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dimanche, 22 avril 2018 16:30

Giorgio La Pira, Jésus et la politique

La PiraPetite-fille du ministre d’État gaulliste Edmond Michelet, résistant catholique et ami de Giorgio La Pira (1904-1977), Agnès Brot affiche ses propres convictions dans cette biographie de l’homme politique italien: nos actes doivent être, le plus possible, accordés à notre conscience. En ce sens, engagement religieux et engagement politique sont compatibles. La vie de Giorgio La Pira le montre. Une lecture de l’abbé Willy Vogelsanger.

Agnès Brot
Giorgio La Pira
Un mystique en politique
Paris, Desclée de Brouwer 2016, 224 p.

Impressionnant ce lien entre politique et confiance en Dieu! Célibataire, donné à Dieu et aux autres, ce petit homme, professeur de droit romain à l’Uni­versité de Florence, a eu un impact surprenant dans sa région, en Italie et à travers le monde. Dans sa région, maire, il embellit Florence et consacre temps et peine pour les pauvres; en Italie, député, il contribue à la rédaction de la nouvelle Constitution à Rome, après la guerre; dans le monde, il cherche à promouvoir la paix, convoquant des rencontres et prenant contact avec les dirigeants de tous pays.

Certains, en voyant Giorgio La Pira à l’aise avec Khrouchtchev, l’ont traité de communiste. Même des amis et des journalistes du Vatican l’ont critiqué. Mauriac réplique dans L’Express: «Nous reparlerons de ce démocrate-chrétien qui est démocrate et qui est chrétien à chaque instant de sa vie privée et publique et qui, si frêle, incarne par là une puissance formidable: il est le doux qui possède la terre.» Le cardinal Daniélou dit de même: «Nous avons connu des hommes libres, ils s’appelaient Bernanos, Maritain, La Pira... La cité qu’ils nous proposent de construire c’est, selon le mot de La Pira, celle où les hommes ont leur maison et où Dieu a sa maison.»

En 1953, La Pira «décide de frapper un grand coup». Face à 1147 demandes de logement, s’appuyant sur une loi de 1865, il réquisitionne toutes les villas non habitées et des bâtiments publics inoccupés. Réaction des propriétaires outrés. Andréotti, alors ministre des Finances, lui reproche d’avoir logé 240 personnes dans un petit immeuble des impôts provisoirement vide. La Pira lui envoie ce télégramme: «Puisses-tu jamais connaître la souffrance de celui qui est privé d’un toit!» Andréotti donne alors l’ordre au préfet de mettre dehors les occupants illégaux. La Pira, professeur de droit, lui rétorque: «Loin de vouloir violer la loi, je demande simplement qu’elle soit appliquée aux faibles et aux pauvres.» Il écrit une lettre ouverte dans le quotidien Giurnale del mattino: «Un maire qui, par peur des riches et des puissants, abandonne les plus pauvres -les victimes d’expulsion, les victimes de licenciements, les chômeurs et les au­tres- c’est comme un berger qui, par peur du loup, abandonne son troupeau.»

Pira vieille1963 © giorgiolapira.org 

Au milieu de ses multiples activités, le service des pauvres demeure prioritaire pour cet homme engagé. Lui-même vit simplement, dormant dans une cellule de couvent, puis dans une mai­son de jeunes.

Un trait étonnant: sa capacité de prière, partout et en toutes circonstances. Son amour de Jésus et sa confiance en Dieu illuminent sa façon de diriger. Les multiples épisodes qui jalonnent sa vie nous révèlent une âme passionnée de Dieu et des autres. «Il a beaucoup écrit aux trois papes, les informant de sa vi­sion du monde, de son analyse des situations... Ses lettres au pape Montini sont un véritable journal de bord... un journal intime qui prouve à quel point il avait be­soin de se savoir en communion avec le pape.»

Pira Paul VI1973 La Pira avec Paul VI au Vatican © giorgiolapira.org 

À la fin de sa vie, Giorgio La Pira a connu de grandes souffrances (une maladie du sang) et des critiques. Après deux jours de coma, il est décédé le 5 novembre 1977. L’enter­rement a eu lieu à la cathédrale de Florence, «en présence d’une foule immense venue de tous les coins d’Italie et du monde». Son corps a été transféré en 2007 dans la basilique Saint-Marc de Florence.

Funerailles Pira1977 Les funérailles- Piazza della Signoria © giorgiolapira.org

Très vite s’est posée la question: sera-t-il canonisé? La cause est engagée en 1986. «Il fut un prophète concret, crédible par son unité de vie, son opiniâtreté, sa soumission raisonnée au Magistère (...) Ce laïc dominicain acquiert valeur d’exemplarité», écrit l'auteure. L’enquête diocésaine a été validée par le Saint-Siège en 2005. Depuis, la possible béatification de La Pira est étudiée par la Congrégation pour les causes des saints, à Rome.

Faire route avec un tel politicien imprégné de vie spirituelle éveille le goût de la beauté. L’aspect humain et religieux relaté avec une écriture agréable nous rend proches d’un tel homme agissant dans l’esprit de l’Évangile, au milieu d’un quotidien très varié.

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