Fabien Cotelette (ça ne s’invente pas) explique aux journalistes conviés à une dégustation dans une des nombreuses brasseries véganes sur les Champs-Elysées: «Nos tomates et nos pommes sont confectionnées à partir de viande de poulet. Au début ça surprend un peu... Quant à nos pommes de terre, il s’agit en réalité de poitrine de veau mélangée à des crevettes. Au début, ça surprend un peu…» Fabriquer des légumes à partir de vrais morceaux de viande. Quelle idée de génie! Cotelette en est convaincu. Ça va marcher.
Mais en ce matin de janvier, le thermomètre affiche un beau 28 degrés dans la capitale. On se réfugie dans des bureaux climatisés. Rare sont les piétons disposés à perdre quelques minutes pour goûter ces nouveaux légumes carnés que M. Cotelette et ses hôtesses présentent sur des plateaux d’argent.
Bref retour en arrière
En deux siècles, les habitudes alimentaires ont subi d’incroyables bouleversements. D’abord, une consommation carnée totalement inédite dans l’histoire de l’Humanité. En effet, nos grands-parents mangeaient deux fois moins de viande et nos arrière-grands-parents trois fois moins. Il est donc faux de prétendre qu’au XIXe siècle on dévorait de la bidoche sept jours sur sept. C’est l’industrie agro-alimentaire du XXIe siècle qui a produit de la viande en quantité gargantuesque.
Ensuite, une inculture alimentaire abyssale. Au début des années 1990, une étude du Département américain de l’agriculture révèle qu’un Américain sur cinq ne sait pas que les hamburgers sont fabriqués à partir de bœuf! Ils ne voient aucun rapport entre un Big Mac et une bête à corne! En 2017, une autre étude révèle que 7% des Américains (16 millions de citoyens tout de même!) pensent que le lait chocolaté provient de vaches marron.
Sur ce terreau, tout devient possible. Jouer à «faire croire» devient un business très lucratif.
En Californie, la start-up Beyond Meat annonce le 6 juin 2019 qu’elle dépassera les 210 millions de dollars de ventes, soit une croissance de 140% en l’espace de douze petits mois. Par ailleurs, Schouten, grosse société hollandaise spécialisée dans le domaine d’aliments à base de protéines végétales, commercialise LE steak parfait en 2020. Ça a la couleur du steak, l’odeur du steak, la texture du steak et le goût de la viande rouge. Plus vrai que le vrai! Un cow-boy élevé au T-bone en biberon ne verrait pas la différence. Ça saigne dans l’assiette, mais c’est du soja, du gluten de blé, de la betterave et des épices!
En 2020 toujours, l’industrie agro-alimentaire lance une autre bombe atomique sur nos tables: la viande de synthèse. Cellules extraites d’un muscle de vache, développement dans un bain de cellules souches et hop! comme par magie, un steak haché apparaît dans le frigo du laboratoire. Le gain pour la planète est extraordinaire. On économise les quinze tonnes d’eau nécessaire à la production d’un kilo de viande bovine, l’opération dégage zéro gramme de gaz à effet de serre et les agriculteurs ne balancent plus une goutte d’engrais dans les champs de soja destinés à nourrir les animaux. D’ailleurs, on n’a plus besoin d’agriculteurs. (Merci beaucoup, vous pouvez vous rhabiller.)
A bas les restrictions!
Bien sûr, les Argentins, les Américains et les Allemands pourraient simplement baisser leur consommation de viande. Mais les gens détestent les restrictions. Taxe incitative, limitation, interdiction: quel politicien serait réélu avec de tels gros mots dans son programme? Bien sûr, les Chinois et les Indiens pourraient inventer un système agro-alimentaire différent de celui de nous autres Occidentaux. Mais tout a été organisé pour qu’ils nous copient. Depuis des dizaines d’années, Monsanto réalise ses plus gros bénéfices en Inde... Et puis, le story telling sait embellir la situation: les incroyables progrès de la science sauveront la planète ; nos savants sont les plus forts de l’univers; ce produit révolutionnaire fera mentir tous les rapports du GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
Donald Trump ne s’y trompe pas d’ailleurs. Pour assurer sa réélection, il met les angoissés du climat dans sa poche. Le 1er octobre 2020, le président à cheveux orange convie Fox News à sa table, dans l’aile ouest de la Maison Blanche. Il déguste un «steak accompagné d’un steak ». Au journaliste éberlué, le président explique que le premier est composé de viande de synthèse (élaboré aux États-Unis), tandis que le deuxième est végétal (à partir de soja du Wisconsin). « Good food for good people ! » Imparable. Non seulement le milliardaire roublard gagne haut la main l’élection pour un second mandat, mais il lance sans le vouloir un trend mondial. De Los Angeles à Naples et de Pékin à Houston, on se met à consommer «un steak accompagné d’un steak». Mac Donald’s, Burger King et les autres s’engouffrent dans la brèche: «Un hamburger accompagné d’un hamburger: double fun!» Même Greta Thunberg n’y trouve rien à redire. À l’ère du fake, la vérité est un mensonge qui s’ignore.
Un exemple? Selon un sondage anglais mené en 2015, un végétarien sur trois avoue avoir consommé de la viande sous le coup d’une trop forte consommation d’alcool. En clair, le végétarien bourré craque, se tape un steak au bistrot et… en a honte le lendemain matin!
Dès 2023, le ver est dans le fruit et l’artifice sur la table. Les consommateurs tombent amoureux du «simili». Pourquoi manger du soja en salade si on peut le dévorer sous forme de fausse viande? Pourquoi se contenter de farine de blé quand on peut la transformer en vrais faux morceaux de poulet?
La table devint un carnaval. Les produits avancent masqué. Sinon les convives s’ennuient. Les salades de tomates avec de vraies tranches de tomates n’intéressent plus personne.
Juchés sur leurs collines de pommes, les maraîchers se tirent une balle dans la tête. C’est là qu’entre en scène Fabien Cotelette. Il a épousé une employée de la Boucherie végétarienne, la première boucherie sans viande de France, ouverte à Paris en 2015 déjà. Les yeux remplis d’admiration, Cotelette assiste aux premiers succès de la petite entreprise et à son envolée sur le marché de la grande distribution. Il est présent en ce légendaire 1er juin 2028, quand la directrice de la Boucherie végétarienne rachète l’enseigne Carrefour.
Fabien Cotelette connaît leurs recettes astucieuses pour métamorphoser les légumes et les céréales en simili viande. Sans plus attendre, il réunit les maraîchers d’Europe pour leur proposer d’investir dans l’élaboration de nouveaux produits. Quelque chose de révolutionnaire: fabriquer des légumes à partir de vrais morceaux de viande! Cotelette en est convaincu. Ça va marcher. Les maraîchers n’en croient pas leurs oreilles.
- Vous nous demandez tout bonnement de laisser tomber notre métier pour devenir éleveurs!
- Qui veut encore goûter une poire qui a une gueule de poire? réplique Cotelette.
- La Terre va mieux, le réchauffement climatique s’est stabilisé. On passera pour des gros cochons à relancer la production de viande à l’ancienne, même si c’est pour la transformer en légumes!
- On engagera un communiquant pour faire du story telling, ne vous inquiétez pas.
Pendant que Donald Trump reçoit le prix Nobel de la paix pour avoir contribué de manière significative à la protection des huit milliards d’êtres humains, Cotelette s’évertue avec sa start up de scientifiques basée au Luxembourg à transformer le steak haché en melon, les cuisses de poulet en fruits des bois et les saucisses de veau en pastèques juteuses. Pourquoi faire simple quand il est si facile de faire compliqué?
En ce mois de janvier 2030, ces merveilles biologiques sont donc lancées sur le marché de la viande. «Une tomate vaut autant qu’un steak!» Tel est le slogan de la Cotelette Company. Est-ce que les maraîchers d’Europe s’en sortiront? Aux dernières nouvelles, Ivana Trump lancera sa campagne en vue de l’investiture républicaine en mangeant devant les caméras une tomate (de viande) accompagnée d’une tomate (du Wisconsin)…