moins célèbre que son cousin Benjamin Constant, auteur du récit biographique Adolphe, la naturaliste fut néanmoins l’une des figures de l’élite intellectuelle lausannoise et genevoise. Ses parents issus de grandes familles connaissaient Voltaire, et Rosalie côtoie plus tard les Necker et la famille de Staël dans un contexte qui, depuis le milieu du XVIIIe siècle, redécouvre la nature. Sa passion pour la botanique et ses liens avec le botaniste français Nicolas Charles Seringe l’amèneront à entreprendre un herbier, l’œuvre de sa vie.

L’exposition de l’Espace Arlaud rend hommage à l’infatigable persévérance de cette femme artiste dont l’œuvre ne trouva ni son public ni acquéreur. Sa virtuosité était pourtant doublée d’une rigueur scientifique, puisqu’elle adopta le système de classification établi par Antoine-Joseph de Jussieu et Carl von Linné, conjuguant ainsi art, science et nature. En somme une pionnière.

À voir: Et les arbres demain? Exposition entre art et science jusqu’au 4 juillet 2021, Espace Arlaud, Lausanne

À lire: Dominique Bourg et Sophie Swaton, Primauté du vivant. Essai sur le pensable, Paris, PUF (à paraître en octobre 2021).

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