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lundi, 05 août 2019 02:00

Carnet de voyage et haïkus

Basho«… J’ai usé mon corps dans des voyages aussi vains que les vents et les nuages et étendu mes sentiments aux fleurs et aux oiseaux. Mais d’une certaine façon, j’ai pu en tirer ma subsistance. Ainsi finalement, si peu qualifié et sans talent que je suis, je me suis donné entièrement à un seul idéal, la poésie.» Ainsi s’exprime Bashô (1644-1694), qui fut et reste le plus grand maître de ce genre si particulier du Japon que l’on appelle le haïku.

Matsuo Bashô
La sente des contrées secrètes. Carnet de voyage et haïkus
traduit du japonais et commenté par Jean-Marc Chouvanelle
Genève, Olizane 2019, 416 p.

À première vue, le haïku peut sembler déconcertant: 17 syllabes sur 3 lignes de 5/7/5 syllabes chacune. C’est peu de mots pour exprimer un sentiment, une saison. C’est ce qui le rend sublime!

Les longues pérégrinations du Maître sur les routes du Japon, envisagées comme une sorte de détachement des biens de ce monde, s’accompagnaient d’un besoin d’écrire, avec la passion de la poésie. À chaque étape, «ses haïkus furent autant de perles illustrant chaque page de son journal, comme un point d’orgue de ce qu’il vient d’écrire », nous dit son traducteur. Bashô, accompagné de son ami Sôra, quitta Edo à la fin du mois de mai 1689 pour le septentrion nippon. Leur périple dura 156 jours, jusqu’à Ôgaki. Ce n’est que cinq ans plus tard qu’il publia ce journal, ciselant et reciselant chaque phrase et cherchant la perfection, jusqu’à l’harmonie, la subtilité, la sonorité du langage.

Chaque étape amène un commentaire du Maître, ses rencontres, son itinéraire, ses visites. «J’ouvris ma besace et fis de ces poèmes mes compagnons pour la nuit» (étape 21). Il laisse monter ses émotions: «Assis sur mon chapeau de paille, oublieux du temps qui fuit, je laissais mes larmes couler» (étape 23). «La vue est splendide. Une profonde quiétude emplit mon cœur» (étape 26).

Le calme!
Vrillant la roche
Le chant de la cigale

Dans cette période politiquement instable, l’essor commercial aura comme corollaire une grande floraison artistique. La majorité des arts traditionnels du Japon naquirent à cette époque, empreints de l’esthétique de dépouillement propre à l’esprit du zen: cérémonie du thé, art du jardin, peinture, ikebana…

Jean-Marc Chouvanelle fait ici preuve d’une érudition remarquable: de présentation, d’histoire, de géographie, de légendes, de littérature. Les 42 étapes du voyage (en japonais et en français) sont analysées, disséquées, expliquées, critiquées entre autres à l’aide du journal qu’écrivait aussi Sôra; il corrige certaines erreurs d’appréciation, de date, d’itinéraire lorsque «le poète brode un peu sur la réalité des faits».

Aujourd’hui encore, nous pouvons semer les graines du haïku pour jouir de la beauté du lieu lorsque les jours s’écoulent «comme vague sur la grève» (étape 31).

Le film de Richard Dindo, Le voyage de Bashô (2018) est sorti sur les écrans de Genève en mai de cette année: une marche silencieuse au sein de la nature qui nous recrée, par sa lenteur et la présence du geste.

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