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lundi, 28 décembre 2020 09:47

Accoucher de sa vie

la race des orphelinsLe deuxième roman d’Oscar Lalo rend hommage à toute une génération d’oubliés de la Seconde Guerre: les enfants des Lebensborn. Par une écriture poétique et philosophique, l’auteur emmène le lecteur au cœur des «usines à bébés» de l’Allemagne nazie. On entre dans l’intimité de ces orphelins particuliers par le journal d'une septuagénaire à la recherche de ses origines: «Je devais être la gloire de l'humanité. J'en suis la lie.»

Oscar Lalo
La race des orphelins
Belfond, Collection Pointillés, Paris 2020, 279 p.

Elle déteste son prénom. La première lettre lui rappelle amèrement le H de Hitler, ceux de Himmler et de Heydrich. Finalement, elle aurait préféré s’appeler «Ildergard». Mais ce n’est pas le cas. D’ailleurs, elle n’est pas non plus certaine que son prénom soit celui choisi par ses parents. Et pour cause, Hildegard Müller est née dans un Lebensborn.

L’histoire paraît simple. Hildegard Müller, une dame de septante-six ans et quasi analphabète, engage un homme pour écrire le journal de sa vie. Le journal d’une mémoire gênante. Mêlant écriture poétique et philosophique, Oscar Lalo dévoile un autre pan, moins connu, de l’histoire nazie. Derrière l’entreprise de mort servant à débarrasser le Reich des «sous races», l’Allemagne en met une autre sur pieds. De vie, cette fois-ci. Mais à marche forcée. Dans le cadre de la politique d'eugénisme et de promotion des naissances, Heinrich Himmler fonde des maternités à même de fabriquer des individus parfaits selon l’idéologie nazie. Cela en vue de constituer l'élite du futur «Empire de mille ans». Des femmes considérées comme aryennes concevaient donc des enfants avec des SS inconnus. Elles pouvaient accoucher anonymement dans ces maternités disséminées aux quatre coins de l’Europe. Les nouveau-nés étaient ensuite remis «aux bons soins» de ces fontaines de vie (Lebensborn), puis confiés à des familles triées sur le volet.

«Je suis fille de SS. C’est écrit sur mon front. C’est cloué dans mon dos. À l’avant, une autre pancarte: collabo. Collabo, ma mère. Je suis une fille-sandwich, plaquée par la double infamie de mon ascendance. La tragédie des Lebensborn, c’est à la fois la tragédie de l’hérédité accouplée à la tragédie de l’absence d’hérédité.»

Non coupable, ni victime

Outre l’hérédité évoquée par Hildegard Müller, l’autre tragédie réside dans le refus d’accorder à ces enfants le statut de victimes. Purs produits de sélections successives, ces enfants censés être parfaits à tous points de vue ne sont pas épargnés par les violences industrielles perpétrées par l’État totalitaire. S’ils ne remplissent pas exactement les critères du fantasme nazi de perfection, ces bébés sont simplement euthanasiés ou servent de cobayes lors d’expériences médicales. Hildegard a eu la chance de correspondre à ces critères. Elle le porte comme une infamie.

Oscar Lalo livre l’histoire d’Hildegard par bribes. Le lecteur, quant à lui, suit l’accouchement difficile de cette mémoire fragmentaire, plongé dans les sentiments d’un individu dont l’identité se résume au IIIe Reich et les «géniteurs» à des criminels de guerre. Malgré le côté fictionnel assumé de l’ouvrage, il est tout de même un peu dommage de n’avoir pas utilisé la mine de références bibliographiques pour creuser un peu plus la question des Lebensborn et le travail de mémoire quasi inexistant les concernant.

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À propos de mémoire, voir notre dossier L'Histoire sous le prisme de la mémoire
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