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mardi, 02 février 2016 15:18

De la légèreté

Gilles Lipovetsky
De la légèreté
Paris, Grasset 2015, 372 p.

Splendide, cette fresque de la société actuelle ! Avec minutie, précision et compétence, l’auteur nous immerge dans cet univers évoluant au fil des émotions, des découvertes et de la recherche du mieux-être. Après L’ère du vide (1983), L’empire de l’éphémère (1987) et Le bonheur paradoxal (2006), nous cheminons dans le labyrinthe d’une société légère.


Depuis 50 ans, dans tous les domaines - mode, architecture, médias, éducation, religion, famille, sexualité, finance, santé, etc. - nous assistons à un remodelage des comportements. Impressionnante, l’analyse détaillée des tranches de vie nous transporte dans une vision différente de l’existence. Nous le savions, mais en le lisant, nous saisissons mieux les enjeux, positifs ou négatifs, de la vie moderne légère. Par exemple, l’utopie d’une « société sans école », grâce au Net, effleure l’esprit de certains ; et pourtant « l’école classique n’a pas dit son dernier mot, car l’univers numérique peut remplir les têtes, mais n’a pas le pouvoir de créer des têtes bien faites. La liberté de l’esprit requiert la perpétuation d’un certain nombre de méthodes classi­ques lourdes : répétition, mémorisation, transmission de repères fondamentaux, apprentissage linéaire, impositions normatives de différentes sortes. »
Une zone demeure inquiétante : celle de la finance. « D’un côté, la culture consumériste-hédoniste invite aux jouissances de l’ici et maintenant ; de l’autre, l’ultra-libéralisme économique est producteur de stress, d’insécurité, d’inégalités économiques... Dans ce climat de pression, de peur et d’urgence engendré par la spirale de la compétition économique, l’insouciance face à la vie est emportée sur une pente déclinante. »
Autre notion à relever, l’individualisation. L’individu enfermé dans les structures collectives s’émancipe pour être lui-même. Y compris sur le plan religieux. « L’individu hypermo­derne n’affiche plus l’ambition de changer le mon­de, de fabriquer la société sans classes et l’homme nouveau ; il veut respirer, vivre mieux, plus léger. (...) Les sagesses anciennes avaient pour but de délivrer l’homme de ses vains appétits. Pareille révolution dans le mode de vie exigeait des exercices spirituels répétés, une autodiscipline de fer, un entraînement rigoureux, des modes de vie ascétiques... On en est loin. Nous voulons la légèreté tout de suite, sans sacrifice, sans ascèse ni exercices spirituels envahissants. » Avantage : chacun développe sa personnalité. Inconvénients : la solitude, la nécessité de se ressourcer par soi-même, l’insécurité. L’auteur développe alors ce conseil : « Le travail, l’effort... sont indispensables à une véritable éducation de soi afin de gagner une légèreté active. »
L’écriture agréable, fluide, relatant quantité de faits dans un enchaînement plaisant, facilite la compréhension de cette société en rapide mutation.

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