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lundi, 02 août 2021 15:24

La Grâce

LaGrace livremONTAIGUAu départ, Thibault de Montaigu voulait écrire sur Xavier Dupont de Ligonnès, suspecté d’avoir massacré en 2011 sa femme et ses quatre enfants, et qui reste toujours introuvable à ce jour. Sur les traces de Ligonnès, l’auteur (athée et ancien jet-setteur) se retrouve dans une abbaye bénédictine, où il vit une expérience spirituelle foudroyante qui le bouleverse. Il cesse alors de poursuivre Ligonnès et, pour ruminer ce qui lui arrive, met ses pas dans ceux de feu son oncle paternel, Christian de Montaigu, un noceur homosexuel qui avait abandonné les nuits parisiennes pour devenir prêtre franciscain. La construction, où alternent des passages entre l’histoire de l’auteur, celle de son oncle et celle de saint François d’Assise, aurait pu rester artificielle et ennuyeuse. D’autant que les traces laissées par la vie de Christian sont assez rares. Mais l’authenticité de la voix rend l’œuvre passionnante.

J’ai eu personnellement l’impression de découvrir un ami sensible et intelligent ayant vécu une expérience spirituelle singulière, et j’ai lu son témoignage avec énormément d’intérêt. L’écriture est simple et ajustée. Le passage où Thibault de Montaigu relate sa propre conversion, exercice d’écriture si périlleux, est réussi. Ce qui est frappant, c’est l’honnêteté de l’auteur: par rapport à lui-même, à son parcours, à son projet d’écriture. Toutes les interrogations qui ont affleuré en cours de ma lecture sont à un moment ou un autre abordées dans le récit. Par exemple, lorsque Thibault de Montaigu raconte des épisodes de la vie de son oncle, leur différence d’âge n’induit-elle pas une part imaginée à partir des quelques sources indirectes retrouvées? «Non, je n’invente rien, mais il y a autant de vies que de narrateurs, et celle que je raconte me ressemble fatalement. Fait écho à mes figures et à mes démons.» Ou encore ces scrupules qui l’honorent: «…ai-je raison de revenir sur ces histoires, d'écrire sur la vie secrète de Christian? Question qui me torture car elle dépasse la littérature; elle engage aussi ma foi (…) Suis-je encore mû par l'amour chrétien si je finis par blesser ceux qui lui étaient chers? Suis-je toujours en train de chercher la lumière de Dieu en fouinant dans les poubelles de son passé?»

Partant de la grâce et de la mort, son livre fait une sorte de bilan, d’un point de vue chrétien, de deux vies modernes. On est tout de suite dans l’essentiel: que fait-on de la vie que nous avons reçue? Comment nos échecs, nos impuissances nous ramènent à la Vérité?

Couronné par le prix de Flore, La Grâce a reçu un bon accueil critique. Le fait que Christian était homosexuel a dû émousser les fourches caudines de la bien-pensance laïcarde, et l’auteur, nouveau converti, ne s’adresse pas qu’à des croyants: sa manière pédagogique et bien intégrée dans le récit de présenter saint François, Medjugorje ou la vie religieuse rend son livre accessible à tous. Un livre d’autant plus salutaire qu’il illustre incidemment l’effondrement de la religiosité en Occident.

Thibault de Montaigu
La Grâce
Paris, Plon 2020, 320 p.

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